CPI: Gbagbo et Blé Goudé libérés à cause de « l’exceptionnelle faiblesse » des preuves

La CPI détaille pourquoi elle a acquitté Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Les juges de la CPI ont communiqué le jugement motivé de leur décision orale rendue il y a six mois, et ont souligné « l’exceptionnelle faiblesse » des preuves présentées par la procureure.

Pour les deux juges qui ont prononce l'acquittement, auquel s'oppose la troisieme juge, aucun crime contre l'humanite n'a ete commis par Laurent Gbagbo et Charles Ble Goude.
Pour les deux juges qui ont prononcé l’acquittement, auquel s’oppose la troisième juge, aucun crime contre l’humanité n’a été commis par Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.

© ISSOUF SANOGO / AFP

À Abidjan alors que les spéculations vont bon train sur le sort et les ambitions de l’ex-président Laurent Gbagbo et son ancien ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé – acquittés, mais toujours assignés à résidence, à Bruxelles pour le premier et à la Haye pour le second –, la Chambre de première instance de la Cour pénale internationale a rendu publics le 16 juillet les motifs détaillés de l’acquittement des deux hommes de toutes les charges de crimes contre l’humanité qui auraient été commis en Côte d’Ivoire en 2010 et 2011. En résumé, la Chambre à la majorité de ses membres dit « que le Procureur ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve conformément à la norme applicable tel que prévu à l’article 66 du Statut de Rome ».

« L’exceptionnelle faiblesse » des preuves présentées par le bureau de la procureure

Le 15 janvier dernier, la Chambre avait décidé par voie orale, à l’exception de la juge Herrera Carbuccia, d’acquitter M. Gbagbo et M. Blé Goudé. La procureure Fatou Bensouda qui dispose d’un délai de trente jours pour faire appel a décidé de demander une prorogation de ce délai jusqu’au 10 octobre 2019, mais le président de la chambre d’appel de la Cour pénale internationale a rejeté vendredi 19 juillet 2019 la requête formulée par le bureau du procureur. Le juge a estimé que la raison évoquée par Fatou Bensouda n’était pas un motif juste. Aussi, a-t-il rejeté la demande, obligeant le bureau du procureur à respecter les trente jours fixés par le Code de procédure de la cour.

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Dans le détail, les magistrats démontent, point par point, les poursuites contre l’ancien président ivoirien et l’ex-chef des Jeunes patriotes pour crimes contre l’humanité commis en 2010 à la suite de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire. « La procureure n’a pas étayé l’allégation d’existence d’une politique ayant pour but d’attaquer une population civile sur la base de modes opératoires récurrents auxquels auraient répondu les violences et d’autres éléments de preuve indirects cités à l’appui de cette allégation », dévoilent les juges. La procureure n’aurait pas non plus « démontré que les crimes, tels que ceux allégués dans les charges, ont été commis en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but d’attaquer la population civile », poursuivent les juges. Et, enfin, selon la chambre, la procureure n’a finalement pas « démontré que les discours prononcés en public par Laurent Gbagbo ou Charles Blé Goudé étaient constitutifs du fait d’ordonner, solliciter ou encourager la commission des crimes allégués, ni que l’un ou l’autre des accusés a contribué en connaissance de cause ou intentionnellement à la commission de tels crimes. »

Des événements qui ne relèvent pas de crimes contre l’humanité

Au cœur des débats, quatre événements survenus lors de la crise de 2010-2011 : la répression d’une manifestation sur la radiotélévision ivoirienne au cours de laquelle 87 personnes avaient été tuées et celle d’une marche de femmes à Abobo en mars 2011 avec 13 victimes, des affrontements à Yopougon et le bombardement d’un marché – auxquels s’ajoute une série d’événements qui se sont déroulés alors que Laurent Gbagbo était entre les mains des « forces d’opposition » depuis son arrestation le 11 avril 2011. Pour les juges trinidadien et italien, ces attaques n’ont pas les caractéristiques « d’attaque généralisée et systématique » et ne constituent donc pas de crimes contre l’humanité.

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Par ailleurs, l’accusation formulée par le procureur, selon laquelle les deux co-accusés auraient mis en œuvre une stratégie visant massivement les civils favorables à Alassane Ouattara, repose, selon deux des trois juges, sur « des bases incertaines et douteuses, inspirées par un récit manichéen et simpliste ». Dans les mille pages du document on peut lire que « rien ne permet de penser que Laurent Gbagbo aurait refusé de se retirer parce que son plan était de rester au pouvoir à tout prix ». D’autant plus soulignent les juges que de nombreuses forces étaient en présence à ce moment-là. Parmi lesquels « la rébellion des Forces nouvelles prête à s’emparer d’Abidjan, l’armée française et enfin la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci). La preuve que Laurent Gbagbo n’aurait pas eu le contrôle de toute la situation.

Maintenu en détention depuis plus de sept ans, Laurent Gbagbo était jugé pour des crimes commis pendant la crise de 2010-2011, née de son refus de céder le pouvoir à son rival, l’actuel président ivoirien Alassane Ouattara. Les violences avaient fait plus de 3 000 morts en cinq mois. Il avait été arrêté en avril 2011 par les forces du président Ouattara, soutenues par l’ONU et la France. Il est le premier ancien chef d’État à avoir été remis directement à la CPI.

L’ancien président de la République de Côte d’Ivoire acquitté en janvier par la Cour pénale internationale (CPI) a finalement été libéré, à condition cependant de rester dans un pays signataire de la convention de la CPI. En attendant un probable retour dans la vie politique de son pays, Laurent Gbagbo a été accueilli par la Belgique. Quant à Charles Blé Goudé, l’ex-chef du mouvement ivoirien des Jeunes patriotes, libéré au même moment sous conditions par la Cour pénale internationale, il est toujours en attente d’un pays d’accueil pour le recevoir.