Putschistes acclamés par des foules : ce vendredi, la rue malienne a « validé » le coup d’État

Des milliers de partisans de l’opposition ont célébré vendredi, dans le centre de Bamako, la « victoire du peuple malien » et le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta, trois jours après un coup d’Etat militaire dénoncé par la communauté internationale.

A l’appel de la coalition d’opposition du M5-RFP, les manifestants se sont rassemblés au son des vuvuzelas sur la place de l’Indépendance, épicentre depuis plusieurs mois de la contestation du pouvoir du président Keïta, dit « IBK », ont constaté des journalistes de l’AFP, lus par Tract.

« Je suis trop contente! Nous avons gagné. Nous sommes venues ici pour remercier tout le peuple du Mali parce que c’est la victoire du peuple », jubilait Mariam Cissé, 38 ans, une partisane de l’opposition.

« Nous sommes là pour fêter la victoire du peuple. Rien que la victoire du peuple. IBK a échoué. Le peuple a remporté la victoire », a abondé Ousmane Diallo, un militaire à la retraite de 62 ans. Mais « maintenant, il ne faut pas que les militaires pensent rester au pouvoir », a-t-il averti.

L’opposition avait, avant le coup d’Etat, prévu des rassemblements vendredi pour réclamer à nouveau le départ « d’IBK ».

Elle s’est félicitée du coup d’Etat de mardi, estimant qu’il avait « parachevé » sa lutte, et s’est dit prête à élaborer avec la junte une transition politique, que les militaires affirment vouloir de courte durée.

Le manifestants, qui arboraient des drapeaux aux couleurs du Mali, ont convergé dans l’effervescence vers la place de l’Indépendance, où a été célébrée la grande prière musulmane du vendredi.

Parmi les pancartes, on pouvait lire « Cédéao, syndicat de chefs d’Etat aux services d’intérêts personnels ».

La Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a tenté ces dernières semaines plusieurs médiations pour dénouer la crise politique entre le président Keïta et la coalition du M5-RFP, qui mêle d’opposants, de chefs religieux et de membres de la société civile.

Après avoir fait d’un départ forcé du chef de l’Etat une « ligne rouge » à ne pas franchir, ses dirigeants ont condamné jeudi le coup d’Etat et réclamé le « rétablissement d’Ibrahim Boubacar Keïta en tant que président de la République ».

Une nouvelle mission de la Cédéao, conduite par l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan, est attendue samedi à Bamako. La junte a affirmé vendredi qu’elle la recevra « avec plaisir ».

Sous les vivats de milliers de personnes rassemblées vendredi à Bamako pour fêter la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta, les militaires ayant pris le pouvoir au Mali ont remercié « le peuple malien pour son soutien », à la veille de l’arrivée d’une mission ouest-africaine.

Entourés de militaires en armes, Malick Diaw, n°2 du « Comité national pour le salut du peuple » (CNSP) mis en place par les putschistes, ou encore leur porte-parole, le colonel-major Ismaël Wagué, ont été accueillis sous les youyous au pied du monument de l’Indépendance.

« Nous sommes venus (…) remercier le peuple malien pour son soutien. Nous n’avons fait que parachever le travail que vous aviez commencé », a lancé à la foule enthousiaste Ismael Wagué, après avoir expliqué par « un empêchement de dernière minute » l’absence du chef de la junte et nouvel homme fort du Mali, le colonel Assimi Goïta, 37 ans.

Selon les estimations d’un correspondant de l’AFP, la foule était plus nombreuse que lors des manifestations organisées depuis juin par le Mouvement du 5-Juin (M5-RFP) pour réclamer le départ du président Keïta, dit « IBK ».

Les militaires ont ensuite laissé la place aux dirigeants de cette coalition hétéroclite qui avait appelé au rassemblement de vendredi. Ceux-ci ont salué l’intervention des militaires: « il n’y a pas de coup d’Etat, il n’y a pas de junte, nous avons des Maliens qui ont pris leurs responsabilités », expliqué l’un de ces dirigeants, Mohamed Aly Bathily.

L’influent imam Mahmoud Dicko, figure morale dont le rôle a été crucial dans la mobilisation anti-IBK, a lui annoncé à la foule retourner « à la mosquée », avant de remercier les militaires putschistes et d’appeler à « chasser les démons de la division ».

« Je suis imam et je reste imam », a ajouté l’imam Dicko, laissant néanmoins entendre qu’il continuerait à exercer une influence sans toutefois s’impliquer directement dans l’action politique.

« Nous avons gagné (…) c’est la victoire du peuple », jubilait Mariam Cissé, 38 ans dans la foule.

Ainsi donc,  la mission dépêchée par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) pour réclamer le « retour à l’ordre constitutionnel » est attendue samedi à Bamako. Elle sera conduite par l’ancien président nigerian Goodluck Jonathan, accompagné du président de la Commission de la Cédéao, Jean-Claude Kassi Brou, et du ministre des Affaires étrangères du Niger, Kalla Ankourao.

Comme indiqué, la junte la recevra « avec plaisir » samedi, a assuré un responsable du nouveau pouvoir, alors que des manifestants brandissaient vendredi des pancartes hostiles à l’organisation ouest-africaine qui a réclamé jeudi le « rétablissement » du président Keïta, au pouvoir depuis 2013.

L’ONU a indiqué avoir pu rendre visite jeudi soir aux personnalités arrêtées lors du coup d’Etat mardi, dont le président renversé et son Premier ministre Boubou Cissé, toutes détenues au camp militaire de Kati, ville-garnison proche de Bamako, devenu le centre du nouveau pouvoir.

Encore 17 détenus –

« Nous avons autorisé une mission des droits de l’Homme de l’ONU au Mali à rendre visite à tous les 19 prisonniers de Kati, y compris » l’ancien chef de l’Etat et son Premier ministre, a déclaré à l’AFP un responsable de la junte.

Parmi les autres personnalités arrêtées figurent le ministre de la Défense et celui de la Sécurité, les généraux Ibrahima Dahirou Dembélé et M’Bemba Moussa Keïta, le président de l’Assemblée nationale Moussa Timbiné et le chef d’état-major de l’armée, le général Abdoulaye Coulibaly.

« Nous avons libéré deux prisonniers, l’ancien ministre des Finances et de l’Economie Abdoulaye Daffé et Sabane Mahalmoudou », secrétaire particulier du président, a affirmé le responsable de la junte, « c’est la preuve que nous respectons les droits de l’Homme ».

Abdoulaye Daffé est considéré comme proche du chérif de Nioro, autorité musulmane et mentor de l’imam Dicko.

IBK « fatigué mais serein » –

Le président déchu et son Premier ministre ont été transférés dans une villa de Kati, où ils sont privés de télévision, de radio et de téléphone, selon deux personnes ayant assisté à la visite, dont un responsable de la junte.

« Leurs conditions de détention sont acceptables », le président malien « avait l’air fatigué mais serein », selon une de ces sources. Quant à Boubou Cissé, il était d’un « calme olympien ».

Les autres sont détenus dans un centre de formation de Kati, où ils « dorment sur des matelas et partagent une même télévision », ont indiqué des témoins à l’AFP.

La junte entend mettre en place « un conseil de transition », avec un président qui sera « un militaire ou un civil ».

Elle a annoncé la réouverture dès vendredi des frontières terrestres et aériennes, même si les voisins du Mali ont fermé leurs propres frontières avec lui, sauf pour les denrées de première nécessité, les médicaments et l’énergie.

Par ailleurs, le chef de l’opposition malienne Soumaïla Cissé, enlevé par de présumés jihadistes le 25 mars, en pleine campagne législative, a transmis des lettres à sa famille, sans contact avec lui depuis des mois, a annoncé vendredi le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Il s’agit d’une des premières preuves de vie de l’ex-candidat aux présidentielles de 2013 et 2018, dont l’enlèvement avait en partie attisé la colère des anti-IBK.