[ La Chro de Gor Niolé ] « La vogue des visioconférences au sommet : donc, nos chefs d’Etat peuvent rester chez eux ? »

Gor Niolé

Travailler chez soi et de chez soi écarte la gestion de longs trajets stressants. Profiter du calme de son intérieur permet de mieux se concentrer et d’éviter les tracas et distractions quotidiennes du bureau. Peu importe la raison, la possibilité de travailler occasionnellement depuis chez soi permet d’être plus flexible. Cependant, il faudrait que le domicile réponde à certaines normes, voire dispose d’un espace de travail, une bonne connexion internet, ne pas avoir des enfants à surveiller, pour ne pas manquer d’efficacité et être un manque de productivité. Cependant, nos dirigeants et chefs d’Etat sont exonérés de ces tracas du quotidien : ils ont des bureaux aussi spacieux que des courts de tennis, et s’ils ont des enfants en bas âge, ils ont le personnel domestique idoine pour garder ces marmots.

Toujours est-il que depuis un mois et demi, nous voyons des images assez surréalistes de nos chefs d’Etat : au lieu de défiler sur un tapis rouge, accueillis par la fanfare et le garde-à-vous des militaires d’une garde républicaine et faisant leur entrée dans un palace somptueux, ils nous apparaissent dans le carré d’une mosaïque accrochée au mur, où ils sont à côté d’autre carrés, contenant aussi d’autre chefs d’Etat. Aux images XXL en 3D de la vraie vie, où ils étaient accompagnées d’une suite fournie et de nombreux gardes du corps et porte-valises, nos présidents sont désormais réduits à l’état d’hologrammes, en 2D, sur un vulgaire écran qui fait penser au vidéos de surveillances dans les supermarchés, utilisées pour nous empêcher de voler à l’étalage. C’est la visioconférence. Mais attention, la visioconférence de chef d’Etat. La visioconférence au sommet. Même ceux qui l’ignoraient jusqu’ici, savent désormais que la visioconférence, qu’on abrégera bientôt en « visio », est ce procédé interactif 2.0 (combinant les technologies de l’audiovisuel, de l’informatique et de communication) grâce auquel des personnes présentes sur des sites distants peuvent, en temps réel, se voir, dialoguer et échanger des documents écrits ou sonores.

En cette période de pandémie de Covid-19, la tendance est donc à la visioconférence ! Gestes barrières et distanciation sociale obligent, sans oublier la contrainte de fin des déplacements à l’étranger imposée par la fermeture des frontières, pour ce qui est des sommets internationaux . Contraints et forcés, suite à l’aggravation toujours plus galopante de la pandémie du coronavirus, les chefs d’État et de gouvernement, les hautes institutions, les dirigeants de sociétés….ont été bien obligés de surseoir à leurs habituelles rencontres physiques de VIP et de happy few. Il est à la fois plus judicieux et moins dangereux pour leur santé de dirigeants, d’organiser des visioconférences. Ils peuvent ne pas se voir en chair en os, mais ils doivent tout de même se parler, avec contact visuel de préférence. Car, en effet, la terre continue de tourner et des décisions doivent être prises, des conventions signées….. Des sommets se tiennent ainsi, des conseils des ministres aussi, même si on a vu le téméraire Alassane Ouattara continuer à organiser des Conseils des ministres avec présence physique, où tous les participants portaient un masque chirurgical, y compris lui – même, le président. Des conseils d’administrations doivent aussi certainement s’organiser ainsi, loin de nos yeux.   Ne dites plus « j’ai un confcall », dites « le boss va en visioconférence » !

Donc il serait possible de travailler en restant à la maison, en ne sortant pas du pays ? Oui puisque le télétravail existe déjà. Mais est-il possible à nos chefs d’État de diriger leur pays en restant chez eux ?

Qu’en est-il du nôtre, de président ? Subissant les nouvelles restrictions de mobilité et tenu de respecter les mesures barrières, le président de la république Macy Sall a adopté le télétravail pour l’administration et la visioconférence pour le conseil des ministres. Décision sage. Dans la foulée, une conférence de haut niveau, qui est une première dans l’organisation ouest africaine, a réuni les chefs d’État et de gouvernement à discuter sur l’évolution et l’impact de la pandémie du coronavirus dans l’espace de la CEDEAO. Il en est de même d’une visioconférence de l’union Africaine. Ainsi que celle avec son homologue malgache. Donc la visioconférence apporte au quotidien une vraie souplesse dans l’organisation du travail car limitant les déplacements, occasionnant moins de frais annexes. En conformité avec le slogan néo-managérialiste des trois E : Efficacité – Efficience – Économie. Le caractère méticuleux du travail administratif et les configurations fonctionnelles des bureaucraties invitent à se pencher sur l’un des aspects de cette modernisation qui ne contourne pas l’Etat et ses administrations. Le sommet de l’Etat est le dernier niveau organisationnel à s’être approprié le télétravail et la téléconférence. Quand on sait que la télémédecine, l’administration sanitaire, l’enseignement sont des secteurs qui s’en sont déjà emparés. La visioconférence devient alors un outil d’importance majeure qui semble rendre une réunion plus simple et moins coûteuse à organiser.

Cependant les décisions les plus importantes peuvent elles se prendre ainsi ? Serait-ce applicable à un niveau d’État ? Des réunions à ce niveau sur un système de conférence publique soulève des questions de sécurité.  Serait-il « prudent » de tenir en ligne une réunion gouvernementale, à l’aide d’un outil de visioconférence ? D’aucuns pensent qu’il n’y a aucune raison de sécurité pour que des conversations en dessous d’une certaine classification ne puisse avoir lieu de cette façon.  C’est en ligne avec des données et informations stratégiques de notre État qui seront échangés et évoqués.  L’essentiel est qu’il ne devrait pas y avoir aucune négligence dans la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des informations échangées.

Au total, la visioconférence risque cependant de tuer l’art de la palabre africaine et la culture de la négociation diplomatique, entretenus jusqu’au sommet de l’Etat. Dans les sommets « physiques », nos chefs d’Etat aimaient à échanger des salamalecs, tenir des conversations-audiences en aparté, aller figurer sur la traditionnelle photo de famille, avant de se pencher sur les choses sérieuses en huis clos. Les sommets physiques en « direct live » avaient aussi l’avantage de permettre d’accorder des têtes-à- têtes bilatéraux, où se réglaient les grandes questions de l’Afrique et de ce monde.

Mais les plus malheureux dans cette affaire de visioconférences, ce ne sont pas nos chefs d’Etat : c’est leur cour de courtisans, hauts fonctionnaires et capitaines d’industrie, qui avaient pour habitude de voyager aux basques du chef de l’Etat et aux frais de la princesse, prétendument pour l’accompagner défendre les positions nationales et pour nouer des partenariats économiques. Mais plus vraisemblablement, avec les perdiems qui ne manquaient pas d’être distribués, pour aller faire du shopping sur les Champs – Elysées, magasiner dans les mall commerciaux climatisées de Dubaï, ou se refaire une garde-robe sur la 5ème avenue à New-York. Yako ! Maassa !

Par Gor Niolé

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