AOC 3 : Sortie(s) des urnes ! (Par Aminata Thior)

Nous avions le choix entre la continuité et la rupture ce 24 février 2019. Qu’en avons-nous fait ? On le saura vendredi. Mais en attendant, avant d’être divertis par les prochains scandales dont nous aurons droit d’ici la proclamation des résultats, il y a eu des faits qui méritent d’être retenus pendant ces élections présidentielles. Voici les miens.

5 candidats, 5 parcours politiques et 5 visions pour le Sénégal

Nous sommes passés de 14 candidats à l’élection présidentielle de 2012 à 5 candidats en 2019. Oui, les conditions qui nous ont ramené à ce nombre réduit sont fort contestables mais cela nous a permis de nous concentrer sur seulement 5 parcours politiques et 5 visions pour le Sénégal. Cela a permis de disséquer un bilan mais aussi chaque personnalité et chaque programme. Le candidat Macky Sall y a eu le temps de montrer son côté humain et sa proximité avec le peuple. Madické Niang y a retrouvé l’innocence d’un nouveau-né aux yeux de bon nombre de Sénégalais. Idrissa Seck a eu l’occasion de s’expliquer sur son passé et sur l’injustice subie. Issa Sall a mis en avant qu’on pouvait faire de la politique avec de la patience, de la rigueur et de la discipline (mais bon, sa méthode percera dans un demi-siècle peut-être. Il faut croire que le Sénégal n’est pas encore prêt …). Et enfin, le candidat Sonko a eu l’opportunité de démontrer qu’il n’était pas uniquement le candidat des réseaux sociaux.

La nécessité de rester sur un petit nombre de candidats aux présidentielles devrait donc être un acquis. L’enjeu maintenant pour les prochaines échéances électorales, c’est d’assurer avec hargne, que les candidats soient choisis dans les règles de l’art.

On peut arrêter de parler de vote ethnique et se concentrer sur la construction d’une république svp ?

Dans notre éducation sénégalaise, l’une des principales prières que les parents formulent souvent à l’endroit de leurs enfants, c’est de réussir et de soutenir la famille proche puis lointaine (tekki diapalé wa keurgui gui ak mbok yi). Nous sommes biberonnés à cette prière. Elle est crachée dans nos oreilles depuis la naissance. Des prières pour réussir et travailler pour le Sénégal sont presque inexistantes dans notre vocabulaire. Et cela se traduit dans nos actes et choix quotidiens. Les rares hommes et femmes sénégalais qui privilégient le Sénégal d’abord puis le reste ensuite, sont les plus marginaux d’entre nous. Avec mépris, on les a catalogués de fous (dof yi). La notion de famille et de communauté (mbokk) a toujours été donc prépondérante sur la notion de nation, de pays. Alors, pourquoi sommes-nous étonnés de voir que les Sénégalais votent par appartenance ethnique ou religieuse ou juste par sympathie (pour tel ou tel autre candidat parce que celui-ci fait partie de sa communauté) ? Pourquoi serions-nous étonnés d’un tel fait qui existe depuis l’indépendance du Sénégal ? De Senghor à Sall? Quelle violence cela a-til engendré ? Aucune.

Nous sommes loin du type de vote ethnique comme on peut l’observer dans d’autres pays africains. Ces votes ethniques qui finissent souvent sur des guerres civiles. Non, le nôtre est dépourvu de violence physique. Pour l’instant du moins. Et le seul moyen de prévenir un quelconque débordement, c’est de s’atteler à la construction d’une République. Privilégier le Sénégalais d’abord avant le Diola, le Sérère ou le Halpulaar. Et ce, dans la première sphère de vie qu’est la maison. L’école de la République prendra ensuite le relais. Mais il nous faudra des hommes d’Etat pour mener ce projet à bien. Ce n’est pas chose simple. Senghor et Mamadou ont très bien amorcé la tâche. Diouf et Wade l’ont laissée en rade. Macky Sall n’en a même pas conscience. Le reste à faire sur ce sujet est donc immense.

Nota bene : privilégier la famille puis la communauté avant le Sénégal est tellement ancré en la plupart d’entre nous, que nous serions réfractaires à cette idée de mettre le Sénégal avant tout le reste. Nous devons apprendre que relever notre appartenance au pays avant la famille et la communauté ne nous empêchera pas de nous dévouer à nos proches. Mais pour s’en assurer et le comprendre, il faut s’atteler à ce travail : construire une république.

Non, la maturité du peuple sénégalais n’est pas surcotée

Tout n’est pas parfait dans notre processus électoral (de la campagne à la proclamation des résultats en passant par le vote et le décompte des électeurs). Cependant, nous sommes l’un des rares pays en Afrique où l’on vote sans heurts et violences majeurs. Sans coupure d’Internet. Sans violence exercée sur les opposants. C’est un luxe que nous devons chérir et préserver. Le reconnaitre ne veut pas dire s’enorgueillir et faire les malins, non. Le reconnaître c’est d’en avoir pleinement conscience et de se battre pour protéger cet acquis.

Pendant que des milliers de jeunes sénégalais aspirent à émigrer en Occident, le Sénégal attire des milliers de jeunes autres africains du continent. Levons les yeux et regardons nos écoles et bureaux. Ils sont remplis de jeunes gens issus du continent qui trouvent chez nous, la stabilité économique et politique qu’ils n’ont pas dans leur pays. Cette stabilité sociale et politique, on la doit à la maturité du peuple sénégalais. Il a beau voté par sympathie religieuse ou ethnique, mais la majorité de ce peuple n’est pas prête à sacrifier le Sénégal pour des politiciens.

Encore une fois, il faut en prendre conscience pleinement, s’en glorifier avec humilité et le brandir fièrement. Pourquoi trouvons-nous souvent certains Occidentaux insolents quand ils parlent de leur pays ? C’est parce qu’on leur a inculqué et martelé la grandeur de leur peuple dans bien des domaines. Et c’est ce qui manque au jeune africain.

Et enfin, reconnaître notre maturité, ne nous dispense pas d’avancer sur les chantiers qui la consolident. Mais cela, on y reviendra plus tard.

Sonko, le gagnant de ces élections après le Sénégal

Quelque soit l’issue de ces élections, c’est le Sénégal qui gagne. Puis arrive Ousmane Sonko. Il y a 5 ans, personne ne connaissait cet homme. En 2 ans (depuis 2016, lorsque le grand public sénégalais le découvre), il a dénoncé les dérives d’un pouvoir en place, été radié de la fonction publique, obtenu un siège de député à l’assemblée nationale, décroché ses parrainages, inspiré des jeunes à s’engager en politique, insufflé un vent de rupture, redonné fois à la politique, brigué un mandat présidentiel et obtenu une place dans le top 3 du classement des premiers chiffres de ces élections de 2019. On peut le désapprouver sur bon nombre de sujets, mais nous devons lui reconnaître son parcours exceptionnel et son entrée dans l’histoire politique du Sénégal.

Ces sujets majeurs qui ont manqué dans cette campagne

Le Sénégal ne vit pas dans un monde « bunkeurisé » et traiter en profondeur certains sujets, ne signifie pas aborder des thèmes dits “occidentaux” mais bien des réalités qui nous concernent aussi.

Le monde entier est touché par l’écologie et le Sénégal a ses propres défis dans ce domaine. Il faut observer la dégradation environnementale de la ville de Saint-Louis, l’ampleur des déchets plastiques dans nos villes et la qualité de nos produits alimentaires pour s’en convaincre. Le féminisme n’est pas un problème de blancs, nous avons des chantiers à ouvrir dans ce domaine, en restant dans notre contexte et nos réalités sociales. La culture est un luxe au Sénégal et nos artistes sont toujours célébrés à l’étranger. L’on propose encore des solutions d’urgence en matière de santé alors que le défi est sur des solutions pérennes et efficaces.

La campagne était un bon prétexte pour aborder vivement toutes ces questions fondamentales et ce ne fût pas le cas. Le monde avance sur ces sujets et y être en retard risquerait de nous mettre dans des situations d’urgence.

Oui, les réseaux sociaux ont eu un impact sur les élections de 2019 …

Oui, l’électorat sénégalais est rural. Mais cela a-t-il empêché les candidats de séduire l’électorat urbain, jeune et connecté ? La réponse est non. Même s’ils critiquent les internautes, les hommes politiques au Sénégal acceptent implicitement que ces Sénégalais connectés, la plupart des jeunes, comptent. Et pour voir de plus près l’impact des réseaux sur ces élections de 2019, il faut revenir, de plus près, sur certains faits :

L’on a vu un Macky Sall demander à ses militants jeunes, d’aller assaillir les réseaux sociaux et de défendre son bilan. Et entre octobre et février, on a vu des comptes se créer sur twitter et Facebook pour défendre le bilan du président sortant. Fait à la fois risible et édifiant mais on ne fait pas ce genre d’exhortation à ses troupes, quand on minimise l’impact des réseaux sociaux.

L’on a vu des candidats (tous, sans exception), investir dans une campagne digitale exceptionnelle. Des visuels au top sur Facebook et Twitter. Des messages informatifs maîtrisés. Des Community Managers professionnels (répondant souvent avec courtoisie, aux invectives des internautes).  Comparés à 2012, les candidats ont bien compris l’importance des réseaux sociaux dans leur campagne. Et ce, en termes d’image et d’intention de convaincre de nouveaux électeurs.

L’on a vu des jeunes hyperactifs et hyper intéressés par la chose politique. On a vu des échanges vifs sur les programmes, des débats animés entre militants de tous bords. On a vu des jeunes battre campagne ouvertement et vivement pour leur candidat. En ligne et sur le terrain. C’est fort, essayons de ne pas le minimiser.

L’on a vu des initiatives citoyennes nées sur ces réseaux sociaux pendant la campagne. Elles sont à brandir et à graver dans les annales politiques du Sénégal. Sunudebat n’a pas eu lieu certes, mais en voici une action qui est née des réseaux sociaux et qui est portée avec détermination jusqu’au niveau national via les médias traditionnels. La plateforme de contrôle et d’informations Senegalvote est l’une de ces autres initiatives nées sur les Internets et aujourd’hui utilisée par les médias traditionnels.

L’on a vu des primo votants, partager avec fierté, l’accomplissement de leur premier droit citoyen. On a des vu des Sénégalais, au fin fond du Fouta et de la Casamance voter, prendre des photos ou vidéos et montrer l’affluence de leurs bureaux de vote, nous faisant ainsi vivre, heure par heure, l’élection dans ces zones reculées du pays. D’autres qui motivent les uns à se lever et aller voter.

On a vu des internautes sénégalais, au soir du vote, être en mode vigilance sur les premiers résultats remontés, traquant et critiquant les moindres faits et gestes des candidats et médias.

Au vu de ce rapide tour sur ces faits, on ne peut pas nier l’impact des réseaux sociaux sur ces élections de 2019. Oui, les internautes sénégalais ont mené des actions dans les élections de 2012. En 2019, ils ont eu plus d’ampleur. Ils sont passés à un niveau supérieur. Leur réaction compte et ça se ressent dans les médias traditionnels et donc au niveau national.

En attendant les résultats officiels des élections présidentielles de 2019, je voulais donc apposer ces sujets dans ma mémoire et dans celles de ceux qui y seront sensibles.

Aminata Thior
aminata2s@gmail.com

Ingénieure Télécoms, blogueuse, activiste, féministe, booktubeuse et afropreneure (Sétalmaa)