En Gambie, l’unique survivant d’un massacre de migrants en 2005 témoigne

La Commission vérité et réconciliation de Gambie, à Banjul, le 31 octbore 2019. ROMAIN CHANSON/AFP

[Tract] – Depuis la chute de Yahya Jammeh en 2017, la Commission vérité et réconciliation passe au crible les crimes commis sous son régime durant vingt-deux ans.

 

Le seul survivant connu du massacre, en 2005, en Gambie, d’une cinquantaine de migrants africains par des soldats gambiens a témoigné, lundi 1er mars, devant une commission locale, donnant un récit particulièrement poignant de la tuerie.

Ce massacre est l’un des crimes commis sous le règne de Yahya Jammeh, arrivé au pouvoir en 1994 par un coup d’Etat dans ce petit pays anglophone d’Afrique de l’Ouest, et qui a dirigé pendant vingt-deux ans un régime de féroce répression, marqué par les tortures, des viols et des exécutions extrajudiciaires. Le dictateur avait été poussé à s’exiler en Guinée équatoriale en janvier 2017, cédant à une intervention militaire africaine après avoir rejeté sa défaite à la présidentielle face à l’opposant Adama Barrow.

La Commission vérité et réconciliation (TRRC) a depuis deux ans entendu des centaines de témoins, dont d’anciens responsables civils et militaires et d’anciens membres d’un escadron de la mort personnel de l’ex-président, les « junglers ».

La semaine dernière, la TRRC, dont le mandat prendra fin en juin, a commencé à examiner l’un des épisodes les plus tristement célèbres du régime Jammeh : l’exécution présumée en 2005 d’une cinquantaine de migrants clandestins à destination de l’Europe, qui avaient été pris pour des mercenaires par les forces de sécurité gambiennes.

 

Transmettre les adieux

Unique survivant du massacre, Martin Kyere, un Ghanéen, a raconté son calvaire lundi devant la TRRC. Il a décrit comment les soldats, armés de « coutelas et de fusils », ont déshabillé et battu une première fois les migrants lors de leur capture. M. Kyere a ensuite été détenu avec ses compagnons d’infortune dans une cellule pendant environ une semaine, avant qu’ils ne soient ligotés avec du fil de fer et conduits au plus profond d’une forêt.

Les prisonniers ont alors compris que les soldats avaient l’intention de les tuer, a-t-il raconté. « Ce qui nous passe par la tête à ce moment-là, c’est que Dieu nous pardonne nos péchés. » L’homme a cependant réussi à se libérer de ses liens pendant le transit du véhicule. « Ils [les autres migrants] m’ont dit c’est Dieu qui a voulu me libérer pour que je puisse dire au monde entier comment Yahya Jammeh les a tués », a-t-il raconté devant la Commission.

Fondant en armes au milieu de son récit, il a expliqué comment ses compagnons qui allaient à la mort lui ont donné des détails sur leur lieu de résidence – afin qu’il puisse transmettre leurs adieux à leurs proches – avant qu’il ne saute du véhicule pour s’enfuir dans la brousse.

L’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) estime le nombre de victimes de ce massacre à plus de 50, dont 44 seraient des Ghanéens, et les autres des Sénégalais, des Togolais et des Ivoiriens. Les détails précis restent cependant flous. En juillet 2019, d’anciens membres de l’armée ont déclaré devant la TRRC que Jammeh avait personnellement ordonné la tuerie.

De nombreux appels sont lancés pour que l’ancien dictateur, qui a fui en Guinée équatoriale, retourne en Gambie pour y être jugé. Il y conserve cependant un nombre important de partisans, dont certains souhaitent son retour au pays et en politique.

Le Monde avec AFP