04 avril : Macky Sall, le discours d’évitement

Slalom présidentiel. Ce 04 avril 2018, Macky Sall a prononcé un discours d’évitement.

Évitement des attentes du front social, évitement des questions politiques éminemment importantes à 11 mois de l’élection présidentielle, évitement de la problématique de la vie décente de nos compatriotes à l’étranger, évitement de la question de l’implication de « l’Armée- Nation » dans la sécurisation des biens et des personnes.

Le Président Sall a tenté de justifier cela en concluant que lui et son gouvernement sont «  dans le temps du travail et de l’action ». Mais pour qui travaillent-ils ? Pour la Nation et le Peuple ? Ou pour eux-mêmes et leur reconduction aux affaires, question qu’il a choisi de différer pour différer l’affrontement inéluctable avec ses opposants et peut-être des pans entiers de l’opinion nationale, qui tranchera de cette question.

Rien dans le discours du Président na été dit sur les  Sénégalais de l’extérieur, même pas pour saluer la mémoire de nos compatriotes assassinées en Espagne et aux USA. Or, l’émigration est la première activité économique de ce pays. Les Sénégalais de l’extérieur sont les premiers contributeurs à l’économie nationale, devant les investissements directs étrangers, par leurs envois d’argent au Sénégal. Au total donc, aucun début de vision et aucune proposition pour la mise en place de politiques publiques assurant une émigration choisie et dans la dignité.

Macky Sall a salué le rôle de l’armée, en s’attelant à magnifier leur présence en nombre sur les théâtres d’opérations à l’étranger et en indiquant que ce 4 avril était la fête d e l’armée et de la jeunesse. Quid des autres pans de la communauté nationale ? N’est-ce pas aussi leur fête ? Pour en revenir à l’armée sénégalaise, son rôle est vain si elle est exclue, comme c’est le cas actuellement, du traitement de la seule question géopolitique urgente et importante de cette ère : la lutte contre le terrorisme au Sahel.

Un rôle de tirailleurs modernes est donc dévolu à l’armée nationale, qui loue ses services au plus offrants. Le Sénégal envoie ses forces armées comme supplétifs sur des théâtres d’opération de par le monde, où il n’a rien à faire. Dans le même temps, les pays de la sous-région l’ont exclu de tout rôle : le Sénégal ne fait pas partie du G5 Sahel mis en place par les pays de cette sous-région (Niger, Mauritanie, Burkina Faso, Tchad, Mali) pour la gestion de la question du terrorisme au Sahel, malgré les demandes répétées du Sénégal d’en faire partie, exprimées au plus haut niveau.

Si nos forces armées ne sont pas dans la sous-région, que ne participent-elle pas à la sécurisation des biens et des personnes ici même au Sénégal ? Le Président a soutenu que « dans l’accomplissement de leurs missions internes ou étrangères, nos Jambaars continuent de faire honneur à l’idéal Armée-Nation ». Cet idéal d’armée Nation serait palpable si notre armée nationale s’investissait dans des missions de sécurité interne, de génie civil et de construction d’infrastructures. Ce n’est pas le cas.

Rien n’a été dit dans le discours du 4 avril du Président Sall sur le dialogue politique auquel son ministre de l’Intérieur a appelé, en son nom. Aucune mention dans la parole présidentielle de ce dialogue pour un consensus politique national. Rien qui soit à même de rassurer que le pays sera géré dans le respect des libertés individuelles et collectives jusqu’à l’élection présidentielle. En une ère où un opposant se trouve exilé, un autre embastillé et ceux qui le soutiennent vilipendés ou poursuivis devant les tribunaux, occulter cette question politique qui aurait apaisé l’opinion nationale est un luxe que le Président Sall a cru pouvoir s’offrir, prétendument au nom du « temps de l’action et du travail ».

Le Président Sall a indiqué que « l’école publique est la seule garante de l’égal accès de tous les enfants » et tenté d’expliquer ainsi pourquoi « la communauté éducative reste au cœur de ses préoccupations. ». Sauf que la rallonge de 25.000 FCFA qu’il a consentie aux enseignants pour leur indemnité de logement n’a pas fait l’objet de l’assentiment de ceux-ci et de leurs syndicats. Les grèves perlées dans le secteur public de l’éducation continuent.

 Quant à la question névralgique des daaras coraniques, de leur nécessaire modernisation et de leur intégration obligatoire dans l’architecture académique, elle n’a tout simplement pas été évoquée. Or, les daaras coraniques où se trouvent 800.000 enfants, constitue avec l’école privée confessionnelle chrétienne, l’autre pendant indispensable du secteur éducatif sénégalais.

Sur la question de société des enfants de la rue, dans une prophétie apparemment auto-réalisatrice, le Président Sall a assuré que « le programme de retrait des enfants de la rue se poursuit avec vigueur ». Quelles sont les manifestations de cette « vigueur » ? Personne ne le voit.

Enfin, sur la question centrale de l’emploi et de la création d’emplois, le Président Sall a indiqué que « la Délégation générale à l’Entreprenariat rapide des Jeunes et des Femmes (DER), doté d’un fonds initial de 30 milliards, entre dans sa phase active ». Dans le même temps, seulement « un milliard sera alloué aux jeunes promoteurs de startups » dans le secteur du numérique. Déconnecter ainsi le secteur du numérique des 30 milliards de cette Délégation à l’Entreprenariat rapide est une erreur. Que le Président Sall et ses services ne voient pas que le véritable gisement d’emplois (et surtout d’auto-emplois), pour les jeunes et les femmes, est le secteur du numérique et des multiples services à valeur ajoutée qu’ils peuvent apporter notamment à travers les infrastructures des opérateurs de téléphonie mobile, dans un secteur (les télécommunications et l’économie numérique) qui compte déjà pour 7 % dans le PIB du Sénégal, révèle une myopie stratégique au sommet de l’Etat.

Damel Mor Macoumba Seck

© Tract Quotidien 2018 – www.tract.sn