[Interview Exclusive Tract] Ferdinand Coly : «Pape Bouba Diop, héros choisi par le destin parmi nous tous, pour rester à jamais dans l’Histoire»

Ferdinand Coly : dans son cœur de Lion, il y a Pape Bouba Diop

(Tract)- Ancien international de l’équipe sénégalaise de football, Ferdinand Coly se fait rare dans le landerneau du sport-roi . Un choix volontaire de l’ex-capitaine des «Lions» qui revient sur la disparition de son ancien co-équipier de la génération 2020, Pape Bouba Diop. Dans cet entretien qu’il a accordé conjointement à Vox-Populi et au site d’information Tract.sn, il revient aussi sur sa vie actuelle, sur l’équipe nationale et l’affaire qui l’oppose à l’homme d’affaire et politicien mbourois, Saliou Samb.

Votre ami Pape Bouba Diop est décédé récemment. Certainement que cela a suscité beaucoup d’émotion chez vous ?
Ah oui ! Beaucoup d’émotion même. Quand on m’a appelé pour m’annoncer la mauvaise nouvelle, je n’y ai pas cru sur le coup. Certes, je savais qu’il était souffrant, mais de là à ce qu’il nous quitte aussi vite, si jeune… C’est vrai que ça a été un énorme choc pour tout le monde. Après, on a appelé à gauche et à droite pour avoir plus de précision. Et, malheureusement, c’était confirmé.

Que retenez-vous de spécial de Pape Bouba ?
De spécial…C’est une contradiction, mais c’est sa discrétion. Et sa discrétion a fait qu’il rayonnait par sa simplicité. Il était le plus discret et le plus effacé d’entre nous. C’est la marque du personnage. Et c’est un contraste quand on voit la médiatisation qu’il a eue pendant cette Coupe du monde 2002 avec ses 3 buts, lui le milieu de terrain et surtout le seul buteur face à la France. Ce qui va rester pour l’éternité. Alors, je pense que le destin avait choisi son héros parmi nous tous, lui qui restera à jamais dans l’Histoire.

Une anecdote sur cette campagne de 2002…
Cette campagne de 2002, c’est vrai que Bouba c’est toujours dans la discrétion. Il avait commencé vraiment par cette Coupe d’Afrique 2002 au Mali. Il était dans le groupe, mais toujours discret. Il s’est imposé dans la discrétion jusqu’à devenir un titulaire, c’est pour ça qu’à la Coupe du monde il a explosé. Parce qu’à la CAN, il ne jouait pas au début. Et après, au fur et à mesure, près la CAN, il a commencé à exploser. Je me rappelle quand il venait à Lens, au mois de janvier-février 2002, après la CAN, en fin d’hiver, un gosse qui arrive tout timide, il ne savait pas où se mettre. Et c’est le contingent africain et sénégalais surtout, qui lui a permis de prendre ses marques, jusqu’à devenir titulaire indiscutable. En fin de saison, il avait joué, je pense 6 matches. Et la saison d’après, il a été un titulaire indiscutable.

Que vous inspire l’hommage que le Sénégal lui a rendu ?
C’est une fierté. C’est vrai que certains diront à titre posthume. Mais cet hommage qui a été rendu, c’est un geste fort, un signal très fort. C’est Pape Bouba Diop qui a été honoré, mais c’est l’ensemble des sportifs qui ont été honorés. Ses co-équipiers de 2002 qui sont honorés aussi, parce que c’est un sport d’équipe. Donc, c’est une reconnaissance et il faut aussi remercier le chef de l’Etat pour ce geste.

Mais est-ce qu’il ne serait pas mieux d’honorer ceux qui honorent le pays pendant qu’ils sont en vie ?
Oui, je dirai que c’est des coutumes qui sont là. On a vu Diego Armando Maradona célébré à titre posthume. Naples a même décidé de nommer son stade en son nom. Mais il est difficile d’honorer tous les dignes fils de ce pays. Car, il n’y a pas que dans le sport, dans d’autres domaines aussi, il y a des dignes représentants du Sénégal. Et les honorer, c’est peut-être les respecter tout simplement, les protéger. Et puis, en louant certains illustres dignes fils de ce pays dans n’importe quel domaine, c’est honorer une profession ou tout un domaine. C’est de la reconnaissance, mais il est vrai que les dignes fils de ce pays ne réclament rien. Si on t’honore tant mieux, si on ne t’honore pas bon, on est comme des soldats qui ont été au service du pays. Et encore mieux, les soldats ont du mérite, parce qu’ils risquent leur vie, nous on joue pour notre pays. Mais on ne risque pas notre vie sur le terrain, donc faut remettre les choses aussi à leur place. On apporte du réconfort, de la joie. Je ne dis pas que ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas le même domaine, un soldat aura peut-être plus de mérite, car il risque sa vie.

N’est-ce pas par humilité que vous dites cela ?
Non ! Pas du tout. C’est la réalité. Parce qu’on ne peut pas comparer un soldat à un joueur de foot. Un soldat risque sa vie, nous, nous ne risque pas notre vie sur le terrain, on peut juste donner de la joie. Parce qu’on le voit par ces temps qui courent, cette année 2020 est très difficile, un peu de réconfort, un peu plus de solidarité de voir, peut-être, aussi des acteurs qui les ont fait rêver en remontant des images passées sous le sceau de l’unité, pour ressayer de réduire les peines et les injustices.

L’actualité, c’est le racisme dans le football avec le Sénégalais Demba Ba qui s’est distingué lors du match entre Paris et le Basaksehir Istanbul. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
De la tristesse (il se répète). Je pense que Demba, s’il avait pu éviter d’être affiché de la sorte, il en saurait passer. Mais je trouve que c’est une réaction humaine, une réaction d’un digne fils d’Afrique. C’est une réaction aussi d’un homme engagé, car cette calomnie, il l’a toujours dénoncée. Je pense que son expérience et son aura ont permis aussi de mobiliser l’équipe adverse, ce qui est extrêmement rare. Parce que, en général, chacun reste dans son coin au moment où on vous stigmatise. Et ça c’est un geste fort des deux équipes et il faut reconnaître la grandeur de l’effectif parisien. C’est des stars, mais ils ont compris qu’ils vivaient un moment exceptionnel et ils ont marqué en histoire du football. Parce qu’un officiel qui se permet de faire ça, c’est décevant. Et souvent, on s’en prend aux supporters, mais là un officiel, un quatrième arbitre, c’était de la bêtise.

Avez-vous été victime de racisme dans le foot ?
Malheureusement oui. J’étais victime de ces cris racistes, je me rappelle c’était en 2003 et 2004 et il y avait eu une réaction aussi forte. Parce que lors d’un match de championnat d’Italie entre Pérouse où je jouais et Ellas Vérone, il y avait eu des cris mimant des singes. Il y avait également Pape Waïgo Ndiaye qui était dans cette équipe Ellas Vérone, ses propres supporters le sifflaient. Je croyais que c’était pour moi, mais c’était pour lui aussi. C’était triste. Mais la réaction a été forte en Italie. Il y a eu des slogans, une mobilisation incroyable et là,.on se sent réconforté. Aujourd’hui, les choses ont évolué, les joueurs sont plus conscients de leur pouvoir. Car, le fait de quitter tous ensemble le terrain montre qu’il y a une prise de conscience. Et les instances du football doivent redoubler d’effort pour combattre ce fléau.

Quel regard jetez-vous sur l’équipe nationale du Sénégal actuellement ?
Actuellement, on attend énormément de cette équipe. Car, la finale perdue face à l’Algérie en Egypte restera en travers de la gorge, parce qu’on avait quand même les possibilités de gagner. Et là aussi, c’est l’éternel recommencement, parce que 2022 est là, il faut vite se remettre en question. On est attendu, on fait partie des favoris, il faut l’assumer et ça ne sera pas facile. Ce sera en terre camerounaise, avec beaucoup d’adversaires, beaucoup de prétendants. On a du talent les autres aussi ont du talent. Mais aujourd’hui, dans le foot, le talent seul ne suffit pas. Il faudra jouer un peu plus en équipe. Mais avec une étoile comme Sadio Mané, tout est possible. Donc, je pense qu’ on est encore dans les temps pour améliorer et corriger nos lacunes.

Qu’est-ce qui explique qu’à chaque fois qu’on est proche du sacre, à la fin c’est la déception ?
C’est vrai que souvent on a été très proche, mais ce qui se passe après c’est un vide. C’est beaucoup d’énergie qui a été dépensée, pour de la déception derrière. Il ne faut pas oublier aussi que Monsieur Corona est passé par là. Neuf mois sans que l’équipe se voit, d’où le match un peu difficile contre le Maroc. Retenir aussi que la défaite fait partie du jeu, il faut l’accepter avec humilité et se dire qu’on va travailler plus encore. On observe nos adversaires, mais il faut se dire aussi que nos adversaires nous observent aussi. Du coup, c’est à nous de trouver une parade.

S’il y a un message fort à l’endroit de ces «Lions» pour la prochaine CAN pour honorer la mémoire de Pape Bouba Diop, ça serait quoi ?
Je pense qu’il ne faut pas leur mettre la pression. C’est vrai que l’attente est extrêmement forte et qu’il faut se dire que la déception peut aussi être grande. Mais c’est le sport, je ne vois pas un joueur qui vient dans équipe nationale pour se la couler douce. Tous ces sacrifices qu’ils font, c’est pour honorer le maillot national. Après, ils peuvent avoir des réussites ou des contre performances. On a porté le maillot, ça a été difficile aussi pour nous un moment, mais l’essentiel c’est de tout donner. Et quelqu’un qui donne tout, on ne peut pas lui en vouloir. Je pense il faut qu’ils y aillent sereinement, match par match, et après user le sentiment d’avoir tout donné.

Est-il possible que vous reveniez dans le staff de la sélection ?
Non ! Je suis venu à l’équipe nationale dans une période noire. C’était très difficile avec Amara Traoré, Abdoulaye Sarr, 2e ou 3 adjoints d’Amara, on a abattu des qualifications exceptionnelles. Malheureusement, après on a eu cette contre-performance en Guinée-Equatoriale. Après, il y a des transitions avec Koto, c’était difficile quand même. Mais derrière, dans l’ombre c’est vrai j’avais abattu un terrain de travail important et j’avais besoin aussi de prendre du recul. Parce que le staff a été limogé encore avec Joseph Koto. Et pour moi, il ne faut pas attendre. Quand on le sentiment d’avoir donné le maximum, il faut laisser la place et puis la vie continue.
Ce qu’on peut amener de positif à l’équipe, on le fait. Je pense que l’équipe nationale est ouverte à tout le monde, à toutes les bonnes volontés. Les gens ne sont que de passage, tout ce qu’on peut amener comme plus, on le fera. Par exemple, on est en train de voir comment syndiquer les joueurs locaux affilié à la Ligue Pro. Ça, je pense que c’est primordial et c’est capital. Parce que le foot local mérite aussi d’avoir un peu de visibilité et de moyens. Car, on ne peut pas être première nation et avoir un championnat en difficulté. Donc, c’est à nous de voir qu’est-ce qu’on peut faire de bon, chacun pour essayer de son côté d’amener quelque chose. C’est un cadre défini dans le long terme, mais on essai trouver des solutions.

Justement, d’où la demande de beaucoup de Sénégalais qui réclament votre retour dans le staff ?
Mais bon, je n’ai pas besoin de revenir dans le staff. Ce que j’ai à faire je le fais, si je vois des opportunités qui peuvent amener un plus, je le dis à qui de droit. Et je crois que l’Association des footballeurs professionnels du Sénégal, représenté par son Secrétaire général, Lamine Mboup, qui avait initié ce mouvement quand il n’y avait rien, est légitime pour cela. Et qu’on soit tous derrière lui pour syndiquer ces joueurs. Parce qu’une carrière de football international, c’est court. Imaginez un footballeur professionnel avec ces conditions difficiles, il faut aussi prévoir l’après football et essayer de voir ce qui est possible de leur offrir en termes de formation, etc. Le football, c’est beau, mais après il faut vivre.

Où en êtes-vous avec votre différend avec Saliou Samb de Mbour ? Pouvez-vous nous faire le point sur cette affaire ?
C’est une affaire qui est en justice sur laquelle je ne veux pas trop m’étaler. Mais ce que je peux dire, c’est qu’on a été trop patient, on n’a pas voulu trop communiquer. C’est une affaire qui date d’assez longtemps. J’ai alerté, j’ai sensibilisé mais bon, on patiente. Aujourd’hui, je pense que chacun doit prendre ses responsabilités. Moi, je les ai prises, je ne peux pas trop m’avancer là-dessus, mais je souhaite à ce monsieur, je ne citerai pas le nom, ou à ces personnes de faire le nécessaire. Parce que c’est vraiment moche (il le répète avec une voix étreinte d’émotion).

Vous l’avez dit, c’est une affaire qui date de longtemps, avez-vous senti une certaine solidarité dans ce combat ?
Non, je n’ai pas besoin de solidarité. Parce que, en tant qu’investisseur, j’ai pris mes responsabilités et je n’ai pas demandé à qui que ce soit de m’aider. Mais j’ai attendu comme tout Sénégalais qui a un problème en justice, et ce n’est pas un petit problème mais un gros problème, j’ai attendu comme tout le monde que justice soit faite. Mais je pense que les règles du jeu, c’est de ne pas trop communiquer. Je sais que si c’est un sportif de haut niveau, on lui demande souvent de montrer l’exemple pour la jeunesse, il doit être un modèle, on demande des soutiens, des parrainages des ceci et cela. On a un devoir d’exemplarité, je pense que cela devrait être la même chose pour tout le monde. Si c’est un footballeur qui déraille, il y a des gens qui s’empressent de taper vite fait sur cette personne. Donc, aujourd’hui, je ne parle pas moi seulement, mais aussi ceux qui sont victimes de certaines choses. Car, c’est comme le racisme, il faut dénoncer et le combattre. Et je suis là pour ça, parce que ce n’est pas seulement moi, mais des personnes qui étaient dans l’aventure. D’autres ont perdu la vie et ne sont plus là, c’est lourd. Mais bon, on continue la lutte et c’est sûr qu’une solution sera trouvée. Mais me poser la question, c’est bien. Mais je pense que si vous posez la question à ce monsieur, il ne va pas répondre (éclat de rire). Car, c’est tellement gros. Mais moi, j’ai attendu amplement et j’ai tous les documents, je ne vais pas communiquer encore. Je laisse la possibilité à chacun de prendre sa responsabilité. Après, on fait le point : si c’est bien, si ce n’est pas bien, je sais ce qui me reste à faire.

Alors, si ce n’était pas cette affaire, on n’a jamais entendu des choses sur vous. Comment avez-vous su gérer votre image en tant que célébrité. Ou êtes-vous cachotier ?
Non, ce n’est pas ça. Je n’ai pas eu le choix, malheureusement. On a vu qu’on n’a pas la possibilité d’avoir un peu de moyens et on est en Afrique, on sait comment ça se passe. Il y a une difficulté et il y a une forme de solidarité. Et cet investissement, c’était aussi une création d’emplois qui était assez importante. Donc, c’est un coup, un sentiment, on dit que les affaires ce n’est pas un sentiment. Mais on a un devoir, quoi que ça coûte. La preuve, j’ai pris mes responsabilités et ce n’est pas une affaire qui date aujourd’hui. Mais si la personne est aussi désœuvrée, je ne pense pas être resté dans un pays comme ça. Et certains commentaires disent que l’habit ne fait pas le moine ou que tout ce brille n’est pas de l’or. Or, c’est la société qui est comme ça. Quand vous voyez une personne, vous pensez ça y est il est là, il est dans ses champs, il n’a plus rien. Alors qu’on n’a pas tous la même façon de voir le bonheur. Le bonheur, ça peut être, ou être dans les champs, dans une voiture ou encore voyager chaque matin. Chacun à son interprétation du bonheur. Moi, j’ai toujours été effacé, un peu tranquille dans mon coin. C’est mon éducation aussi qui est comme ça, c’est la personnalité.

Que fait désormais Ferdinand Coly ?
Je suis en réflexion (rires).

Une réflexion par rapport à quoi ? Ecrire un livre, faire vos mémoires ?
Non, non (rires…). Je pouvais écrire un livre, mais je ne vais pas le faire, car ça m’appartient, mais je suis en observation. C’est vrai que j’ai passé beaucoup de temps en retrait à cause de cette affaire, sincèrement. Heureusement pour moi, je me suis aperçu de beaucoup de choses et ça m’a permis de réfléchir, d’apprécier la population sénégalaise, parce que je n’ai pas grandi ici. Du coup, je ne connaissais pas vraiment le Sénégal. Et là, j’ai vu le Sénégal des villages, je n’aime pas trop les villes. Parce voilà, cela me correspond bien là où je suis. Vous savez aussi, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Donc, tout ça fait partie de la vie et il faut l’accepter. J’accepte tout, c’est ça j’ai la force, chaque problème à une solution.

Donc, comme on dit « à toute chose malheur est bon… »
Ah ! je ne dis pas « malheur est bon ». Parce que le temps ne se rattrape pas. Mais il faut relativiser, on a la bonne santé, l’essentiel est que les choses rentrent dans l’ordre et que chacun continue sa vie. Maintenant, pour revenir à Pape Bouba Diop, lors de ses funérailles, c’est poignant. Car j’ai senti une peine, un chagrin national et ça c’est exceptionnel. Et de retrouver aussi notre génération de 2002 et la famille du football, forcément, on met tous un genou à terre. C’est l’occasion aussi de nous voir entre nous génération de 2002 et en tant qu’anciens footballeurs, comment soulager certaines peines des populations. C’est-à-dire s’organiser un peu mieux entre nous pour donner du baume au cœur, amener de la joie, faire plaisir. Apporter un peu de réconfort aux gens par rapport à des actions. Parce que, actuellement, les temps sont compliqués.

Entretien réalisé par Adama Aïdara KANTE

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