[ Hommes d’histoire(s) ] Iba Der Thiam – Abdou Diouf, une réconciliation qui ne sera jamais venue

Il était retiré de la politique active ces dernières années, après la fin de son dernier mandat de député en 2017. Les cheveux couleur coton blanc et le geste apaisé, il avait été en août 2018, dans une cérémonie émouvante, le parrain unique de la cérémonie du Concours général sénégalais, récompensant les meilleurs élèves des classes de première et de Terminale du pays. Sur la scène du Grand Théâtre National Doudou Ndiaye Rose, le président Macky Sall avait eu ces mots en sa direction : «Professeur, votre parcours exemplaire d’enseignant et de chercheur, d’éducateur et d’homme politique engagé, force le respect. Je décide de vous élever au rang de commandeur de l’Ordre national du Lion ! Professeur, vous êtes un savant, un patriote, un panafricaniste, un homme sincère, entier, fidèle en amitié et d’une grande piété. Vous avez su mettre toutes ces qualités au service du Sénégal et de l’Afrique» .

Professeur agrégé  d’histoire, docteur  ès  lettres  de l’Université  Paris  I  (Sorbonne), directeur  de l’Ecole  normale  supérieure  du  Sénégal (1975-1983),  professeur  à l’Université  de Dakar, et directeur  de l’Université  des mutants  pour  le  dialogue  des cultures de  Gorée (1979) avant de devenir ministre : c’était le profil « société civile » d’Iba Der Thiam quand Abdou Diouf le nomme ministre de l’Education en 1983. Puis, lui adjoindra en 1984 l’enseignement supérieur quand son titulaire ira remplacer Moustapha Niasse, le meilleur ennemi d’Abdou Diouf, évincé du système socialiste pour les sept années suivantes. Jusqu’en 1988, année blanche pour l’école sénégalaise comme pour son ministre, où Iba Der Thiam sera écarté du gouvernement, avec la fournée des technocrates et de tous ceux qui, comme lui, ne voulaient pas prendre leur carte du Parti socialiste. Pourtant, en direction de la présidentielle de 1988, « Der » n’aura pas ménagé sa peine : du groupe de rencontres « pour un Sénégal nouveau », le GRESEN, cénacle apolitique, qu’il animait, il avait ensuite créé en septembre 1987 le mouvement politisé « Abdoo Nu dooy »  [ « Abdou nous suffit », en wolof]. Mouvement où gravitaient des bannis de la baronnie socialiste d’alors (dont le premier Premier ministre d’Abdou Diouf, Habib Thiam ; Alioune Badara Mbengue, Assane Seck), à la grande irritation des hautes sphères d’influences du PS. Pour cette présidentielle de 1988, Iba Der voulait se poser en faiseur de roi. Au final, il paiera de sa place de ministre « l’agitation scolaire et universitaire des années 1987-1988, le ralliement très visible de la jeunesse à Abdoulaye Wade mais surtout son entêtement à vouloir rester en marge du PS et de Jean Collin (NDLR : alors tout-puissant ministre d’Etat) », estime l’historien Adrien Thouvenel-Avenas.

Limogé donc après la réélection d’Abdou Diouf,  Iba Der Thiam s’en ira créer quatre plus tard son parti politique, la CDP – Garap-gi, et se présentera à l’élection présidentielle suivante. Durant cette campagne présidentielle de 1993, avec un discours résolument anti-Diouf, Iba Der Thiam arbore un attirail pittoresque d’inspecteur de l’enseignement de brousse (chapeau, saharienne avec ceinture à la taille, cartable en bandoulière) et un discours à l’avenant (« je vous promets, vous paysans, des lits sans punaises et des frigos »).

S’il retrouva une place politique éminente sous le président Abdoulaye Wade comme député et vice-président de l’Assemblée nationale, Iba Der Thiam ne se réconciliera jamais, de son vivant, avec le deuxième président de la République du Sénégal, Abdou Diouf, qui aura d’ailleurs encore causé son ire publique en fin 2014, en relatant dans ses ‘‘Mémoires’’ que, «au moment où Abdoulaye Bathily (NDLR : Historien, syndicaliste, homme politique et ex-ministre des Présidents Diouf et Wade) devait passer Maître de conférences à l’Université, Iba Der Thiam a voulu s’y opposer en (lui) disant qu’il n’était pas au niveau requis. Bathily, ayant fait ses études en Angleterre, n’a pas eu son 3e cycle comme dans le système français, mais sa thèse d’Etat a quand même été soutenue à Dakar. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais Iba Der a demandé à ses agents de ne pas me transférer le projet de décret pour le nommer Maître de conférence. Finalement, c’est quand j’ai demandé au Recteur, Madani Sy, de trouver une solution, qu’Iba Der Thiam a compris qu’il ne pouvait pas aller contre la volonté du président de la République. Et Bathily a donc été nommé».

Devant ce témoignage dioufien sur sa personne, Der avait retrouvé ses accents tribuniciens et n’avait pas manqué de tenir des propos très durs envers l’Ex, dans un court texte, que nous épargnons aux lecteurs.

Mais dans la paix de la mort, qui seule peut réconcilier les pires ennemis, gageons que tout cela est désormais effacé.

Abdoulaye Mbow

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