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Tribune: A 50 ans, si on n’a pas transhumé, c’est qu’on a ‘raté’ sa vie … politique

Publié le

Par Balla Diéye *

Honni soit qui mal y pense. Contrairement à ce qu’a pu affirmer un ancien premier ministre français perdu dans les méandres de l’islamophobie : « expliquer » ce n’est pas nécessairement « excuser ». C’est plutôt essayer de comprendre et ainsi se donner les moyens d’agir. Lorsqu’un phénomène politique, la transhumance, commet l’exploit de dépouiller un mot de son sens originel, il dit forcément quelque chose de sa société. Quelque chose d’autrement plus profond que les simples joutes politiciennes. Quelque chose sur la nature du contrat de vie commun qui est tacitement conclu.

« A 50 ans… » Cette expression est empruntée à un ancien publiciste1 qui semblait décrire un cap suffisant pour déterminer si oui ou non une vie était une réussite. On ne poussera pas l’emprunt jusqu’à considérer la seule acquisition d’une Rolex comme déterminant pour faire tomber la sentence.  A contrario, le critère de la transhumance parait être un bon baromètre pour juger d’une trajectoire politique. Qui a « réussi » ou « raté » sa vie politique selon qu’il ait transhumé ou non? La réponse tient plus dans ce que l’on admet comme réussite, et par déduction l’échec, que dans le phénomène de la transhumance lui-même.

C’est en jetant un regard froid sur les évènements que surviennent un certain nombre d’interrogations. Qui sont ces gens qui transhument ? Peut-on les résumer comme de simples personnes qui n’ont d’autres motivations que l’appât du gain ? Il en existe surement. Mais il est difficile de croire que le gros du lot  n’ait jamais eu une réelle foi dans les combats qu’ils ont menés. Car oui, transhumer ce n’est pas seulement changer de prairie. C’est aussi, quelque part, s’assoir sur ses combats antérieurs.  Ce serait  un brin naïf d’attribuer le « mérite » de ces trajectoires à leurs seuls auteurs.

Qu’est ce qui fait qu’après avoir sacrifié tant de végétations pour implanter son parti et ses idées, Iba Der « la science» se soit donné corps et âme à Wade puis à Macky Sall ? Qu’est ce qui explique qu’AJ/PADS, après avoir marqué son temps notamment par ses combats d’avant-garde, a explosé entre le Sopi et le Macky ? Que nous raconte la trajectoire des naguère jeunes et brillants administrateurs civils que furent Feu-Djibô Kâ et Abdoulaye Makhtar Diop ? Abdou Fall, Ousmane Ngom, Abdourahim Agne…etc. Dans un autre registre Amath Dansokho, Bathily, Abdou latif Coulibaly, Souleymane Jules Diop…etc A quel moment s’opère la bascule ? Deux coupables semblent désignés : le temps et la société.

« Si nous n’en faisons pas un ami utile, il sera pour nous un ennemi redoutable » disait Ernest Young à propos du temps. Le meilleur moyen d’en faire un ami est de ne pas lui confier ses combats, encore moins ses convictions. S’inscrire dans le temps, dans un certain temps, vous contraint à céder à la dictature du résultat. Or rien ne dit qu’on devrait être contemporain des résultats des combats que l’on porte ? Raisonner ainsi c’est potentiellement, à l’heure du bilan, constater un « échec » et en tirer des conséquences. Une, sans doute plus digne : se retirer et passer à autre chose. Une autre, plus commode : se fondre dans la masse.

Le complice désigné du temps est indéniablement la société. C’est au nom d’une certaine vision qu’on en aurait  que l’on porte généralement des combats. Et fatalement cette vision est en opposition avec ce qui est globalement admis.  Il faut ainsi, soit accepter de se construire, tout une vie durant, contre les « siens », sans aucune garantie de résultat ; Soit, à un moment donné, se convaincre lâchement qu’il est peut être mieux de s’adapter à son environnement. On convoquera alors des concepts creux comme « Essayer de faire changer les choses de l’intérieur » ou encore « on ne peut éternellement être dans la contestation ». La réalité est que la société aura réussi à imposer ses codes. Ainsi « réussir » sa vie politique n’équivaudrait plus à porter avec une certaine constance des combats, des convictions et des principes. Il faut désormais impérativement s’assoir à la table et tout faire pour y demeurer, y compris en transhumant. C’est autrement plus gratifiant et tellement moins contraignant.

Il faut s’autoriser la faiblesse de croire ne guère valoir mieux que les transhumants, pour peu que la volonté soit de réellement endiguer le phénomène. Faire ce constat c’est reconnaître que nous avons, consciemment ou inconsciemment, bâti un système qui a réussi à happer ceux qui, hier encore, portaient haut le flambeau du combat contre la transhumance. Comprendre que ce que nous dénonçons est en chacun d’entre nous est l’étape zéro de toute résurgence politique. Il ne s’agit pas d’un exercice d’auto-flagellation mais plutôt de toujours convoquer la responsabilité individuelle avant celle collective. Sur la première on peut toujours agir, aussi bien le transhumant que celui qui s’en croit loin. Sur la seconde, des années d’incantations n’ont jamais rien résolu.

La transhumance n’est autre que la conséquence du consensus implicite selon lequel nous avons choisi de vivre. Si d’aucun abandonne le combat aujourd’hui, c’est que ceux qui l’ont porté honorablement, avant eux, jusqu’au bout, sont tombés aux oubliettes sans aucune forme de reconnaissance. Les batailles perdues d’avance ne méritent pas d’être menées, diront certains. D’autres ne savaient pas que c’était impossible, ils l’ont donc fait. Au fond, tout est question de perspective de vie. Combattre pour vivre ou vivre pour combattre. C’est comme lorsqu’on vous assène que vous avez « raté » votre vie politique parce que vous n’avez jamais connu les joies de la transhumance. Ne ruez pas dans les brancards, c’est peut-être là un compliment.

 

dieyeballa@yahoo.fr, Montpellier

 

1 Jacques Séguéla, pour défendre Sarkozy empêtré dans une accusation de présidence bling-bling, notamment au travers de sa montre de marque Rolex, avait sorti cette phrase : « Si à 50 ans on a pas une Rolex, on a raté sa vie »

 

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