[Interview] Styve Samba : « mon écriture est un témoignage des réalités sur le phénomène de l’immigration dans le monde, à partir de l’expérience africaine  »

[Tract] – Bonjour Monsieur. Nous sommes heureux de vous recevoir. Nos lecteurs désirent vous connaître. Voudriez-vous bien vous présenter?

Je suis Arian Styve SAMBA de nationalité congolo-française. J’ai un BTS  en management et prospective des entreprises, une licence en économie et un master en Gestion.

Dans la vie professionnelle, je suis manager. Je suis également entrepreneur, acteur associatif, conseiller municipal et écrivain.

Vous vous intéressez aux lettres. Voudriez-vous partager avec nous votre passion des lettres ?

Ma passion pour les lettres a commencé à la maison avec mon père, à Pointe-Noire au Congo.

J’étais au collège en classe de cinquième ou de quatrième. Je ne me souviens plus exactement. Il avait posé le roman d’Ahmadou Kourouma, Les Soleils des indépendances, sur son lit dans la journée. Je me rappelle encore de cette trame de récit dans laquelle est mise en action la rencontre de deux cultures, le monde malinké (tradition) et le monde des indépendances (modernité). C’était magique pour moi qui était et demeure un fan de dessins animés, de mangas et de sciences fictions. Je découvrais un monde nouveau. Je m’évadais, je m’instruisais : je me cultivais.

Il y a aussi le roman « Allah n’est pas obligé » qui met en regard le monde diurnal et le monde nocturne fait de violence et de cruauté. Le contexte en dit long sur la vie difficile du héros Birahima au Liberia. Ce dernier n’a trouvé d’autres recours de survie et de travail que celui de devenir un enfant-soldat. Ce récit habité par un climat de guerre, de viols, de vols et de meurtres sur d’extrémisme religieux m’a profondément marqué. Et ce, parce que les problèmes traités demeurent d’actualité, très tendance.

Je lis actuellement un livre d’Emmanuel Dongala dont le titre est « Les petits garçons naissent aussi des étoiles », publié il y a une quinzaine d’années. Je suis dans un univers que j’affectionne, c’est-à-dire le mix entre le réel et l’imaginaire. Emmanuel Dongala est très imaginatif dans la désignation des prénoms (le professeur Pentium-75…), des lieux (Makana II), des villes (qui désignent indirectement Brazzaville) et l’évocation des situations paradoxales, caractéristiques des partis uniques dans une Afrique certes imaginaire, mais aussi réelle.

Evidemment, il y a d’autres livres qui m’ont marqué, mais ce sont ceux que je viens de présenter qui sont mes coups de cœur.

Ecrire…Pour vous, cela renvoie à quoi?

Pour moi, écrire renvoie à figer, sceller dans le temps des mots qui se meuvent pour exprimer les réalités de l’époque de l’auteur. 

L’écriture est atemporelle. Elle a la force de revisiter le passé, de faire un bond dans le futur. L’écriture arrive à distordre le temps, à refaçonner le monde à sa guise !

 Vous êtes auteur d’une première œuvre en 2013. Dans ce livre vous nous entraînez dans le vécu socio-culturel de l’immigré noir français. Quelle est la portée de la symbolique de l’immigré noir français dans votre acte d’écriture ? 

Oui, c’est un livre qui parle du parcours et des difficultés d’intégration intra-culturelle et extra-culturelle d’un africain arrivé en France. Il montre le décalage, l’illusion, l’euphorie de réussite qui demeurent dans le subconscient de plusieurs africains avant d’arrivée en France, en Europe ou dans des pays dits développés.

La portée symbolique de « L’immigré Noir Français », mon livre, est de dire humblement à la communauté africaine que la France n’est pas un paradis. Que voyager pour l’Europe n’est pas synonyme de réussite. L’immigré Noir Français, à travers des témoignages recueillis, pendant la rédaction du livre, représente les phénomènes d’exclusion professionnelle, sociale, des choix faits contrairement à ses valeurs morales, religieuses.

Mon écriture est un témoignage des réalités sur le phénomène de l’immigration dans le monde, à partir de l’expérience africaine.

Quelle place pour l’immigration à l’heure de la mondialisation ?

L’immigration est un phénome important dans l’histoire du monde. La mondialisation l’a accélérée en faisant du monde un « petit village ».

Il y a plusieurs formes d’immigration (immigration choisie, forcée, régulée et que sais-je ) montrant son impact dans le pays d’origine ou le pays d’adoption. Tout dépend des politiques mises en place pour la réguler et la penser. Car, au fond elle est la source Vitale, incontournable, pour irriguer l’équilibre entre les cultures et les mondes.

Pour ce qui est de certains pays africains, les gouvernements doivent mettre en place un cadre et des mesures incitatives pour favoriser le retour de cette diaspora hybride afin de favoriser le développement du pays d’origine en organisant la gestion des fonds travaillés dans le pays d’adoption. Le bit étant de capitaliser les connaissances, voire les expériences humaines, professionnelles tout en les adaptant au contexte.

À quoi ou à qui pensez-vous chaque fois que vous écrivez?

Lorsque j’écris, je pense à l’Afrique. À cette jeunesse africaine qui va nous succéder. Je n’écris pas pour de l’esthétisme. Je laisse les adeptes de l’esthétisme construire le beau.

Nous avons des défis de changement de mentalité (conscience des défis nationaux dans ce monde mondialisé), de solidarité. En effet, aucun pays ne peut vivre dans l’autarcie en espérant une éventuelle réussite. Plusieurs pays en Europe, en Asie, en Amérique, s’organisent en bloc pour booster le développement économique, social et culturel. L’Afrique pourrait s’en inspirer.

J’écris, afin d’apporter ma petite pierre à l’édifice de la construction de notre chère Afrique, comme l’on fait certains de mes pairs, bien avant moi.

Dans l’histoire de l’écriture africaine francophone, il y a eu trois temps à mon avis.

Dans un premier temps, entre 1916 et 1980, les écrivains du panafricanisme et de la négritude (Senghor, Césaire, Fanon …), ceux qui interrogent le rapport tradition/modernité ou revendiquent leur identité (Cheikh Hamidou Kane, Sylvain Bemba, Mongo Béti etc.)

Dans un deuxième temps, on a assisté à une réécriture de l’histoire romanesque et  de l’histoire contemporaine postcoloniale qui dénonçait les pouvoirs dictatoriaux et les régimes totalitaires (Sony Labou Tansi, Emmanuel Dongala, Ahmadou Kourouma, Sembene Ousmane etc.)

Enfin, le troisième moment dominé par les africains de la diaspora qui dans le choix des lieux, des noms, des paysages et des thèmes (exil, exclusion, aliénation, etc.), réinvestissent les métropoles européennes et américaines : Aboubacar Diop, Saidou Bokoum, Paul Dakeyo, Alain Mabanckou etc.

A Chaque moment de l’histoire correspond une génération et un message. Je m’attèle donc pour laisser ma trace, marque, dans les mouvements de ma génération.

Votre avis sur la littérature mondiale aujourd’hui…

Je dirai d’emblée qu’il existe une littérature mondiale, même si l’on veut créer des catégories dans le domaine littéraire, sous le prétexte qu’il y aurait des littératures du centre et des littératures périphériques.

La littérature mondiale connait beaucoup de mouvements aujourd’hui. Il devient donc urgent de ne plus communautariser la littérature. C’est pour son bien et pour le bien du monde entier. L’homme est une convergence de ses environnements et ce qu’il produit est une fusion de ses expériences. Et il doit partager tout cela avec le monde entier.

Vous avez certainement des projets en cours. Voudriez-vous bien les partager avec nous ?

J’ai deux projets en cours. 

Le premier est un interstice entre l’imaginaire et la réalité. Une rencontre de deux mondes de différentes cultures incarnés par un couple  en vacances dans le pays natal du conjoint. Un pays imaginaire qui ne se situe sur aucun continent dans la trame de l’histoire. La conjointe va découvrir des réalités socioéconomiques, cultures, politiques, technologiques contraires aux informations données dans les médias de son pays. À un moment, en transgressant involontairement les codes traditionnelles, l’époux et son épouse sont téléportés dans le futur de ce pays imaginaire, qui est situé au milieu de nulle part.( rire). Je me suis permis beaucoup de liberté dans ce manuscrit.

Le deuxième projet d’écriture est un livre technique axé sur les thématiques économiques et de développement. Je travaille en collaboration avec un autre auteur. La phase de la collecte des données est terminée. La rédaction est en cours..

Un conseil aux jeunes qui aspirent à l’écriture ?

D’abord, je conseille aux jeunes qui aspirent à l’écriture de beaucoup lire, de tout lire, de demander des conseils à ceux ou celles qui ont une expérience dans l’édition.

Ensuite, s’exercer à l’écriture, écrire et réécrire sur des sujets distincts. Accepter les critiques de ses écrits.

Enfin, avoir une écriture sur des sujets qui apportent une valeur ajoutée dans les domaines des sociétés dans lesquelles ils évoluent.

Votre mot de fin…

Je vous remercie pour l’interview.

J’espère avoir répondu essentiellement à vos questions.

Je terminerai en empruntant les mots de Maurice Kamto dans son livre L’urgence de la pensée : « Ce qui urge, c’est le démantèlement des structures mentales de la résignation, c’est de démonter un à un ,comme les pierres d’une antique forteresse, les mécanismes subtils de psychologie collective par lesquels tout un peuple intériorise progressivement les valeurs mêmes qui l’oppriment . » 

Réalisée par Baltazar Atangana Noah

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