[ Caricatures ] Ces Sénégalais « (ré)confortés » à tort par l’interdiction de l’ancêtre de Charlie Hebdo. Risible ?

« La France se montre si déterminée à poursuivre les caricatures insultantes contre le Prophète Mouhamed. Pourtant, ‘’le pays de la liberté’’ a voulu liquider Charlie Hedbo, parce que simplement le journal avait caricaturé De Gaulle. », embraye triomphalement le principal site d’information sénégalais Seneweb, ce mardi 27 octobre.
« Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent ». Tel a été le verdict du président français Emmanuel Macron, mercredi dernier lors de la cérémonie d’hommage à Samuel Paty, le professeur décapité aux abords de son école à Nantes pour avoir montré à ses élèves une caricature de Charlie Hebdo sur le Prophète Mouhammad.
« Ainsi, le premier des Français semble inscrire sur du marbre cette liberté de caricaturer, même si on blasphème la référence de près de 2 milliards d’individus dans le monde », enchaîne le site.
Pourtant, la France a eu à interdire des journaux simplement parce qu’ils ont caricaturé, cafte alors Seneweb.
D’ailleurs, ce même journal Charlie Hebdo qui s’appelait Hara-Kiri à l’origine a été interdit de parution en 1970. « À la suite de la fameuse « une » ‘’Bal tragique à Colombey – 1 mort’’, parue le 16 novembre 1970, après la disparition du général de Gaulle, Hara-Kiri a été interdit de vente aux mineurs, officiellement pour avoir publié des bandes dessinées pornographiques », écrit le journal Le Monde dans son magazine du 19 septembre 2020 à la page 38, rappelle Seneweb, tout excité.
En réalité, souligne Le Monde lu avec des lunettes rouge-brun par Seneweb, les ‘’bandes dessinées pornographiques’’ n’étaient qu’un prétexte, l’arrêté avait pour but d’interdire la parution du journal. « Tous voient dans le motif invoqué par les autorités un simple prétexte dissimulant ‘’une censure politique qui n’ose dire son nom’’», mentionne le magazine.
« Ainsi donc, en 1970, la France, terre de liberté, a liquidé l’ancêtre de Charlie Hedbo, parce que tout simplement elle a fait des caricatures sur la mort du général De Gaulle », glousse encore Seneweb. Ministre de l’Intérieur à l’époque, Raymond Marcellin déclare : «Pour éviter toute équivoque à l’avenir, j’ai prescrit aux services compétents de toujours motiver ces arrêtés. (…) La liberté de la presse sera d’autant mieux garantie dans notre pays que les abus aussi grossiers que ceux qui ont été incriminés seront réprimés conformément à la loi. »
Le certificat de décès est donc désormais officiel.
Pour ne pas laisser le journal mourir, Les éditions du Square qui gère le titre ont décidé de créer un supplément hebdomadaire dénommé Charlie, «afin de pouvoir continuer à faire face à leurs engagements financiers et permettre aux collaborateurs de l’ex-Hebdo Hara-Kiri, ainsi qu’aux autres employés de la société, de ne pas perdre leurs moyens d’existence».
En vérité, ce subterfuge était juste un moyen de relancer le journal sous un autre nom. D’aucuns disent même que le nom de Charlie vient du fait que l’équipe de Hara-Kiri voulait narguer le gouvernement qui a censuré le journal. Ils ont voulu le nommer Charles en référence à Charles De Gaulle, mais ils ont compris que ça n’allait pas prospéré. Ils ont donc opté pour Charlie.
Contre l’armée et Mme Pompidou
Trois ans après cette première censure, Charlie Hebdo sera poursuivi en justice. En mai 1973, le journal a publié une série de bandes dessinées intitulées ‘’Les aventures de Mme Pompidou’’. Le dessinateur n’est autre Cabu, l’une des victimes des attentats de Charlie Hedbo le 7 janvier 2015. Le caricaturiste et son journal seront condamnés à des peines d’amende.
Et c’est loin d’être fini. « Six ans plus tard, revoici les mêmes devant la justice, cette fois pour ‘’injures envers l’armée’’ », rapporte encore le magazine du Monde à travers la plume de Agnès Gautheron. Le journal de l’irrévérence sera à nouveau condamné. Le Monde qui semble se solidariser rend compte de l’affaire avec un titre ironique : «Pour 15 200 francs, l’armée est lavée de ses injures. »
En 1981, Charlie Hebdo disparaît, parce que intéressant de moins en moins les Français. De 500 mille exemplaires par semaine de 1970 à 1974, les ventes ne cessent de chuter jusqu’à la disparition. Ce n’est que 10 ans plus tard que le journal refait surface. Non sans difficulté. Il avait même commencé à sombrer à nouveau traversant des difficultés financières avant que l’attentat perpétré par les frères Kouachi ne lui offre un second souffle.
Conclusion leste de Seneweb et autres titres de presse sénégalais, conclusion tout en amalgame que les citoyens du pays de l’ex-gouverneur Faidherbe se relaient avec zèle sur WhatsApp : « C’est cette France là qui n’accepte pas des caricatures contre De Gaulle, Mme Pompidou et l’armée qui défend aujourd’hui Charlie pour les caricatures sur le Prophète Mouhamed. »
Hé bien, à Seneweb et consorts, il est urgent d’indiquer que la France sous coupe réglée et celle de l’ordre moral et puritain de 1970 ne saurait être celle de 2020. Elle ne l’est d’ailleurs plus depuis au moins 1974 avec Giscard qui a légalisé l’avortement ou encore depuis 1981 avec Mitterrand qui a laissé émettre légalement les radios libres. La France corsetée de De Gaulle et Pompidou où existait une seule chaîne de télévision, l’ORTF, dont le menu du journal se décidait par le ministre de « l’Information » Alain Peyrefitte, cette France de De Gaulle dont le préfet de police faisait jeter dans la Seine parisienne des centaines d’Algériens en 1961, causant plusieurs morts parmi eux, est une parenthèse aux relents passablement dictatoriaux d’un vieux monde, qui se mourait sous l’homme au képi et ne lui survivra pas longtemps. Sous son règne, dès 1968 et la révolution de mai, la France avait changé et la principale demande populaire de 1968 était la libération des moeurs. Depuis, oui, les moeurs ont évolué toujours plus en France (Les Sénégalais peuvent choisir d’appeler cela la débauche, mais personne ne les oblige à vivre en France) jusqu’au « mariage pour tous » (légalisation du mariage entre personnes de même sexe) promulgué par Hollande. Et les lois qui encadrent ces mœurs ont évolué à l’avenant, ce qui est tout à fait normal. Addendum : depuis les années 70, Charlie Hebdo a à nouveau abondamment moqué et caricaturé le Général de Gaulle, sans aucune censure contre lui. Comme en atteste un exemple : la photo d’illustration de la présente tribune.
Quant aux procès essuyés par Charlie Hebdo, c’est la règle pour ce journal et il en a pris son parti, prévoyant dans ses provisions financières de fin d’année une ligne budgetaire pour les procès : Des procès, Charlie Hebdo en a plus gagné que perdu, sous la houlette de leur avocat Me Malka. C’est factuel.
De Seneweb encore, cette conclusion lapidaire dans tous les sens du terme …qui jette bien la pierre : « C’est dire donc si l’élite française (politiques, intellectuels, médias) s’attache à la production du journal ou bien si ce sont les insultes contre l’Islam et le Prophète qui fait plaisir. » Hé bien, vous dit honte à vous, Seneweb, pour ce populisme obscurantiste de bas étage et cet appel à la vindicte populaire et au lynchage!

La France se reconnaît dans les idéaux de 1789, ceux de la Révolution qui a installé la République. Entre 1789 et 1870, la France a pourtant connu la Restauration avec le retour à sa tête d’un roi et deux empereurs (Napoléon et Napoléon 3) : il n’empêche, ça, Seneweb et les prêcheurs d’obscurantisme sénégalais ne sauraient voir que ça ne fait pas bouger d’un iota la boussole française, celle de la France officielle et institutionnelle, qui est : la République laïque, qui a acté sa séparation d’avec les cultes religieux depuis sa loi de 1905. Il y a 115 ans. Avec les rodomontades anti-francaises sous couvert de lutte contre l’islamophobie du pastefien en chef Ousmane Sonko et autres quantités négligeables que sont Jamra, Moustapha Diakhaté et Guy-Marius Sagna, les journalistes vedettes Pape Alé Niang et Babacar Fall du groupe GFM, ou encore les condamnations anti-francaises des gouvernements mauritanien ou marocain, il est heureux que le Président Sall garde sa sérénité (par un mutisme sage) et refuse d’entraîner le Sénégal dans ce qui est une affaire franco-francaise. (Macky Sall qui n’aura, hélas, pas non plus condamné la décapitation de Samuel Paty). Une affaire entre les gouvernants français et leurs concitoyens musulmans et aussi avec leurs compatriotes non-musulmans. Et pas une affaire de la France contre la Oummah islamique mondiale. Musulman, ce n’est pas une nationalité. Et ce ne devrait pas avoir vocation à le devenir.

La république laïque et les religions (notamment les confréries musulmanes) au Sénégal ont trouvé un terrain d’entente endogène, consistant a ce que chacunes aient leurs chasses gardées, depuis l’abandon par Léopold Senghor de l’imposition d’un code de la famille à tous. A la France, avec les musulmans français (et avec les Français non-musulmans!), de trouver un modus operandi conduisant à un modus vivendi propre à eux, de comment « être à la republique ». sans avoir à subir la pression des 2 milliards de musulmans de la planète. La France institutionnelle s’y attelle depuis l’affaire des foulards de Creil, en 1989. Et il faudra qu’on souffre que les lois qui seront issues, au fur et à mesure, de ce processus soient de portée générale, impersonnelles et s’appliquent à tous en France. C’est la définition même de la loi dans une république. Sinon, il n y a plus de « contrat social ».

Damel Mor Macoumba Seck
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