R.D.Congo, Etat failli ! Comment le plus proche collaborateur du président Tshisekedi peut ainsi se retrouver en prison?

Accolade entre Vital Kamerhe et le président congolais Félix Tshisekedi, lors de la campagne pour la dernière élection présidentielle, où le premier a soutenu le second, avant de devenir son directeur de cabinet. .

En RDC, Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président congolais Félix Tshisekedi a été placé sous mandat d’arrêt provisoire ce mercredi 8 avril dans la soirée, et transféré à la prison de Makala. Il était entendu sur la gestion des fonds alloués au programme d’urgence du président congolais.

Costume bleu, cravate de même couleur, cache-nez, Vital Kamerhe a répondu à l’invitation avec le statut de « renseignant ». À 13 h, il franchit la grille du parquet avec deux de ses avocats après être sorti d’une foule compacte de ses partisans. Pendant six heures, le chef du cabinet présidentiel a été entendu sur son rôle dans la gestion et l’exécution du programme dit « des 100 jours » lancé par le président Félix Tshisekedi en mars 2019, à peine deux mois après son investiture.

Des ONG, mais aussi la société civile dénoncent des attributions de marchés publics de gré à gré par la présidence. Certaines organisations comme l’Odep ou le Collectif Amka, soupçonnent même des détournements de fonds. Si Vital Kamerhe a été auditionné, c’est parce qu’il est « non seulement l’ordonnateur des dépenses de la présidence, mais aussi parce que, jusqu’en septembre 2019, c’est lui qui contrôlait d’une main de fer les finances de ce programme », explique-t-on du côté du parquet, tout comme dans les rangs du camp de son allié, Félix Tshisekedi.

« Tout au long de l’audition, il n’a pas fourni des preuves suffisantes et n’a pas convaincu les auditeurs », a déclaré à RFI une source judiciaire. Elle reconnaît toutefois que le chef de file de l’Union pour la nation congolaise (UNC) s’est présenté avec un « dossier épais ». Quelques minutes avant 19h, heure locale, il a été conduit par la police en prison, certains de ses proches tout comme les cadres de son parti, escortant le cortège.

Inquiétudes au sein de l’UNC

En attendant la conclusion des enquêtes, l’inquiétude a gagné les rangs de son parti, l’UNC, qui dénonce depuis plusieurs jours une campagne de diabolisation et d’« acharnement » contre son leader, censé être le dauphin de Félix Tshisekedi pour la présidentielle de 2023, selon un accord entre le camp de Tshisekedi et celui de Kamerhe, en novembre 2018 à Nairobi avant la présidentielle du 30 décembre 2018.

Nous disons à nos amis de l’UDPS, que ce n’est pas honnête. Nous savons que Vital Kamerhe est accusé à tort, on veut le salir. Ce n’est pas de cette manière qu’on traite un allié. Nous fustigeons cette attitude.

Sele Yemba, porte-parole de l’UNC

La présence de Kamerhe au parquet, ce mercredi, a donné lieu à des rassemblements de plusieurs centaines de partisans, cadres du parti, députés, mais aussi nombre de membres des cabinets ministériels, sous l’œil de la police. Celle-ci n’est intervenue qu’environ quatre heures après le début des auditions, pour disperser les attroupements à coup de gaz lacrymogènes. Les autorités avaient interdit tout attroupement de plus de 20 personnes en cette période de pandémie de coronavirus. Le pays a déjà enregistré 20 morts sur 183 cas confirmés.

Il y a aussi eu des tensions mercredi après-midi et jusque tard dans la soirée dans son fief de Bukavu. Les militants et cadres de son parti politique ont manifesté sur la place dite « Essence-Major Vangu » dans la commune d’Ibanda. Les manifestants ont brûlé des pneus et ils prévoient une autre manifestation de grande envergure, selon leurs dires, ce jeudi matin afin de réclamer la libération de leur chef de parti.

Les ONG saluent un « tournant »

Pour Me George Kapiamba, le président de l’Association d’accès à la justice, la procédure judiciaire en cours marque un tournant dans la lutte contre l’impunité. « L’ACAJ salue la qualité appréciable du travail abattu ces jours par le parquet général près de la cour d’appel de Kinshasa. Nous allons continuer à apporter notre soutien à notre justice, qui est en train d’écrire une nouvelle page aujourd’hui dans le cadre de la lutte contre l’impunité, principalement des crimes économiques. »

Quant au fait que Vital Kamerhe a été placé en détention et non remis en liberté, l’analyse de Me George Kapiamba est que « le procureur craint peut-être qu’en le laissant en liberté, il puisse utiliser sa position officielle pour influencer certains témoins à charge ou compromettre la suite de l’instruction ».

Pour le mouvement citoyen la Lucha, ce dossier a « valeur de test » pour le président Tshisekedi et sa volonté affichée de promouvoir un État de droit. L’organisation appelle à éviter toute ingérence politique et à respecter la présomption d’innocence de Vital Kamerhe. Pour la Lucha, le peuple congolais sera juge de la manière dont cette affaire sera ou non menée à terme.

Toute la presse congolaise et africaine est en émoi après cette mise en détention de Vital Kamerhe, principal collaborateur du chef de l’Etat congolais, en sa qualité de directeur de cabinet.

« La fin de Fatshivit ? » lance La ProspéritéFatshivit, c’est le mot-valise créé lors de l’élection présidentielle pour présenter le tandem formé par Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, alliance ayant abouti à l’accession au poste de chef de l’État du premier nommé et à la nomination du second comme chef de cabinet de la présidence.

Le journal revient sur le scénario rocambolesque de la journée d’hier mercredi avec la convocation de Vital Kamerhe devant le parquet général de Kinshasa pour évoquer une affaire de possibles détournements de fonds alloués au programme d’urgence des 100 jours lancé par le président Tshisekedi. Mais devant le procureur, le chef de cabinet « est passé du statut de simple renseignant à celui de détenu », s’exclame La Prospérité qui relate les passes d’armes qui se sont déroulées durant la journée sur les réseaux sociaux entre les partisans du parti présidentiel, l’UDPS et ceux de la formation de Vital Kamerhe, l’UNC. « La guerre est-elle déclenchée ? » se demande ainsi le quotidien.

La question mérite d’être posée, car l’enjeu politique est important, mais le côté judiciaire également : Radio Okapi rapporte que Vital Kamerhe risque jusqu’à 20 ans de prison dans cette affaire.

D’autant que l’audition du patron de l’UNC a été difficile, rapporte Mediacongo.net : il a éprouvé « d’énormes difficultés à répondre à certaines questions du procureur, notamment sur les passations des marchés publics de gré à gré [ou sur] la présence de sa signature sur certains documents », affirme le site d’informations.

La Prospérité s’interroge quant à elle sur « le caractère inquisitorial de l’instruction provisoire », se demandant s’il n’y a pas une forme « d’acharnement » dans cette affaire ou « d’interférence extérieure », tout en rappelant que la fonction de Vital Kamerhe ne lui offre aucun privilège du à son rang et qu’il est « un justiciable comme tout le monde. »

Les médias congolais qui s’inquiètent également de l’impact sanitaire de l’épisode

Alaunerdc.com revient sur cette « journée des cauchemars » avec dès la fin de matinée un important rassemblement de supporters de Vital Kamerhe devant la Cour d’appel, sans compter les journalistes et membres de la société civile.

« Les gestes barrières pour éviter la propagation du coronavirus comme la distanciation sociale et les rassemblements de plus de 20 personnes sont bafouées », s’alarme le site d’informations, alors que « la police assiste impuissante à ce spectacle ». L’arrivée du chef de cabinet de la présidence vire « au délire total, ses militants veulent à tout prix le toucher. » Et il faut l’intervention de la police et de son service de sécurité pour « l’extirper de la foule. »

Les médias congolais ne rapportent en revanche aucun incident lors du transfert de Vital Kamerhe à la prison de Makala, Alaunerdc notant toutefois que l’établissement pénitentiaire « n’a jamais reçu un si grand hôte de marque depuis sa fondation sous l’ère coloniale. »

Une incarcération qui intervient en tout cas en parallèle de la libération de plusieurs dizaines de détenus de cette même prison de Makala, rapporte Radio Okapi, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19

L’emprisonnement de Vital Kamerhe fait réagir au-delà de la RDC

Et en particulier au Burkina Faso où le quotidien Aujourd’hui au Faso se demande si cette détention provisoire est « un précoce règlement de comptes avant 2023 », date de la prochaine présidentielle en RDC. « Début du clash » au Cash, l’alliance politique entre les partis de Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, poursuit le journal, estimant que le directeur de cabinet de la présidence a manifestement été « lâché » alors qu’il disposait de « deux parapluies » d’importance, son poste tout d’abord et sa proximité avec l’ancien président Kabila.

C’est en tout cas « la preuve que les choses ne sont plus comme elles étaient en République Démocratique du Congo », juge l’Observateur Paalga, pour qui « pareille situation eut en effet été inimaginable sous Joseph Kabila, même s’il faut se garder de penser que la justice est devenue toute puissante et indépendante. »

« L’heure du divorce » Tshisekedi/Kamerhe, a peut-être sonné, poursuit l’Observateur Paalga, notamment avec « la dispersion au gaz lacrymogène des partisans de Kamerhe. »

Mais Aujourd’hui au Faso se demande si Félix Tshisékédi « ne risque-t-il pas gros lui-même, car [son chef de cabinet] était son fusible, son pare-feu » et ajoute l’Observateur Paalga, « le grand ordonnateur » du projet phare du nouveau président, ce programme des 100 jours lancé voilà un peu plus d’un mois et qui fait déjà l’objet d’un audit et donc désormais d’une information judiciaire.

Tract (avec radios et journaux)