- Naufrage -

Il y a cent ans coulait l’« Afrique », « Titanic » français ou « Joola » Toubab oublié en route pour les colonies

Le 12 janvier 1920, ce paquebot en partance pour l’Afrique de l’Ouest coulait au large de côtes vendéennes, faisant 568 morts.

Il y a tout juste cent ans, le paquebot Afrique sombrait au large de l’île de Ré, emportant 568 victimes, dont une bonne partie d’Africains, dans le pire naufrage maritime civil en France. Un Titanic français étrangement oublié, qui refait surface à Bordeaux et aux Sables-d’Olonne (Vendée) le temps d’une commémoration.

Par une nuit froide, le 12 janvier 1920 vers 3 heures, ce bateau a disparu à 40 km des Sables-d’Olonne, ballotté dans un ouragan avant d’être submergé par une voie d’eau. Depuis la tour de guet, son gilet harnaché, Antoine Le Dû, le commandant, parti au soir du 9 janvier de Bordeaux, a « attendu la fin », impuissant, racontera le lieutenant Thibaut.

Dakar, Conakry, Grand-Bassam

Radeau du paquebot Afrique avec 13 Sénégalais sur le point de rejoindre Le Ceylan (cc/Wikipedia – photographie Jean Nugue, passager du Ceylan)

Des 602 personnes qui se dirigeaient ce mois-là vers Dakar, Conakry et Grand-Bassam (Côte d’Ivoire), seuls 34 ont survécu, dont un seul civil. Ils étaient fonctionnaires de l’administration coloniale, femmes et enfants d’expatriés, commerçants en quête d’un nouveau départ, missionnaires et tirailleurs africains. 192 soldats des colonies, miraculés de l’armée coloniale de retour au pays, ont laissé leur vie dans ce naufrage.

Cent ans après, l’épave gît toujours à 40 mètres de fond, dans un anonymat presque complet. Le Titanic (1 500 victimes en 1912) lui a fait de l’ombre, le drame de l’Afrique a été oubliéregrette-t-il.

« A de rares exceptions – dont l’évêque de Dakar Hyacinthe Jalabert –, il n’y avait pas de passagers de distinction », poursuit l’historien amateur qui réunit dimanche pour la 2e fois au port des Sables-d’Olonne une centaine de descendants de naufragés pour une commémoration devant une stèle, la seule en mémoire de la catastrophe. Et c’est sans doute ce qui explique que cette tragédie soit moins entrée dans les mémoires que celle du Titanic.

Tentative de sauvetage des naufragés par le Paquebot Ceylan
©collection Daniel Duhand

A Bordeaux, une cérémonie a eu lieu jeudi, sur le quai des Chartrons qui vit s’éloigner sur la Garonne l’Afrique pour son 58e voyage. Une œuvre murale du peintre de street art A-Mo représentant le paquebot a été dévoilée et des fleurs jetées dans le fleuve.

Il fallait « réparer l’oubli et l’injustice », insiste le fondateur de l’association Mémoires et partages Karfa Diallo. Il milite pour que les 192 tirailleurs, à l’honneur d’une exposition au Musée Mer marine soient « reconnus morts pour la France » après leur « sacrifice » dans l’armée coloniale.

A l’époque, le naufrage suscita l’indignation avant d’être rapidement relégué au second plan, occulté dans l’ombre d’une élection présidentielle sous haute tension et surtout, de l’hécatombe de la première guerre mondiale. « Les familles avaient vécu des drames inimaginables en 14-18, elles voulaient passer à autre chose », résume Daniel Duhand, coréalisateur en 2014 d’un documentaire nourri en partie des souvenirs des familles.

Cantiques à la lueur des cierges

Goran Kodio (photo), soldat 2e classe, matricule 509, né en 1887 à Saint-Louis du Sénégal, était parmi les rescapés.

Dans son naufrage, l’Afrique a englouti aussi bien des secrets. Comment ce bateau récent, qui avait obtenu son certificat de navigabilité, a-t-il pu sombrer à 40 km des côtes ? Erreurs ou malchance, plusieurs facteurs semblent s’être additionnés les uns aux autres. Le navire était surchargé, en mauvais état, diront certains, écoutilles bouchées par la crasse, puis un choc final avec un bateau-feu (phare) semble avoir porté le coup fatal. La thèse officielle, en 1932, en restera, elle, à un choc probable avec une épave de la Grande Guerre, signant une voie d’eau irréversible.

Épave du paquebot Afrique
©Roland Caiveau ©mémoires de l’Afrique

Privé de mémoire collective, le drame de l’Afrique a, en revanche, durablement marqué l’histoire des familles. « Il y a celles où la mémoire est restée vive et celles qui ont gommé cet événement négatif et n’en parlaient pas », résume Daniel Duhand. « On disait par exemple que la grand-mère disparue avait été mangée par les crabes », sourit Roland Mornet. Selon lui, d’autres sont, au contraire, restés imprégnées par les témoignages sur la lente agonie, les images des femmes éjectées des canots, les cantiques à la lueur des cierges autour de l’évêque de Dakar. Alain Adenier, 74 ans, qui n’a connu son grand-père, sous-directeur des chemins de fer du Dahomey (Bénin), qu’à travers « les séquelles affectives » de sa grand-mère, retrouvera dimanche des familles qui ont vécu le même drame. Et pour lui, ce sera comme faire un deuil collectif.

Tract (avec médias)