Puis, alors que la France s’apprête à commémorer les attentats du 13 novembre 2015, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) rend public un communiqué dans lequel elle s’indigne que la Fasti puisse être financée par la Ville : «Si le réseau de la Fasti a joué par le passé un rôle d’importance sur l’aide aux étrangers au sein du mouvement associatif, ses prises de position actuelles rendent choquantes l’idée même de l’octroi d’une subvention d’argent public. La Fasti défend l’idée que la France mènerait une politique de « racisme d’Etat », de « xénophobie d’Etat » néocoloniale, que la police organiserait des « rafles » sur ordre du Gouvernement. Elle défile également aux côtés des Indigènes de la République et du mouvement BDS», écrit-elle. Elle cite également des extraits du journal Ouvrons les frontières, une publication interne de la Fasti, laissant entendre que l’organisation trouve des excuses socio-économiques aux terroristes de janvier et novembre 2015 : «Ces propos sont insupportables. Ils reprennent au mot près l’argumentation islamiste visant à justifier les attentats.»

Gifle

Aussitôt, c’est le branle-bas de combat. Le premier adjoint à la maire de Paris, Emmanuel Grégoire, fait savoir que la délibération municipale sur cette subvention est reportée : «Nous prenons connaissance par ce communiqué de la Licra de déclarations et de prises de position qui posent question. Nous souhaitons donc reporter l’examen de cette délibération afin d’étudier ces nouveaux éléments et en tirer toutes les conséquences nécessaires», a-t-il tweeté. A la mairie de Paris, on confirme à Libération qu’il n’y avait pas eu jusqu’ici de raison de douter de la Fasti : «Dans leurs relations avec l’association, ni les services ni les élus non décelé de difficulté, donc il n’y a pas eu de méfiance a priori, donc pas de travail d’investigation poussée sur les propos tenus il y a trois ans» mais parce que «nous tenons en estime le travail [de la Licra], nous avons souhaité par principe reporter le vote, avant même d’en savoir plus.»

Pour Prudence Riff, l’une des coprésidentes de la Fasti, le communiqué de la Licra et la décision de la mairie de reporter l’examen de la délibération sur cette subvention sont une gifle : «Nous n’avons aucun contentieux avec Pierre Liscia ou la Licra, on a donc été très surpris par ces attaques gratuites, infondées et scandaleuses. Ce que dit la Licra entache notre image. Les propos attribués à la Fasti ont été sortis de leur contexte, ils ont enlevé des phrases entières volontairement, juge-t-elle auprès deLibération. On n’a jamais été pro-terroristes, ils ont enlevé nos mots de solidarité et de condoléances aux victimes. Dans le texte incriminé, nous essayons d’apporter des réflexions sur les causes profondes des attentats mais en aucun cas ce n’est une apologie des terroristes ! La Licra a manipulé nos propos. C’est diffamatoire.»

Scission intellectuelle

Dans son communiqué, la Licra prétend également qu’«en 2015, ces prises de position avaient conduit l’Etat à ne plus financer la Fasti». Or, au vu des documents émanant notamment de la Direction générale des étrangers en France, qui dépend du ministère de l’Intérieur, et que Libération a pu consulter, c’est inexact. Une demande de subvention datant de 2015 a bien été refusée au motif que l’opération proposée par la Fasti ne correspondait pas aux critères de l’appel à projet, mais, fin septembre 2015, après avoir monté un nouveau dossier, elle a bien obtenu une subvention de 70 000 euros.

Depuis, plusieurs élus parisiens ont apporté leur soutien à la Fasti. «Cette polémique est ridicule, juge David Belliard, président des écologistes au Conseil de Paris. La Fasti fait un travail que même ses opposants reconnaissent. Le problème c’est qu’il y a un procès d’intention. Je regrette que la gauche s’aligne sur une critique de la droite. Il faut assumer de financer des associations quelles que soient leurs positions politiques, à condition que cela reste dans le cadre républicain et à condition que les actions menées soient utiles pour les gens.»

Cette affaire, quelle qu’en soit l’issue, est une nouvelle illustration de la scission intellectuelle qui oppose dans le monde des militants antiracistes, ceux qui se veulent universalistes (la Licra) et ceux qui sont partisans d’un antiracisme intersectionnel voire différentialiste (la Fasti, qui se dit «féministe, anticapitaliste et tiersmondiste»). Du côté de la mairie, on reste calme : «Nous allons regarder les propos et prises de position publiques et déciderons en fonction. La Ville alloue des centaines de milliers d’euros de subventions à chaque Conseil de Paris avec plusieurs centaines de délibérations. Un sujet est signalé, nous mettons sur pause et creusons.»