Grâce ou non pour Khalifa Sall ? Les leçons à tirer par l’Etat (Par Momar Sokhna Diop)

Les principaux chefs d’inculpation retenus contre Khalifa Sall sont : « escroquerie portant sur des deniers publics, détournement de deniers publics, association de malfaiteurs et blanchiment de capitaux [1]».

Il purge une peine de 5 ans de prison ferme depuis son arrestation en mars 2017.

   Aujourd’hui, toutes les voies de recours ont été utilisées pour le défendre mais aucune n’a permis à ses avocats de le sortir de la prison de Rebeus.

Le dernier espoir repose sur la volonté du Président de la République, Monsieur Macky Sall de le gracier. Les rumeurs courent les rues et les places publiques. Mais de quoi s’agit-t-il ?

   En effet, la grâce présidentielle est « une suppression ou une réduction de la sanction pénale [2]». La condamnation reste néanmoins inscrite au casier judiciaire. Elle diffère de l’amnistie, qui est étymologiquement un oubli. La grâce présidentielle est individuelle.

   Si le Président de la République décide de lui accorder la grâce présidentielle, nombreux seront les Sénégalais à saluer une telle décision. Certains la qualifieront comme un acte de générosité même si d’autres la considéreront comme une victoire. Peu importe. Pour nous la question fondamentale est de savoir quelles conclusions l’État et les collectivités locales doivent tirer de l’affaire Khalifa Sall pour renforcer ou pour réformer les institutions de la République ?

   A mon sens, au regard de tout le cirque médiatico-politique qui s’est organisé ces dernières années autour de « l’affaire Khalifa », il s’avère urgent que des mesures soient prise afin d’aider notre pays à sortir de toutes ces tensions inutiles. Il s’agit de réformer définitivement la mise en place, la gestion et l’évaluation de toutes les caisses d’avances, des caisses noires et des fonds soit disant politiques qui ont toujours servi, je l’affirme, à capter une clientèle politique. Il s’agit d’une recommandation que j’ai formulée dans mon ouvrage intitulé « Sénégal diagnostic d’un pays candidat à l’émergence [3]».

   Nous sommes le 19 Juillet 2019. Khalifa Sall est toujours incarcéré mais les problèmes de gouvernance sobre, transparente et équitable demeurent. La justice est toujours instrumentalisée et l’affaire Alioune Sall, pour ne citer que celle-là semble l’attester. Le Sénégal continue de s’enfoncer dans des difficultés dont les conséquences sont la frénésie de l’endettement et la hausse des prix de plusieurs produits de première nécessité. Tous les chantiers qui sont engagés lors de la campagne électorale éprouvent des difficultés et en même temps on constate une prolifération de la corruption, des combines, des arrangements éphémères et les ruses. Le train de vie de l’État reste toujours excessif et continue d’absorber les recettes du budget national et cela n’indigne personne.

     Ceci dit, au-delà de tout ce que ses adversaires peuvent lui reprocher, Khalifa SALL reste l’un des maires qui ont beaucoup contribué à renforcer la démocratie et la décentralisation grâce à une « gestion moderne de la collectivité locale ». En tant que témoin, je l’ai personnellement toujours entendu dire qu’il mobilisera toutes les ressources nécessaires pour que « Dakar redevienne une ville comme nous l’avions connu lorsque nous étions des gosses » et c’est une bonne vision que tout un chacun peut entendre.

   C’est une tâche à laquelle lui et ses collaborateurs municipaux se sont attelés. En effet, ils ont courageusement pris des mesures certes impopulaires, mais qui méritent d’être visitées voire utilisées par ses collègues qui ambitionnent de proposer aux Sénégalais un projet sérieux pour développer les collectivités locales très affectées par des difficultés chroniques.

   Parmi ces mesures nous avons, l’occupation anarchique des espaces et voies publics. Grâce à son équipe municipale mobilisée, Dakar commence à avoir des avenues pavées, nettoyées et correctement entretenues. La rénovation des marchés publics a permis de garantir de meilleures conditions d’hygiène et de sécurités aux consommateurs mais également aux commerçants. C’est une mesure à encourager, à organiser et à poursuivre.

   Il s’agit également de permettre aux collectivités de contrôler le secteur informel et de mieux collecter des recettes fiscales locales nécessaires. La rénovation et la modernisation des établissements scolaires publics ont également été engagées de même que celle des établissements de santé. C’est la raison pour laquelle le plateau technique s’est relevé de manière significative.

   La liste des réalisations et des actes posés par la mairie sous la gouvernance de Khalifa SALL pourrait être longue mais nous disons tout simplement que, toute idéologie mise à part, Khalifa Sall nous lègue une vision patriote à laquelle nous devons nous inspirer pour consolider les collectivités locales et pour renforcer la décentralisation qui a du mal à être mise en œuvre de manière efficiente.

   Les actes prolifèrent mais les résultats tardent à venir. Tout le monde attendait de l’acte 3 de la décentralisation et de la mise en place du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT) un occasion de consolider les acquis à travers une meilleure rationalisation des échelles de gouvernance locale et surtout une territorialisation efficiente des politiques publiques et un réel transfert de compétences et de ressources, mais il n’en est rien. Cette institution, comme le constate Ousmane SONKO «  constitue une infrastructure créée uniquement pour placer une clientèle politique d’alliés [4]». Elle continue de provoquer une hausse irrationnelle des dépenses publiques et de fonctionnement des collectivités locales.

   Voilà en résumé notre contribution alerte à l’actualité et au débat préélectoral qui va s’engager dans les mois à venir à l’occasion des élections locales du Sénégal initialement prévues en Décembre 2019 mais probablement reportées à une date ultérieure.

   Nous souhaitons que les Sénégalais laissent de côté les émotions, les états d’âme et se mettent au travail.

   Le Sénégal peut aller beaucoup mieux à condition de consolider l’État et la démocratie, de bâtir des politiques économiques et industrielles endogènes, de mettre en place des partenariats permettant un vrai transfert de compétences et de technologies. La priorité est la bonne gouvernance devenue une demande sociale, une nécessité à laquelle le pays gagnera à s’inscrire définitivement. Pour y parvenir, il est plus que jamais nécessaire de mobiliser tous nos concitoyens et en particuliers les patriotes pour piloter la nation. Comme le recommandait Cheikh Anta Diop, « le rôle politique véritablement significatif et durable, ne consiste nullement à occuper le devant de la scène notamment médiatique, mais plutôt à poser correctement les problèmes de fond dont dépend notre survie….la contribution positive à l’élaboration de solutions efficaces[5] ».

Momar Sokhna Diop

Professeur, écrivain à Paris. Auteur de plusieurs ouvrages dont : Sénégal, diagnostic d’un pays candidat à l’émergence, Paris l’Harmattan, 2019. Quelles alternatives pour l’Afrique ?, 2009.

 

[1] Source : https://www.lepoint.fr/afrique/senegal 08-03-2017

[2] Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A2ce_(droit_fran%C3%A7ais)

[3] Momar-Sokhna DIOP, Sénégal diagnostic d’un pays candidat à l’émergence, Pari, l’Harmattan, 2019.

[4] Ousmane Sonko, Solution, pour un Sénégal nouveau, Dakar, 2018

[5] Cheikh Anta Diop, in le Combat politique de Cheikh Anta, du BMS au RND, Presses de l’imprimerie du Midi, 1999