Note de lecture: Le terroriste noir de Tierno Monénembo, Paris, Seuil, 2012

L’auteur tire du néant un fragment particulier de l’Histoire qui lie l’occident, notamment la France, à certains peuples Africains. Il réclame, subtilement, la reconnaissance des « tirailleurs Sénégalais » méconnus, qui ont sacrifié leur vie pour la libération de la France sous l’occupation nazie, pendant la Seconde guerre mondiale. 

Par Baltazar Atango Noah

« Le terroriste noir » raconte l’histoire d’Addi Bâ, un « tirailleur Sénégalais » fait prisonnier après la bataille sur la Meuse, mais qui réussit à s’évader et se réfugie dans les Vosges. Ce roman est écrit comme un long monologue de Germaine Tergoresse, la “bonne du curé” de Romaincourt, un petit village perdu au beau milieu de la plaine des Vosges, dont l’histoire fut bouleversée par l’arrivée de ce drôle de tirailleur, bien décidé à continuer à en découdre avec l’occupant allemand. Germaine Tergoresse raconte au neveu d’Addi Bâ la vie et les combats de son oncle. Séducteur adroit et plein de courtoisie, soldat fidèle, fin stratège, Addi Bâ réussit à mettre sur pied un maquis. D’emblée, il devient un héros de la Résistance française contre l’oppression allemande.

Le romancier mêle la fiction à la réalité. La trame de son roman s’inspire d’une histoire réelle, celle du tirailleur sénégalais d’origine guinéenne Mamadou Haddy. Il est question dans ce livre de reconnaître l’action déterminante des Africains dans la Résistance et la libération de la France sous l’occupation allemande. Monénembo lance un cri vigoureux lorsqu’il s’engage à dépoussiérer cet épisode difficile de l’histoire que les Africains et les Français ont en commun. C’est une initiative louable qui favorise la connaissance générale et intégrale de l’Histoire et contribue à combler le profond trou de mémoire historique des Français et des Africains. Mais aussi, à écrire la mémoire d’un peuple en quête de repères.

Le choix de l’auteur de narrer l’histoire d’Addi Bâ via la voix de Germaine, est une manière de stimuler la conscience des citoyens français. Afin qu’elle ne se noie point dans l’océan de l’insouciance naïve, de l’ingratitude gratuite, de l’amnésie collective et du silence complice.

Aux yeux de Monénembo, il est urgent de reconnaître le rôle illustre joué par les Africains qui ont participé à la Seconde guerre mondiale aux côtés de la France. Il est clair que la France est « une société cousue de fil noir », pour emprunter un titre de Jean Jasmin. Les Africains ont contribué à libérer et édifier la patrie française. Il n’est donc pas juste qu’ils soient mis à l’écart lorsqu’il s’agit de parler de l’Histoire franco-africaine.

Ce roman de Monénembo suggère de considérer l’implication de la littérature sur l’espace public, c’est-à-dire l’univers du dialogue collectif autour de la mémoire. Le récit de la trajectoire d’Addi Bâ devient donc le vecteur d’une force illocutionnaire qui lui donne la possibilité de s’inscrire dans le processus de représentation et de construction littéraire d’un imaginaire social médiateur qui insiste sur la valorisation des héros oubliés ou méconnus. Ce qui, autrement dit, entraîne la traduction morale des engagements socioculturels et historiques qui deviennent le facteur qui propose de reformuler les valeurs, les croyances, les images de soi-même en rapport aux mondes de même que les frontières (culturelles, économiques, politiques etc.) entre les individus, et partant les pays. Plus amplement, c’est dire que Le terroriste noir est chargé de forces révélatrices posées comme des actes de parole, d’écriture et de langage qui transforment et alimentent les débats dans les espaces publics africains et européens en général. En ce sens, l’acte d’écriture de Monénembo est la reconfiguration d’un nouvel ordre social et d’un ordre symbolique qui illustre une nouvelle conception du parcours existentiel des héros de la Résistance française, notamment contre l’oppression allemand.

In fine, le monde n’a plus besoin des “terroristes-assassins” dont l’action est synonyme de violence et de destruction. Mais des “terroristes-humanistes” qui militent pour le respect des droits de l’homme et pour la paix dans les mondes. En un mot, le roman de Tierno Monénembo invite le lecteur à ne pas être cet homme dont les actes laissent entrevoir qu’il serait venu au monde « par la mauvaise porte… »!

 

Baltazar Atangana Noah, dit Nkul Beti, est écrivain, critique littéraire et chercheur associé à L’Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine. Il a publié Aux Hommes de tout… (2016) et Comme un chapelet (2019).