Migrants sénégalais: les Espagnols à un pas de la crise de nerfs

Moustapha Sow est le président de l’Association des Sénégalais des Iles Canaries ou Gran-Canaria, une région d’Espagne regroupant les iles Tenerife, Las-Palmas, Fuerteventura, Gomera etc. Etabli à Las Palmas depuis près de 40 ans, Tapha Sow avait facilité le séjour du reporter du « Témoin » en 1997 aux Iles Canaries lors de l’arrivée des premières pirogues de la mort. Aujourd’hui, il nous explique que le phénomène est devenu à la fois plus dramatique et excessif au point de provoquer la haine et la colère des habitants espagnols. Sur ce point, Tapha Sow alerte le gouvernement du Sénégal et l’invite à prendre ses responsabilités pour éviter une éventuelle chasse à l’homme noir qui peut basculer dans un génocide. Exclusif !

Le Témoin : Comment vivez-vous la situation dans la Grande-Canarie où les pirogues sénégalaises continuent de débarquer leur lot de migrants ?

Moustapha Sow : D’abord, permettez-moi au nom du peuple sénégalais de demander pardon au peuple espagnol et particulièrement aux populations des Iles Canaries ou la Grande Canarie si vous préférez. En ma qualité de président d’association des Sénégalais et membre de la Fédération des ressortissants africains, je demande pardon au gouvernement espagnol pour le tort causé avec ces milliers de migrants africains, et particulièrement sénégalais, qui ont envahi illégalement le territoire d’autrui. Le monde est régi par des lois, et tout étranger désirant entrer dans un territoire comme l’Espagne doit remplir les conditions d’entrée et de séjour édictées par les autorités de ce pays. Malheureusement, tel n’est pas le cas chez les migrants sénégalais qui débarquent irrégulièrement en Espagne. Je ne cesse jamais de le répéter, « Le Témoin » (votre serviteur) a été le premier journal sénégalais voire africain à effectuer un reportage aux Iles Canaries en 1997 lors de l’arrivée des premières pirogues. Votre reporter se souvient sans doute d’un cimetière musulman que le gouvernement espagnol avait aménagé pour l’inhumation des cadavres échouant sur les plages. Aujourd’hui, ce cimetière est plein et les autorités communales sont tellement dépitées qu’elles n’en envisagent même pas l’extension. Et pourtant, chaque jour, en moyenne plus de 200 cadavres de migrants clandestins échoués sur les plages des Iles-Canaries sont ramassés et enterrés dans des fosses communes. Je dis bien fosses communes. Quant aux pirogues et barques de fortune, la mairie fait actionner les Caterpillar pour les écraser dès leur arrivée. Juste pour vous dire que la situation que nous vivons est beaucoup plus inquiétante et dramatique que celle des années 1997, 1998 et 1999. Un phénomène indescriptible ! Le gouvernement espagnol est dépassé par la ruée des migrants vers les iles-Canaries. Plus de 4.000 migrants africains composés de Sénégalais, Maliens, Nigérians, Gambiens et autres sont maintenus dans des centres de rétention pour tenter de dissuader les départs de milliers de migrants vers l’archipel des Canaries. Hélas, jusque- là, on n’entend ni le président Macky Sall, ni l’ambassadrice du Sénégal à Madrid encore moins le consul honoraire du Sénégal à Las-Palmas se prononcer sur cet horrible drame de l’émigration clandestine, ne serait-ce que pour présenter les excuses du gouvernement du Sénégal au peuple espagnol.

Justement, quel est l’état d’esprit des populations des Iles-Canaries comptant plus de 2 millions d’habitants face aux « envahisseurs » africains ?

Vous savez, j’ai fait plus de 40 ans en Espagne où je me suis intégré dans un peuple espagnol accueillant et sympathique. Je peux même vous témoigner que le peuple espagnol est le plus tolérant et le plus accueillant d’Europe à l’égard des étrangers que nous sommes. Mais toute chose a une limite ! A l’heure actuelle, les populations espagnoles nourrissent un sentiment de haine à l’encontre des migrants clandestins. La semaine dernière, elles ont organisé des manifestations de protestation pour exiger que le gouvernement de Madrid trouve rapidement des solutions et freine les arrivées des migrants vers l’archipel des Canaries. A travers ces manifestations, les populations autochtones non seulement dénoncent la situation irrégulière de ces milliers de migrants mais encore ruminent leur colère du fait que, disent-ils, ces migrants violent et engrossent leurs filles et commettent aussi des agressions et des cambriolages. Ces manifestations ne sont qu’un signal d’alarme car les Espagnols sont actuellement très préoccupés par la deuxième vague de pandémie. En effet, ils évitent de multiplier les manifestations massives à cause de la propagation du coronavirus.

Donc, si nous avons bien compris, c’est la pandémie qui freine leur détermination à en finir avec les migrants…

Exactement ! En clair, ils ne comptent pas lutter sur deux fronts. Mais une chose est sûre, si les Espagnols se révoltent, tous les migrants sénégalais voire africains seront massacrés dans les Iles Canaries. Je suis mieux placé pour alerter le gouvernement du Sénégal à prendre ses responsabilités face à un éventuel génocide sur fond de xénophobie. Aucun homme noir n’échappera à la vindicte populaire puisqu’ils seront coincés dans des territoires entourés d’eau et ne pourront donc fuir nulle part. Il est vrai que les Espagnols sont très tolérants mais quand ils se révoltent, leurs actes de violence et de cruauté sont sans commune mesure. Ils peuvent être pires que les Anglais et les Allemands.

Croyez-vous que les Espagnols pourraient réellement être poussés à déclencher cette cruelle chasse aux migrants clandestins ?

Bilahi, Walahi, Tallahi…je vous jure que les populations espagnoles finiront par se révolter face à l’afflux des migrants ! Aujourd’hui, les agents de la police, les gardes-côtes et les éléments de la Marine espagnole en ont marre de cette situation synonyme de provocation. Sans oublier les agents de la Croix-Rouge et du Service d’Hygiène qui s’activent dans le ramassage des cadavres. Ces agents étatiques et autres élus locaux sont tellement dépités qu’ils ne veulent même plus donner à manger ou à boire à ces migrants qualifiés de « merde » ! Comme vous le savez, jusque-là, les autorités communales et les populations toléraient le fait que les migrants marocains venaient avec des zodiacs de 25 à 50 personnes tous les jours. Là au moins, on pouvait comprendre ! Ce, contrairement aux Sénégalais qui ont trop exagéré avec leurs pirogues ayant à leur bord 150, voire 300 passagers. Sans oublier la majorité des passagers décédés en haute mer que les vagues ne cessent de rejeter au bout de quelques jours sur les différentes plages espagnoles. Vraiment mes compatriotes sénégalais « Dagno Eupeul » (Ndlr, ils exagèrent). Rappelez-vous ce qui s’était passé en Afrique du Sud lors des émeutes xénophobes où des migrants et commerçants africains noirs ont été brulés vifs dans les rues sans autre forme de procès. Et pourtant, ceux qui commettaient ces actes étaient des Noirs comme eux ! Jusque-là, le gouvernement sud-africain n’a ouvert aucune enquête pour élucider ces morts passées par profits et pertes dans les archives d’un séjour irrégulier ou émigration clandestine. Ce que je crains, c’est que si le gouvernement du Sénégal ne prend pas de mesures répressives pour arrêter les départs exagérés de jeunes Sénégalais, les Iles Canaries feront pire que l’Afrique du Sud. Parce qu’ici, aux Iles Canaries, les migrants sénégalais, maliens ou gambiens n’ont pas de boutiques ou de commerces pouvant subir des pillages, donc ils risquent de le payer chèrement de leur peau !

D’après Le Témoin