Coronacrise en Afrique : Une aïd el-Fitr bien sobre

Une célébration de l’Aïd el fitr bien sobre, justifiée par le contexte de coronavirus. Pour autant, la foi des musulmans Africains n’en n’est pas entamée. Ils ont tous prié soit chez eux, soit à la mosquée, selon les règles définies par leurs pays respectifs. Et ont prié Dieu, souhaitant que cette pandémie qui inquiète et perturbe le monde soit sous peu un mauvais souvenir.

Aïd el-Fitr inédit sur le continent. Des millions de musulmans à travers toute l’Afrique ont célébré samedi et dimanche l’Aïd el-Fitr, la fête marquant la fin du mois de jeûne du ramadan, assombrie cette année par les mesures visant à endiguer la pandémie de Covid-19.

Cette fête, l’une des plus importantes du calendrier musulman, traditionnellement célébrée par des prières à la mosquée est aussi synonyme de visites familiales, de repas partagés et d’achats de cadeaux notamment pour les plus jeunes. Mais cette année, les célébrations doivent composer avec le nouveau coronavirus. De la Tunisie au Niger, en passant par la Côte d’Ivoire et le Sénégal, les autorités ont dû s’adapter.

Si certains ont renforcé les restrictions de déplacement après qu’un certain relâchement pendant le ramadan a entraîné une hausse des infections selon les autorités d’autres pays ont assoupli les mesures de verrouillage qui étaient en place dans les mosquées.

L’Arabie saoudite, qui abrite les lieux les plus saints de l’islam, a ainsi vu le nombre d’infections plus que quadrupler depuis le début du jeûne, pour atteindre environ 68 000 cas. Le royaume a donc instauré un couvre-feu total de cinq jours ayant débuté samedi. La grande mosquée de La Mecque était quasiment vide dimanche. Du haut d’une tribune, un imam a tenu une prière à huis clos. Devant lui, des agents de sécurité, certains portant des masques, se tenaient devant quelques fidèles répartis en rangées disposées en cercle avec leur tapis de prière.

Une fête de la Korité bien sobre au Sénégal

Même image de solitude au Sénégal, où le Khalife général des Tidianes, Serigne Mbaye Sy Mansour, a annulé les prières collectives pour la Korité, l’autre nom de l’Aïd el-Fitr, à Tivaouane, capitale de la confrérie tijaniya. C’est aussi le cas de la Grande Mosquée de Dakar où la prière collective ne sera pas organisée cette année. Les autorités sénégalaises ont ordonné à partir du 11 mai la réouverture des mosquées fermées dans un premier temps pour endiguer la propagation du coronavirus.

Certaines autorités religieuses ont néanmoins ordonné le maintien de leur fermeture pour les mêmes raisons. Pays réputé pour sa tolérance religieuse, le Sénégal compte plus de 90 % de musulmans, adhérant pour la plupart à l’islam soufi, représenté par différentes confréries.

Ainsi à Touba, fief du mouridisme, le Khalife général, Serigne Mountakha Mbacké, a maintenu la prière de 10 heures à l’intérieur de la grande mosquée de la deuxième plus grande ville du pays contrairement aux années précédentes où elle était tenue sur un site réservé devant la mosquée, mais sans les femmes et les enfants appelés à rester à la maison.

Dans les familles sénégalaises se rassembler pour le repas de la Korité est quasi obligatoire et peu sont enclin à faire l’impasse pour ce jour attendu, occasion pour les musulmans pratiquants de célébrer les valeurs de fraternité, de pardon et de réconciliation autour de grandes préparations culinaires. « La Korité est le moment de faire du social avec le fameux « mouroum Koor » cette sorte d’impôt du ramadan obligatoire pour tout chef de famille et qui est destinée aux familles défavorisées, afin qu’elles puissent fêter dignement l’Aïd », expliquent nos confrères sénégalais. Et jusqu’au dernier moment, les préparatifs sont allés bon train dans les marchés du pays ravitaillés en poulet et autres mets dédiés à la fête de l’Aïd.

À ce jour 3 000 cas de Covid-19 ont été confirmés depuis l’apparition de la maladie dans le pays le 2 mars.

L’Aïd à domicile, pas si évident

En Côte d’Ivoire voisine, c’est le chef de l’État, Alassane Ouattara qui a donné le ton pour la fin du jeûne. «En faisant la prière ici à domicile, nous avons respecté toutes les restrictions notamment la distanciation et les mesures barrières et je voudrais dire à tous nos concitoyens que nous avons prié pour la santé de chaque Ivoirien, de chaque personne vivant sur le sol ivoirien. Nous avons prié pour que cette maladie s’éloigne de notre pays et s’éteigne dans le monde entier », a fait savoir le président ivoirien, Alassane Ouattara alors que le pays a tout de même assoupli les mesures de restriction concernant les mosquées.

Symbole fort de ce jour si particulier, le chef de l’État dit avoir également prié pour le Cheik Aïma Boikary Fofana, le guide de la communauté musulmane ivoirienne, décédé dimanche dernier des suites du Covid-19.

À l’occasion de la fin du mois de Ramadan, j’ai fait la prière de l’Aïd el-Fitr à ma résidence, dans le strict respect des mesures barrières. J’ai formulé des prières pour la santé et le bonheur de nos compatriotes ainsi que pour la paix dans notre pays.

« Nous allons effectuer cette fois-ci la fête de ramadan à domicile en famille », a annoncé le secrétaire général des Affaires religieuses de Guinée. Mais comment effectuer la prière. Une question que beaucoup se sont posée en ce jour. Elhadj Aly Jamal Bangoura a apporté des précisions au micro d’Africaguinee.com : « On fait les deux Rakats sans sermon. Après l’intention, lors de la première Rakat, on prononce 7 fois Allah akbar suivi de la lecture de la Fatiha et de la sourate 87 Al-‘A’là (le très haut). Si vous ne maîtrisez pas cette sourate, alors vous récitez une sourate qui vous est facile. La deuxième Rakat on prononce 6 fois Allah akbar suivi de la Fatiha et la sourate 88 Al-Ghâshiyah (l’enveloppante) ou à défaut réciter une autre sourate dont on a la maîtrise. On prie en haute voix sans sermon », a déclaré le secrétaire général des Affaires religieuses.

Des milliers de fidèles dans les mosquées du Nigeria

Ainsi les images de personnes priant seules ou en petit comité dans la cour ou devant la maison se sont multipliées comme au Kenya où tous les lieux de culte sont officiellement fermés. Les musulmans du Nigeria ont également été invités à célébrer l’Aïd à la maison.

L’Aïd, connu au Nigeria sous le nom de Sallah, est un moment très important dans le pays où les enfants reçoivent souvent de nouveaux vêtements qu’ils portent à la mosquée. À Kano, dès vendredi à la veille des fêtes de l’Aïd des milliers de fidèles musulmans se sont rendus dans les mosquées de la grande ville du nord et pourtant l’un des épicentres de contamination du nouveau coronavirus.

La grande capitale du nord du Nigeria enregistrait vendredi 875 cas de contamination au Covid-19 et 36 morts, selon les chiffres officiels, mais des centaines de « morts mystérieuses » ont été déclarées à travers la ville où la situation est gravement préoccupante, selon les autorités.
Kano, où la grande majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté, vit sous confinement depuis cinq semaines et les mosquées étaient fermées depuis près de deux mois.

La population, extrêmement pratiquante dans cette région d’islam rigoriste, a particulièrement critiqué la fermeture des mosquées, et des dizaines d’imams ont été arrêtés pour avoir tenté de braver l’interdiction.

Les autorités ont donc finalement permis un relâchement du confinement pendant quatre heures pour permettre aux fidèles musulmans de se rendre à la mosquée. Dans la grande mosquée de Hotoro, dans le centre-ville, environ 3 000 personnes se sont réunies pour une prière exceptionnellement raccourcie à moins d’une heure.

Des gardes distribuaient des gels hydroalcooliques aux fidèles et la police religieuse de la ville, où est appliquée la loi islamique de la charia, distribuait des masques à la foule. « Nous remercions Dieu de pouvoir observer les prières du vendredi et nous attendons de lui des signes de stabilisation de la pandémie du corona », raconte Ibrahim à l’AFP, entouré d’autres fidèles.

La grande mosquée était pleine à craquer et les fidèles se pressaient les uns contre les autres pour écouter le prêche de l’imam Abdulhadi Ibrahim, annonçant les fêtes de l’Aïd de dimanche et priant pour la lutte contre la pandémie qui touche cette capitale millénaire de l’islam. « Quand on regarde les gens, on se rend compte à quel point ils sont heureux d’avoir pu venir prier à la mosquée après des semaines de confinement », conclut Aminu Garba.

Le Maghreb uni sur les mesures de prévention
Les mosquées en Algérie, au Maroc et en Tunisie resteront fermées au-delà de l’Aïd el-Fitr. Les autorités religieuses de ces pays du Maghreb ont toutes insisté sur la nécessité d’accomplir les prières à domicile afin de freiner le rythme des contaminations.

Rentrés au pays juste à temps pour l’Aïd el-Fitr, des milliers de Tunisiens passeront cette fête loin de leur famille, obligés de s’isoler en quarantaine dans des hôtels, afin de lutter contre la propagation du nouveau coronavirus. « C’est une précaution importante pour protéger mes amis et ma famille », raconte à l’AFP Mohamed Khalil, 34 ans, revenu à Mahdia (est) avec son épouse après avoir perdu son emploi de chauffeur de bus à Riyad. L’épidémie a marqué le pas en Tunisie, avec peu de nouveaux malades officiellement identifiés par semaine et 47 décès au total depuis le début de la pandémie.

Mais parmi les onze personnes contaminées identifiées cette semaine, sept étaient déjà placées en quarantaine à la suite de leur arrivée de l’étranger.
« D’habitude, je suis la maîtresse de maison mais là, mon mari va recevoir les inviter tout seul », explique Atef Maherzi, médecin rapatriée mardi d’Arabie saoudite, en quarantaine dans le même hôtel que les époux Khalil. Cette année, elle va passer l’Aïd dans sa chambre à faire les traditionnelles visites familiales « sur Skype » : « C’est un sacrifice pour la santé », estime-t-elle. « Il vaut mieux prévoir d’en faire trop plutôt que de se retrouver avec des hôpitaux débordés. »

Pour le philosophe et anthropologue tunisien Youssef Seddik, la pandémie de coronavirus est le prélude d’une spiritualité retrouvée. « Pour l’islam, les quatre piliers cultuels (ramadan, pèlerinage, aumône et prière) sont devenus plus individuels, ils sont confinés dans la personne en elle-même. C’est très important, car depuis très longtemps dans nos pays musulmans, la dimension collective et cultuelle a pris le pas sur la dimension contemplative de l’individu », a-t-il confié à l’AFP.

« Si ça continue, c’est une très bonne chose. Cela va aider les sociétés islamiques à se débarrasser de tout ce qui est grégaire, ce que j’appelle la croyance du troupeau. Celle qui est facilement conduite par un leader, un cheik ou une idéologie quelconque. Je crois que cela annonce pour l’islam un très large avenir et une manière de réfléchir l’islam que beaucoup de penseurs, d’œuvres et de créations depuis le début du siècle dernier n’ont pas réussi à secouer », analyse pour sa part ce spécialiste reconnu de l’islam. « Aujourd’hui, avec l’interdiction pour des raisons d’hygiène et de santé de la plupart des pratiques collectives, je crois que les gens vont réfléchir à cette vérité oubliée que le rapport doit être direct et sans médiation entre le divin et soi-même », a-t-il conclu

Tract.sn (avec média)