Petit-neveu d’Houphouët, Tidjane Thiam dément des ambitions présidentielles après avoir bel et bien voulu se présenter

L'Ivoirien Tidjane Thiam fuit les projecteurs de la politique.

LES AFRIQUES – Tidjane Thiam soutient n’avoir toujours pas la tête en Côte d’Ivoire. Le banquier est régulièrement cité comme un potentiel candidat à la présidence ivoirienne. C’est très officiellement qu’il donc a déclaré et redit au quotidien suisse « Le Temps » son absence d’ambition politique. Pourtant, Tract tient de source autorisée que Thiam a bel et bien tâté le terrain pour se présenter à la présidentielle 2020. Il a vite été découragé par ses interlocuteurs, qui lui ont fait comprendre que son patronyme sénégalais réveillerait immanquablement les démons de l’ivoirité et de la guerre civile, en cas de candidature. Tout petit-neveu d’Houphouët – Boigny qu’il a beau être.

En 1990, devant les caméras de télévision, Houphouët lui-même avait désigné les Thiam comme ses héritiers, rappelant la coutume de son village. Chez les Baoulés, le pouvoir se transmet par les femmes. « Dans notre famille, nous sommes quatre, mes deux sœurs n’ont pas d’enfants, tout comme l’une de mes cousines. Seule la plus jeune, Amoin, la fille de ma tante Yamousso, a pu en avoir. Grâce à Thiam, de par la coutume, ce sont eux mes héritiers directs. »

« Thiam », c’est Amadou Thiam. Journaliste ivoiro-sénégalais devenu ministre de l’Information puis ambassadeur au Maroc, il a eu sept enfants avec Marietou Sow, la fille d’Amoin, tous chéris par le patriarche. « Ils ont fait de grandes études, Houphouët les trouvait très intelligents, il les adorait », se rappelle un ancien compagnon du dirigeant. Quatre d’entre eux, Daouda, Augustin, Aziz et donc Tidjane, ont été ministres.

Deux ans avant la prochaine élection présidentielle, prévue en octobre 2020, le marigot politique ivoirien est déjà en ébullition, avec grandes manœuvres au sein des partis et renversements d’alliances. Et des noms qui circulent, presque toujours les mêmes depuis des décennies. Tous, sauf un, qui fait le buzz, et crée un certain émoi sur les bords de la lagune Ebrié : celui de Tidjane Thiam, qui est l’actuel directeur général du Crédit suisse.

Les « Thiamistes », comme ils se nomment eux-mêmes, donnent de la voix sur les réseaux sociaux pour appeler de leurs vœux un renouveau, qui passe par la « mise à la retraite de cette vieille classe politique ». Et l’arrivée au sommet de l’Etat d’une personnalité brillante, jeune, hors sérail, incarnée à leurs yeux par Tidjane Thiam, 56 ans, soit vingt ans de moins que l’actuel président Alassane Ouattara.

« Fierté de la Côte d’Ivoire »

L’ex-président Henri Konan Bédié, 84 ans, est, lui, toujours dans la course et ne fait guère mystère de ses ambitions, « pour laver l’affront du coup d’Etat de 1999 qui l’avait privé d’un second mandat », selon ses proches. Quant à Laurent Gbagbo, 73 ans, actuellement jugé à la Cour pénale internationale (CPI), il est attendu comme le messie par ses partisans, persuadés qu’il sera libéré de prison le 1er octobre et pourra ainsi quitter La Haye pour Mama, son village natal, avant de repartir à la conquête du pouvoir. On en est là.

« Un million de signatures pour Tidjane Thiam 2020 », « Les amis de Tidjane Thiam », « Génération Tidjane Thiam » « Tidjane Thiam horizon 2020 », « TT2020 » « Le meilleur reste à venir »… Les pages Facebook fleurissent sur Internet, assorties d’autant de hashtags. Les qualités et compétences du directeur général du Crédit suisse, « fierté de la Côte d’Ivoire », sont décortiquées à longueur de posts, appuyées par des extraits de ses interviews. Et il est régulièrement comparé à un Emmanuel Macron.

Contacté par Le Temps, Tidjane Thiam fait diplomatiquement savoir qu’il est « à la fois touché et honoré par toutes les marques de soutien exprimées à son égard récemment par nombre de ses compatriotes ivoiriens ainsi que plus généralement par de nombreux Africains ». Tout en s’empressant d’ajouter : « J’ai dit à plusieurs reprises et depuis de nombreuses années ma détermination à ne pas avoir d’activité politique. » Dans sa réponse, il insiste sur son « engagement à long terme » à la tête du Crédit suisse et sur sa volonté de poursuivre la stratégie mise en place qui « produit de bons résultats ». Fermer le ban ? Non, Tract sait de source sûre que Tidjane Thiam a caressé l’idée de devenir Président de la Côte d’Ivoire. Avant de se rendre à l’évidence que ce projet est saugrenu quand on s’appelle Thiam.

« Fatigués des querelles politiciennes »

Cela suffira-t-il à décourager ses supporteurs, qui lancent un appel à une réunion de tous les « Thiamistes » le 15 septembre à Abidjan, afin d’unir leurs forces ? Rien n’est moins sûr, tant est fort l’espoir de voir émerger de nouvelles personnalités, plus en phase avec la jeunesse d’un pays où 70 % de la population a moins de 30 ans.

« Il s’agit là d’un message de la société civile pour dire aux politiciens que les Ivoiriens en ont marre et sont fatigués de leurs querelles perpétuelles », estime un responsable politique, lequel, dans un contexte tendu, souhaite conserver l’anonymat. Il rappelle également que, depuis 1999 et le coup d’Etat du général Gueï contre le président Bédié, dont il était le ministre du plan et du développement, Tidjane Thiam n’est jamais revenu en Côte d’Ivoire.

D’autres responsables font remarquer que des attaques liées à l’origine sénégalaise de son patronyme sont déjà apparues, ravivant la crainte de voir le pays renouer avec ses vieux démons. « On a rarement vu en Afrique de président parachuté de l’extérieur se faire élire », rappelle enfin un journaliste ivoirien, citant l’exemple de Lionel Zinsou au Bénin, présenté comme un banquier et un manager hors pair, mais rejeté dans les urnes par ses compatriotes en 2016.