Giscard d’Estaing : un destin tôt arrêté par Bokassa

Valéry Giscard d'Estaing et Jean-Bed Bokassa sur le perron de l'Elysée en 1975

Le style fait l’homme, écrit Mamadou Ndiaye, ce jeudi. Giscard d’Estaing, mort hier et salué dans le monde comme un homme d’Etat accompli, laisse pour la postérité une empreinte indélébile. Les signes d’un destin exceptionnel s’alignaient : né en 1926 en Allemagne, bac à 15 ans, Polytechnique puis l’ENA, puis l’Inspection des Finances. Il intègre les Grands corps de l’Etat et fait étalage de son somptueux savoir, de sa compétence et de ses talents oratoires hors du commun. Il est repéré dans les cercles de pouvoir.

Tout Paris parle de lui, de son parcours d’excellence qu’enjolivent ses origines aristocratiques. Mais ses racines restent son tremplin et son aire d’atterrissage en cas de coups durs. Il ne s’en est jamais éloigné. Ses analyses, précises et concises, frappent les esprits par leur clarté. Un des meilleurs connaisseurs de la France dont il voulait bousculer les codes dans une perspective de modernisation. Pour lui, « la France est au-dessus des petites ambitions » et il voulait la « voir en grand et en mouvement… »

Giscard choisit le centre pour opérer le … recentrage envisagé d’une nation pudibonde, conservatrice, recroquevillée et craintive par rapport aux changements. L’initiative paraît risquée. Car, face à lui, deux grosses familles politiques l’ont dans leur viseur : la gauche qui le déteste et la droite qui se méfie de lui. Il se nourrit d’idées avant-gardistes pour contrer ces deux forteresses. Il fait preuve d’habileté. De Gaulle dont il était le Ministre des Finances dans le Gouvernement Pompidou, appréciait ses synthèses, lumineuses au point de porter ombrage à des gaullistes de tradition. Il signe son entrée en politique par son flair et son sens florentin aigu.

La presse le surnomme le surdoué. Lui, ne s’en vante pas. En revanche son air, sa distance, son ton cassant, son verbe et sa verve lui valent l’adversité de politiciens encagoulés, adeptes des coups bas. Il fut longtemps, la victime de calomnies dans le microcosme politique parisien. Les clichés ont assurément la peau dure. Il mettra du temps à s’en défaire. D’ailleurs y parviendra-t-il ? Sûrement pas.

Son ascension politique culmine à l’Elysée en devenant en 1974 à 48 ans, Président de la République, à la mort de Georges Pompidou, camarade de classe de Léopold Sédar Senghor. Ironie de l’histoire, il remplacera ce dernier à l’Académie française et accède au rang d’immortel. Son style de gouvernance imprègne sa présidence. En sept années, termes de son mandat présidentiel, il transforme la France. La technologie se diffuse. L’audace française, fruit de sa passion s’incruste dans les relations internationales. La diplomatie de Paris gagne en prestige, notamment en Europe où son implication sans faille révèle son vrai talent de fédérateur. Il s’illustre dans la construction monétaire de la CEE, devenue Union européenne.

Giscard inspire la création du G5 puis le G7, instance de coordination des politiques économiques mondiales entre grandes puissances. Européen convaincu, il destine le vieux continent à mieux s’assumer, à se forger des attributs d’influence dans un univers déterminé par des rapports de forces fluctuants. Selon lui, l’Amérique, le Japon, la Chine guettent et menacent. Les avancées sociales en France se répandent avec comme tête d’affiche Simone Veil, arme de séduction massive d’un Giscard conquérant. D’autres valeurs sûres émergent.

Pour peu, on parlerait d’un printemps giscardien. Il décide de l’abaissement de l’âge de la majorité. Son entourage s’inquiète. A tort ou à raison ? L’histoire le dira un jour. Le Président s’efface au profit de la France qui, à ses yeux, est non seulement éternelle mais vaut tous les sacrifices. Dans l’intérêt de la France, la jeunesse vote contre lui en 1981 au profit de François Mitterrand qui révélera plus tard avoir bénéficié des voix d’une droite « complexée » pour faire battre Valéry Giscard d’Estaing. Un coup de grâce qui porte la signature de Jacques Chirac.

Sa découverte de l’Afrique lui sera fatale puisque il s’acoquine avec Bokassa, infréquentable. Cette proximité précipite sa chute. L’affaire des diamants a été pour lui un crève-cœur. Pas que. Il n’a pas vu venir le choc pétrolier de 1973. Tout comme le chômage, touchant de plus en plus de jeunes, sensibles certes à la requalification de la majorité citoyenne mais impatients et anxieux devant l’inexorable progression du désœuvrement, de l’inemploi et de l’affirmation des marchés comme forces montantes. Une silhouette de belle allure s’efface. Son oeuvre, immense, ne manquera pas de s’afficher.