Présidentielle : Quels sondages avaient-eu raison en 2012 ?

Par Damel Mor Macoumba Seck

POLITIQUES – Avec la présidentielle à l’horizon, les sondages se remettent à pointer leur nez. Une enquête d’opinion faite à Dakar en mars 2018 donne ainsi Macky Sall à 32%, Khalifa Sall à 30%, Karim Wade à 6,3% et Idrissa Seck à 6%. Mais peut-on se fier aux sondages au Sénégal ?

En 2014, le résultat d’une enquête, réalisée dans 44 pays, auprès de 48 643 répondants, publiée par le think thank américain spécialisé dans les sujets controversés, Pew Research Center, indiquait que ….. 73 % des Sénégalais estimaient que la situation économique va s’améliorer au cours des prochaines années. Ce qui en faisait le peuple le plus optimiste du monde quant à l’avenir.

Mais un pourcentage aussi haut, dans un pays pauvre, n’était-ce pas plutôt le signe que les Sénégalais sont le peuple le plus fataliste du monde, toujours prompts qu’ils sont à répondre ‘‘ça va bien, Alhamdoullilah’’ quand on s’enquiert de leur état de santé, seraient-ils même à l’article de la mort ?

En clair, les Sénégalais sont-ils une espèce humaine « sondageo-compatible », habitués qu’ils sont à toujours exprimer le point de vue du plus grand nombre et l’opinion dont ils pensent qu’elle serait la plus « convenable » pour leur auditoire?

Dans ce pays, dire les choses crûment et comme on les pense est considéré comme discourtois et « mal-civilisé » par le citoyen lambda. Pour reprendre le mot de Voltaire, au Sénégal, « dire le secret d’autrui est une trahison et dire le sien est une sottise ».

Autre chose, du fait de la loi, les sondages d’opinion restent un tabou interdit de fait par la loi. Au total, les enquêtes d’opinion offrent peu de garanties de fiabilité, surtout en raison du caractère rétif du Sénégalais à dire le fond de sa pensée.
La loi de 1986 qui visait à organiser les sondages au Sénégal est une loi contraignante et inopérante. Selon ce texte, il faut une autorisation préalable pour réaliser un sondage et une autre autorisation pour en livrer les résultats. Cette loi du 14 avril 1986, dans son exposé des motifs, avait pour ambition de « protéger l’opinion publique sénégalaise contre toute manipulation à des fins politiques ou commerciales » face à « certains sondages ne respectant pas un minimum de règles techniques indispensables à leur fiabilité ». Aujourd’hui, elle favorise ces manipulations…

Disposition qui vide les sondages de leur utilité, le texte interdit (article 20) la publication de sondages en période préélectorale : « La publication ou la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum ou une élection réglementée par le code électoral est interdite à compter de la date de publication au journal officiel du décret portant convocation du corps électoral jusqu’à la publication définitive des résultats du scrutin ». Ce qui peut conduire à la situation aberrante d’interdire les sondages d’opinion une année avant une élection !

Celui qui publie des sondages à l’approche d’une élection risque gros : de un à trois ans de prison et une amende pouvant atteindre 1,5 million de F CFA.
La loi soumet par ailleurs la publication des sondages à deux validations : la détention, par l’organisme qui procède à l’enquête, d’un agrément de la commission nationale des sondages (article 16). Et l’obtention, par ce même organisme, d’une autorisation de publier le sondage, sur la foi d’un certain nombre d’éléments à présenter à la commission (articles 17 et décret 86-616 du 22 mai 1986).

Le problème ? Cette « commission nationale des sondages » est un serpent de mer inexistant. Un décret n° 2011-587 du 5 mai 2011, signé par le Président Abdoulaye Wade, avait pour objectif de rendre cette commission opérationnelle. Mais cette commission ne dispose même pas d’adresse!
Yacine Ba Sall de l’institut BDA est d’avis qu’il faut « alléger les procédures préalables à un sondage. La commission nationale des sondages doit par ailleurs être une commission de techniciens ».

Alors, dans ce no man’s land socio-juridique, quid des sondages pour l’élection présidentielle de 2012 ? Ont-ils eu raison ? En novembre 2011, le quotidien Le Pays annonçait la victoire écrasante d’Abdoulaye Wade dès le premier tour de la prochaine élection présidentielle sénégalaise avec un score de 53 % alors que la Une de l’Observateur donnait Wade à seulement 24 %, toujours sur la foi d’un « sondage ». « Une telle différence de résultats, c’est absolument impossible. » s’étranglait Aly Saleh Diop, directeur de l’Institut de recherches et d’investigations par sondage (Iris), un des cinq cabinets les plus cotés à Dakar.
Les patrons de L’Observateur et du Pays au quotidien ont d’ailleurs été convoqués fin novembre 2011 à la Division des investigations criminelles (DIC). L’audition de Serigne Saliou Samb, alors directeur du Pays, a duré six heures. « C’était interminable. Les limiers m’ont simplement demandé d’où provenait le sondage. Je n’ai pas révélé ma source. Il s’agit d’intimidation. » Il s’agit là d’une interprétation abusive du secret des sources de presse. Les sondages ne sont pas couverts par le secret des sources. En juin 2011, Notresenegal.com – branche Internet de TRESJUSTE (Mouvement pour le travail, l’émergence du Sénégal, la justice sociale et territoriale) publie un sondage paru dans plusieurs organes de presse, selon lequel  « Abdoulaye Wade serait éliminé au 1er tour si la Présidentielle avait lieu aujourd’hui avec en face de lui un ticket Niasse-Tanor (Tanor colistier), arrivant avec 17% des voix derrière Niasse (26%) et Macky Sall (18,5%) ».

Moubarack Lô, alors à la tête du cabinet Émergences, a eu plus de chance…ou de rigueur. Son institut a eu le nez creux, en publiant le 22 novembre 2011 dans l’Observateur, un sondage « effectué de manière rigoureuse par un institut étranger » (sans préciser lequel) qui donnait dans l’ordre le bon tiercé d’arrivée à la présidentielle de mars 2012 : Wade, suivi de Macky, puis de Niasse. En juin 2010, Moubarack Lo donnait Macky Sall vainqueur à 48% contre Wade à 38%, soulevant les protestations d’Iba Der Thiam.

Proche du candidat Macky Sall, Moubarak Lo rejoindra le pouvoir après l’élection de celui-ci. Un sondeur a-t-il le droit d’avoir une activité politique et partisane ? Interrogé par nos soins, Moubarack Lô nous a répondu : « on peut diriger un cabinet de sondages et soutenir un candidat. C’est une question d’éthique. Je ne touche pas une virgule aux résultats des sondages et nos enquêteurs sont des plus rigoureux. Ma nomination à la Présidence ne constituait nullement une promotion mais un sacerdoce ? C’est pourquoi j’avais rendu le tablier quand la voie suivie ne répondait plus à  ma vision de la gestion de l’État ». A ce moment-là, il avait fait l’objet d’une démission-limogeage. Depuis lors, Moubarack Lo est à nouveau retourné dans le dispositif du régime, comme conseiller économique du Premier ministre Boune Abdallah.

Que coûte un bon sondage ? Aly Saleh Diop, directeur d’Iris, soutient qu’« une enquête digne de ce nom coûte autour de 75 millions de F CFA ». Moubarack Lô estime que l’on peut réaliser un sondage fiable au Sénégal à moins de 10 millions de FCFA.

N’est –ce pas jeter de l’argent par les fenêtres ? Même munis de leurs cartes d’électeurs et en file indienne devant un bureau de vote, les Sénégalais n’en démordent pas : c’est Dieu qui octroie le pouvoir d’État!  Tous les candidats ont donc leur chance. Inc Allah.