4 Avril : 60 ans après, pourquoi fêter « l’Indépendance », et non la Nation tout simplement ?

 

 

Ce 4 avril 2020, en raison de la coronacrise mondiale, le Sénégal aura célébré sa fête nationale dans la sobriété : le président Macky Sall a présidé une prise d’armes et passé les troupes en revue, dans la cour d’honneur du palais présidentiel.  Pas de discours. L’adresse à la Nation a été prononcé la veille. Mais pourquoi s’obstine-t-on a appeler cette fête nationale « la fête de l’Indépendance », 60 ans après celle-ci? Ne devrait-on pas tout simplement désigner le 4 avril comme la fête nationale? D’autant que notre indépendance a été acquise (octroyée diront plus justement certains) sans lutte de libération et sans qu’aucun coup de feu ne soit tiré. Si ce n’est contre notre compagnon de confédération entre 1958 et 1960, l’ex-Soudan français et actuel Mali.

« Moom sa reew » ( indépendance, en wolof. Plus précisément « posséder son pays ») : après le Cameroun en début d’année, le Sénégal est le deuxième des 17 pays d’Afrique, anciennes colonies françaises pour la grande majorité, qui célèbrent cette année leur accession à l’indépendance en 1960. Mais tout comme le géant d’Afrique centrale, l’histoire de l’indépendance sénégalaise a été une longue marche, jalonnée de plusieurs dates et marquée par des tournants historiques, comme l’écrit le Point français. En effet, ce 4 avril, on se souvient surtout que le Sénégal a obtenu son indépendance dans le cadre de la Fédération du Mali. Après la signature des accords de dévolution des pouvoirs de la Communauté française à la Fédération du Mali par les délégations de la France, du Soudan français l’ancien nom du Mali (Bilal-al-Sudan, le pays des Noirs, NDLR) et du Sénégal à l’hôtel Matignon. Il faudra attendre le 20 août 1960 pour que le Sénégal, en tant que tel, soit indépendant.

Les années cruciales avant le 4 avril 1960

La Fédération du Mali a été le fruit de longs débats au sein de la classe politique africaine portant sur le « fédéralisme » survenus vers les années cinquante. L’idée était de réfléchir à l’après indépendance. Une des réponses a été apportée à travers la Loi-cadre Defferre pour l’autonomie de l’ensemble des territoires de l’AOF (Afrique occidentale française) et de l’AEF (Afrique équatoriale française) et Madagascar de 1956. Certains tels que les Sénégalais Mamadou Dia et Senghor étaient pour la « fédération » et la loi-cadre Defferre. Mais ils voulaient que le texte soit une base solide pour encadrer les indépendance. Ce qui expliquent pourquoi ils n’ont pas voté le texte. À l’opposé, d’autres, dont l’ancien président ivoirien Houphouët-Boigny était totalement contre. Les leaders de quatre pays avaient alors décidé de se rassembler afin d’éviter l’émiettement de l’Afrique francophone mais surtout convaincus d’inventer une nouvelle manière de gérer leurs pays, leur histoire, qui ne soit pas importée du colonisateur. Ce rêve prend forme à Cotonou en 1958, où plusieurs responsables se retrouvent autour d’un parti transnational, le PRA, le Parti du regroupement Africain. Deux défis : d’une part le problème de reconstituer cette unité perdue et l’accéssion à l’indépendance. Et autant de voix qui s’affrontent entre les partisans qui souhaitaient avant tout aller vers l’indépendance. Et d’autres qui pensaient déjà à l’après indépendance, ce qui demandait beaucoup de temps. Entre temps, le général De Gaulle avait effectué un périple en terre africaine pour défendre son idée de communauté avec la France. L’idée est de réunir les futurs pays indépendants africains dans une large communauté avec la métropole. Le vote fixé au 28 septembre 1958 est unanime : seule la Guinée dit non à de Gaulle. Il restait donc sept État dans la Communauté française. Quatre pays que sont le Sénégal, l’ancien Dahomey (actuel Bénin), la Haute-Volta (devenu le Burkina Faso) et l’ancien Soudan français, l’ancien nom du Mali – se rapprochent autour de Modibo Keïta (1915-1977) instigateur du projet de fédération. Autour de lui on retrouve Senghor et Dia, ou encore Sourou Apithy. À Dakar, le 17 janvier 1959, ils se mirent d’accord sur un projet de constitution.

« Quand un enfant est devenu grand […] il prend ses responsabilités et décide de fonder un foyer. Les parents s’en émeuvent d’abord et puis ils acceptent ». Le 4 avril 1960, Léopold Sédar Senghor obtenait l’indépendance de la Fédération du Mali (Sénégal et actuel Mali).

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Un rêve s’effondre et un autre commence pour le Sénégal

Mais les pressions convergentes de la France – qui n’a pas hésité à mettre en jeu son soutien économique à certains états – et du président ivoirien, Félix Houphouet Boigny, se font plus fortes, le Dahomey et la Haute-Volta se retirent avant. La France ne voulait pas voir son principal allié, la Côte d’Ivoire isolé dans la sous-région. On se souvient des propos du général De Gaulle qui affirmait que « la République du Soudan, je connais, la république du Sénégal, je connais, la Fédération du Mali, je ne connais pas. » Il apparaissait clairement pour les partisans de l’Union que l’ancien colonisateur n’allait pas leur faciliter la vie au sein de la communauté. Et ce d’autant plus que l’union avait fini par être réduite à un tête-à-tête sénégalo-soudanais. Le 4 avril effectivement, les députés choisissent Léopold Sédar Senghor comme président de l’assemblée et élisent Modibo Keïta comme chef du gouvernement fédéral. Plus tard, l’homme d’État malien sera reçu par De Gaulle puis l’indépendance de la Fédération sera proclamé par Léopold Sédar Senghor, le 20 juin 1960, à l’issue des négociations. Hymne, drapeau, tout était fédéral. Mais l’élection du chef de l’État pour la présidence de la Fédération prévue pour le 27 août 1960 n’aura jamais lieux. La Fédération éclatera tout juste quelques jours avant le 20 août 1960.

Accélération vers l’indépendance

Alors que tous les acteurs clés sont à Dakar, capitale de la Fédération, on raconte qu’une tentative de prise de pouvoir militaire a eut lieu. Mais les tensions se faisiaent déjà ressentir alors que Modibo Keïta affutait sa philosophie d’État centralisateur. Revigoré par un congrès à Saint-Louis où il avait été vivement acclamé, celui qui deviendra le premier président du Mali indépendant n’avait pas d’estime pour Senghor, jugé trop proche de la France, et trop sur une ligne médiane que lui ne saisissait pas. Il se voyait donc déjà président. Modibo Keïta commence alors à craindre les tensions et unilatéralement il prend un décret pour désigner le chef d’état-major de l’armée, le colonel Soumaré sans passer par le ministre de la Défense, qui est Mamdou Dia. Senghor et Dia décident alors de contrecarrer les plans de Keïta. Dans la nuit du 19 août se met en marche le mécanisme qui va conduire à la séparation de la Fédération. Modibo Keïta convoque un conseil des ministres extraordinaire dans la soirée pour empêcher la sécession du Sénégal. Mamadou Dia est déchargé de la défense. L’état d’urgence est proclamé. En réponse Dia fait appel aux hommes de la gendarmerie majoritairement sénégalais. L’assemblée est convoqué et dans cette nuit du 20 août 2020 est votée l’indépendance du Sénégal. Le 22 septembre 1960, le Soudan français proclame à son tour son indépendance sous la conduite de Modibo Keïta, tout en conservant le nom de Mali. Malgré son échec, de nombreux historiens considèrent que l’expérience de la Fédération du Mali était un pas important pour le panafricanisme.