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La liste des destinations déconseillées par la France, dont 2 voisins du Sénégal

Après la prise d’otages de touristes français au Bénin le 1er mai, retour sur l’évolution de la liste des zones de vigilance dressée par le ministère des Affaires étrangères.

La mort de deux militaires français, lors de l’opération de libération de deux otages français au Burkina Faso, le 10 mai, a relancé la polémique sur les voyages à risque. Patrick Picque, 46 ans, et Laurent Lassimouillas, 51 ans, avaient été enlevés le 1er mai par des jihadistes alors qu’ils visitaient le parc de Pendjari, dans le nord du Bénin, non loin de la frontière avec le Burkina Faso.

Comment a evolué la zone de vigilance au Bénin ?

Sur son site web, le Quai d’Orsay peint le monde en quatre couleurs : vert (vigilance normale), jaune (vigilance renforcée), orange (déconseillé sauf raison impérative) et rouge (formellement déconseillé). C’est dans cette dernière catégorie, et «depuis pas mal de temps», que se trouvaient les Français enlevés le 1er mai, selon le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, interrogé sur Europe 1. Plusieurs médias l’ont accusé de mentir, s’appuyant sur les sauvegardes de la «fiche pays» du Bénin sur le site de la diplomatie française. Qu’en est-il ? Jusqu’en décembre 2018, selon la carte du pays dressée par le ministère, l’ensemble du Nord-Ouest béninois est en jaune : RAS ou presque. Mais à cette date, la fiche pays est mise à jour. La frontière avec le Burkina Faso – que matérialise la rivière Pendjari, donnant son nom au parc où ont été enlevés les Français – se teinte de rouge. Une bande plus large est colorée en orange. Sur son site, la diplomatie française précise alors à ses ressortissants : «Compte tenu de la présence de groupes armés terroristes et du risque d’enlèvement, les déplacements à la frontière nord du Bénin sont formellement déconseillés.»

Auprès de Libé, le ministère précise que le véhicule des otages a été retrouvé tout proche de cette frontière, dans la zone rouge donc. Toutefois, impossible de savoir si c’est bien à cet endroit qu’a eu lieu l’enlèvement – ce qui donnerait raison à Le Drian – ou si c’était plus loin de la frontière, dans la zone orange. Depuis le 10 mai, en tout cas, l’ensemble du parc de la Pendjari est passé en zone «formellement déconseillée».

Comment sont définies les zones ?

Le ministère des Affaires étrangères tient à jour en permanence des fiches détaillées par pays sur le site Conseils aux voyageurs, et une carte du monde indicative avec les zones coloriées du vert en rouge. La situation sanitaire, politique ou sécuritaire peut être différente d’une région à l’autre d’un même pays. Les informations sont collectées auprès des ambassades, de la sûreté aéroportuaire ou des services de renseignement, et peuvent être confirmées par des centres de crise étrangers plus présents sur certaines parties du monde, comme l’Australie dans le Pacifique. Le Quai d’Orsay insiste sur le fait que «la totalité des éléments est prise en compte. Par exemple, le risque terroriste expose moins en Europe où il y a une réponse rapide des secours et une accessibilité du territoire, qu’un accident collectif dans un archipel.»

A titre d’exemple, la Corée du Nord vient d’être placée en orange à cause des essais nucléaires et de la desserte aérienne effectuée par des compagnies placées sur la liste noire de l’Union européenne. Selon le centre de crise, le rouge a diminué depuis trois ans, mais l’orange s’est étendu : «Enlever ou mettre du rouge n’est pas une décision simple. Nous nous appuyons sur des faits et des statistiques, ce n’est pas nous qui créons la menace. Les pays se plaignent assez souvent, mais ça les aide aussi à prendre des mesures, comme sécuriser les aéroports, les hôtels ou les routes qui mènent aux principaux sites touristiques.» En moyenne, 8 millions de personnes consultent le site chaque année. «Le but est que nos compatriotes passent de bons moments à l’étranger. Nous ne sommes pas alarmistes mais l’Etat ne peut pas protéger les 1,8 million de Français qui vivent à l’étranger et les 20 millions de voyageurs annuels. Une partie de leur sécurité relève de leur comportement personnel, ils doivent s’informer des us et coutumes du pays et de la situation en temps réel.»

L’inscription au service Ariane, sur lequel on informe le Quai d’Orsay d’un déplacement à l’étranger, permet de recevoir des informations ciblées, comme une alerte météo.

Comment les risques ont-ils evolué ?

Si l’on en croit la carte des conseils aux voyageurs, environ un tiers du globe est déconseillé aux touristes français. Parmi les régions particulièrement concernées, l’Amérique centrale, le Sahel et l’Afrique du Nord, ainsi que le Moyen-Orient. Ce classement ne les empêche pas d’attirer des visiteurs du monde entier (+ 10 % en 2018 au Moyen-Orient, comme au Maghreb, une hausse supérieure à la moyenne mondiale), dans un contexte général d’augmentation des flux touristiques, qui ont atteint l’an dernier 1,4 milliard de voyageurs. Ce tourisme s’est concentré sur des pôles de stabilité locaux, comme le Maroc, seul pays du continent africain à apparaître encore en vert sur la carte du ministère des Affaires étrangères, ou les côtes tunisiennes. «La plupart des régions en zone rouge ou orange sont à l’écart de la carte touristique depuis une dizaine d’années au minimum», explique François Vellas, professeur d’économie du tourisme à l’université de Toulouse-Capitole.

Les années 90, caractérisées par une expansion de l’espace touristique, avec l’ouverture de la Chine, des pays du bloc de l’Est et de l’Afrique du Sud post-apartheid, ont vite fait place au monde de l’après-11 Septembre, dans lequel les prises d’otages et les attentats touristiques se sont multipliés, de l’Indonésie à l’Egypte. «Aujourd’hui, les pays en périphérie des zones troublées pâtissent de plus en plus des menaces sécuritaires, qui ont tendance à s’étendre,poursuit le chercheur. Le Bénin, qui avait réussi à attirer 100 000 visiteurs de plus en dix ans, pour atteindre 267 000 touristes en 2016, va forcément être touché.»

Comment procèdent les autres pays ?

Bien que les gouvernements ne puissent pas interdire à leurs ressortissants de se rendre où que ce soit dans le monde, la plupart fournissent des indications quant aux risques pris. Contrairement à la France, les Etats-Unis, le Canada ou la Belgique listent des pays à éviter sans faire de zonage régional précis. Le département des Affaires étrangères américain a placé 14 Etats en «rouge». Le Venezuela en fait partie depuis le 12 mars : «Do not travel», ordonne Washington, qui justifie ses restrictions : elles vont des risques sanitaires aux kidnappings en passant par les conflits armés.

Le cas de la Corée du Nord est à part puisqu’il est nécessaire d’obtenir une «autorisation spécifique du département des Affaires étrangères» pour s’y rendre. En cause : l’absence de relations diplomatiques entre Washington et Pyongyang. Le Canada emploie un vocabulaire plus nuancé et demande à ses ressortissants d’«éviter tout voyage»dans 24 pays, dont l’Erythrée et le Burundi. Quant à la Belgique, le porte-parole des Affaires étrangères, Matthieu Branders, rappelait auprès de la RTBF : «Si un citoyen belge décide de se rendre dans une région qui est complètement déconseillée, il ne peut pas prétendre à ce que les Affaires étrangères interviennent pour lui de la même manière que pour un touriste qui se rend dans une zone autorisée.»

Les Français sont-ils encore une cible prioritaire des jihadistes ?

Oui. Dans son dernier message vidéo, diffusé le 29 avril, le chef de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, désigne «la France croisée» comme l’un de ses principaux ennemis. Il remercie les groupes qui lui ont récemment fait allégeance, dont ceux au Burkina Faso, où les deux otages français ont été libérés vendredi, et au Mali, où ils devaient être emmenés. «Nous leur recommandons à tous d’attaquer leurs ennemis et d’épuiser leurs capacités humaines, militaires, économiques et logistiques», affirme-t-il.

Al-Baghdadi demande même au chef de l’EI dans le Grand Sahara, actif au Sahel, d’intensifier ses attaques contre les Français. Il cite enfin Jean-Michel et Fabien Clain, deux jihadistes français, tués fin février à Al-Baghouz en Syrie, lors de la dernière bataille pour annihiler le «califat» de l’organisation. Avant lui, Oussama ben Laden, chef d’Al-Qaeda tué en mai 2011, avait aussi fait de la France une cible prééminente.«Toute action qui ne pourra pas être dirigée contre des Américains devra l’être contre la France, actuellement tête de l’Europe», avait-il écrit dans une lettre retrouvée dans sa cache d’Abbottabad, au Pakistan. Il appelait à viser «les ambassades, les ambassadeurs et les intérêts commerciaux» français. Cette haine des deux principaux groupes jihadistes s’explique en partie par les actions militaires françaises à l’étranger. Longtemps déployée en Afghanistan, où elle a compté jusqu’à 4 000 soldats, l’armée française a aussi été la plus active, après les Etats-Unis, dans la coalition internationale pour éradiquer l’EI en Syrie et en Irak. Les jihadistes voient en outre dans la laïcité de la France une preuve de son islamophobie qui s’illustre, selon eux, par la loi qui interdit le port du voile intégral dans les espaces publics.