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ENTRETIEN -Sophie Leclercq : «  L’école, un lieu de transmission, mais aussi de propagande des images coloniales  »

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Les images publiées dans les livres scolaires ont sérieusement contribué à enraciner des mythes de la période coloniale dans les esprits. Démonstration.

Une rivière calme serpente à travers quelques collines illuminées par le soleil. Chacun vaque à ses occupations sur cette terre où la sérénité est reine, la paix, une constante. Pour des millions d’enfants des années 1930, cette description est rattachée à Madagascar, à l’époque où les illustrations de Pierre Portelette tapissaient les murs de classes. Une vision évidemment faussée d’un pays soumis aux diktats du colon français depuis la fin du XIXe siècle. Ce décalage entre représentation scolaire et réalité est le sujet d’étude de Sophie Leclercq, docteure en histoire culturelle. Le sujet a été le thème d’une de ses interventions au colloque du Musée national de l’immigration, « Arts coloniaux : circulation d’artistes et d’artefacts entre la France et les colonies ». Une conférence en partenariat avec l’exposition au musée du Quai-Branly, « Peintures des lointains » prévue jusqu’au du 3 février 2019.

Membre du réseau Canopé, un établissement public chargé de produire des ressources et de former les enseignants, Sophie Leclercq décide en effet en 2015 de consacrer des recherches à la représentation des colonies en milieu scolaire. Elle ouvre alors les archives de l’Éducation nationale, classées au musée du même non, à Rouen. Et découvre une mine d’or. Car au-delà des manuels d’histoire, les supports traitant du colonialisme à l’école sont multiples. Affiches didactiques, couvertures de cahiers, bons points ou encore jeux destinés aux enfants… tous ces objets retranscrivent la manière dont étaient perçues, et enseignées, les colonies aux enfants. Dans les grandes salles des archives du centre des ressources du Musée national de l’éducation, dirigé par Delphine Campagnolle, elle a accepté de nous ouvrir cette boîte de Pandore.

Un buvard publicitaire de la marque de sous-vêtements « Petit Negro », années 1930. © Musée national de l’Éducation

 

Le Point Afrique : Pourquoi consacrer vos recherches aux images scolaires plutôt qu’aux manuels d’histoire ?

Sophie Leclercq : Je me suis rendu compte que le rapport qu’entretient l’élève avec une image de couverture de cahier par exemple n’est pas du tout le même qu’avec une illustration de manuel. Alors que celle-ci est avant tout mise là pour illustrer un texte – même si elle transmet aussi bien souvent une opinion politique –, les illustrations sur lesquelles je travaille sont, elles, presque de l’ordre de l’intime. Les élèves sont en rapport direct avec l’objet, il fait partie de leur quotidien, et l’imprégnation du message n’en est que plus grande.

Une affiche didactique qu’ils ont sous les yeux toute la journée et toute l’année n’aura pas la même incidence qu’une photographie imprimée sur la page d’un livre, qu’ils ne verront peut-être que furtivement. L’illustration d’un bon point aura elle aussi bien plus d’impact, l’élève la conservant un peu comme un trophée. C’est ce rapport très personnel entre l’enfant et l’illustration qui m’a poussée à entreprendre des recherches en ce sens.

De quelle époque date toute cette production ?

On trouve des images illustrant les colonies dans les écoles principalement de 1890 à 1940. Mais des objets distribués dans les années 1950 et 1960 transmettent, encore, une vision très stéréotypée des peuples. J’observe tout de même une massification de la production dans les années 1900, période où beaucoup de couvertures de cahiers ayant pour thèmes les colonies sont publiées et distribuées dans les écoles de la République. Cette hyper production fait suite à l’adoption en 1881 et 1882 des lois Jules Ferry, un ministre de l’Instruction publique fervent défenseur de l’expansion coloniale. En rendant l’école gratuite et obligatoire, les autorités font de l’école un lieu de transmission, mais aussi de propagande.

Des couvertures de cahiers, dont la distribution a été prolifique vers 1900. Le but : raconter les conquêtes militaires de la France et développer le patriotisme. « La mission Marchand a beaucoup été dessinée », assure Sophie Leclercq. © Musée national de l’Éducation

 

Pourquoi l’école a-t-elle été choisie par les autorités comme terrain de persuasion ?

Après la défaite française lors de la guerre franco-allemande de 1870, le patriotisme en France est meurtri. La colonisation et sa promotion sont alors utilisées pour convaincre les Français que le pays reste influent dans le monde, qu’il compte toujours comme une grande puissance. L’amélioration des techniques d’illustration qui accompagnent cette époque permet aux illustrateurs choisis par l’État de vanter la colonisation via des procédés techniques – un choix de couleur par exemple –, à un peuple d’ailleurs assez indifférent à ce sujet. L’expansion coloniale n’est pas une préoccupation importante des Français de l’époque, et ce, jusqu’à l’Exposition coloniale internationale de Paris, en 1931.

Ces images produites pour le milieu scolaire ont-elles participé au « mythe de l’impérialité française » ?

Celui-ci a évidemment été rendu possible via une série de représentations des colonies issues de divers secteurs, de la presse au domaine artistique. Mais le fait que l’école y ait eu un rôle est à mon sens plus problématique. Et bien plus dangereux. Car le dessein de l’école, c’est d’éduquer. Les enfants n’ont pas le recul que peuvent avoir les adultes sur les images qu’on leur présente. Ils les assimilent, comme des éponges. Les élèves vont donc s’imprégner de ces images stéréotypées qu’ils voient au quotidien, elles-mêmes influencées par les théories raciales conçues à cette époque.

Les pays du Proche et du Moyen-Orient sont dépeints comme des territoires où règne la violence. Ses habitants y sont décrits comme fourbes, sournois, même si une partie des illustrations consacrées se rapprochent de l’orientalisme, ce mouvement littéraire et artistique qui a engendré de nombreux clichés. Les peuples d’Afrique subsaharienne, eux, sont considérés comme arriérés, tout comme les Kanaks de Nouvelle-Calédonie.

Un abécédaire distribué dans les écoles. © Musée national de l’Éducation

 

On remarque cependant un décalage fréquent entre les textes qui peuvent accompagner ces images. Ceux-ci sont très acerbes et négatifs. N’oublions pas que l’on s’adresse à des enfants. Souvent, l’image est édulcorée, les dessinateurs font appel à l’exotisme. C’est pour cela qu’on retrouve notamment beaucoup d’images de la faune et de la flore pour illustrer l’Afrique par exemple. C’est le côté « didactique » de la chose.

Comment les supports d’illustration rendent-ils compte de la conception des peuples du monde telle qu’elle l’était à cette époque ?

Les théories raciales de la fin du XIXe siècle génèrent une approche très typologique des populations. Les images scolaires intègrent cette vision classificatoire, que l’on retrouve beaucoup sur les images de jeux de loto par exemple. Dans l’imaginaire colonial, les colonies forment un bloc, mais où chacun est rattaché aux stéréotypes établis. Les iconographies qui représentent les cinq continents illustrent très bien cette conception. On éduque les enfants à cette théorie en les séduisant avec de jolis dessins. L’école devient alors une machine à transmettre la théorie raciale, en même temps que le patriotisme.

Un « bon-point patriotique » de 1914. « Ici, le dessinateur fait référence aux zoos humains, avec la représentation d’une barrière » explique Sophie Leclercq. Pour une fois, ça n’est pas un Africain derrière celle-ci, mais des Allemands » © Musée national de l’Éducation

 

Des images de ce type vont-elles perdurer après la décolonisation ?

C’est difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que la prise de conscience est très tardive. Après la décolonisation, des représentations de ce genre vont rester affichées dans les salles de classe. Le trait de l’illustratrice Hélène Poirié va conserver cette légèreté, cette image d’un monde apaisé et vecteur de lieux communs. Le corps enseignant n’y voit pas forcément le mal puisque, encore une fois, on s’adresse à des enfants. Ces images persisteront encore longtemps lorsqu’il s’agira de représenter l’Afrique.

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