Reportage : comment se vit l’homosexualité au Burkina Faso

«On est loin d’envisager une gay pride au Burkina Faso». Si aucune loi ne pénalise l’homosexualité dans le pays ouest-africain, les personnes LGBT n’ont d’autres solutions que de mener une double vie pour éviter d’être pourchassées.

C’était une fake news comme en regorgent les réseaux sociaux. Fin janvier, deux hommes présentés comme homosexuels auraient été brûlés en place publique à Bamako, la capitale malienne. Les captures d’écran d’une vidéo des deux victimes, partagées plusieurs milliers de fois sur Facebook, montraient en réalité l’exécution par la foule de deux hommes suspectés de vouloir braquer une banque il y a un an et demi. Rien à voir donc, avec leur orientation sexuelle. Mais le temps que le doute se dissipe, la fausse information a ravivé la crainte d’une chasse aux homosexuels au Burkina Faso voisin. «L’émoi a été général. On s’est mis de nouveau à faire attention, relate Marcel (1), chemise bleue à carreaux et petites lunettes. C’est pour ça qu’on gare les motos en position de départ quand on vient ici au centre.»

Le «centre», auquel fait référence le quadragénaire, est une clinique communautaire tenue par l’Association African Solidarité (AAS), dans le centre de Ouagadougou. Orné d’un grand ruban rouge symbolisant la lutte contre le sida, ce bâtiment de deux étages aux teints ocres, est l’un des rares lieux de la capitale burkinabée où les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), comme on dit dans le jargon associatif, peuvent trouver main-forte et se réunir pour causer de leur sexualité. Derrière d’épaisses cloisons, cependant, et en restant vigilants. «Certains ne se sentent pas en sécurité et refusent de venir ici, ajoute le médiateur associatif ouagalais. On est loin d’envisager une gay pride au Burkina Faso.»

Double vie

La loi burkinabée l’empêcherait-elle ? Au «pays des hommes intègres», aucun texte n’a jamais pénalisé l’homosexualité depuis l’indépendance en 1960. L’outrage public à la pudeur, vieil ersatz d’une disposition du Code pénal français, est par ailleurs rarement invoqué pour poursuivre des relations intimes entre deux hommes ou deux femmes. En revanche, l’hostilité envers les gays, les lesbiennes et les personnes trans, alimentée par des prêches homophobes à tire-larigot, des médias peu scrupuleux et des politiciens en mal de votes, reste extrêmement vigoureuse – jusqu’à rendre responsable les homos de la menace jihadiste selon plusieurs témoignages. En 2015, à l’approche des élections législatives, une petite formation politique, le Parti de la renaissance nationale (Paren), a par exemple déposé une proposition de loi afin d’interdire – dans un grand amalgame et sans y parvenir – la pédophilie et l’homosexualité. Un rapport, publié l’année suivante par des chercheurs indépendants, l’Afrobaromètre, classe même le Burkina Faso parmi les trois pays africains les plus intolérants envers les homos. «La grande majorité de la population est contre nous, surtout les religieux et les chefs coutumiers,poursuit Marcel. Pourtant, l’homosexualité a toujours existé chez nous.»

Cette stigmatisation, sous le poids des traditions, a de lourdes conséquences. Elle pousse notamment les homos et les trans burkinabés à mener une double vie – ce qui ne facilite pas, au passage, à juguler l’épidémie du VIH. C’est le cas de Mokhtar (1), la vingtaine, étudiant en marketing à Ouagadougou. «Je préfère dissimuler mon homosexualité à ma famille en présentant des copines,soutient le jeune homme. Je ne fais rien avec elles mais au moins je suis tranquille. Au Burkina, à 25 ans tu dois présenter une fiancée c’est pour ça que la plupart des homos sont mariés.» Peu habitué à se livrer, Gaston (1), 24 ans, étudiant, a lui aussi choisi d’être«discret». Ce garçon élancé a mis du temps avant de s’accepter tel qu’il est ; mais hors de question d’évoquer le sujet avec ses camarades et encore moins de vivre sa sexualité au grand jour. «Ce n’est pas possible d’en parler à l’université, confie-t-il les mains tremblantes. Ils disent que c’est rejeté par la nature.» Les chiffres attestent de l’homophobie ambiante sur le campus ouagalais : en 2013, un peu plus de 60% des étudiants interrogés par le Réseau des jeunes LGBTQ d’Afrique de l’Ouest, basé dans la capitale burkinabée, estimaient que «l’homosexualité est une mauvaise chose», «une aberration, contre-nature ou un mal à éradiquer».

«A la moindre erreur, on vient brûler ta maison»

Menaces, chantage, tabassage voire chasse aux homos : la crainte des violences fait aussi partie de ce quotidien – sans compter l’impossibilité de porter plainte auprès de la police. En 2015 et 2016, la deuxième ville du pays, Bobo-Dioulasso, a par exemple été le théâtre de plusieurs incidents homophobes, soutenus par les leaders religieux chrétiens et musulmans. Les manifestants cherchaient notamment à «libérer» leur quartier de la présence supposée d’homos. Depuis, le calme est semble-t-il revenu dans la capitale économique du pays mais la peur, elle, n’a pas disparu, selon Youssouf (1), 39 ans. On retrouve cet homme peu disert au local de Responsabilité espoir vie solidarité (Revs+), une association de lutte contre le sida accusée de «promouvoir l’homosexualité» car les homosexuels de Bobo-Dioulasso y sont les bienvenus. «A Bobo, tout le monde se connaît, affirme ce cuisinier, en tongs Adidas, aussi bien gay que musulman. Il faut donc vivre sans attirer l’attention des gens car à la moindre erreur, on vient brûler ta maison.» Tenté par l’exil, il n’a pas eu d’autres choix que de rester au Burkina. Mais il doit subir comme beaucoup d’autres les questions incessantes de ses proches sur le pourquoi de son célibat.

Comme Binta (1), 19 ans, assise non loin sur un banc. Cheveux tressés et sacoche en bandoulière, cette jeune lesbienne aux traits encore adolescents redoute la réprobation de ses parents et de ses sœurs si elle refuse d’épouser un homme, le lot commun des femmes queers burkinabées. «Il y a des familles qui te bannissent parce que tu ne veux pas te marier à un certain âge», regrette la lycéenne. A ses côtés, Naomi, jeune femme trans de 26 ans, acquiesce : «Mes parents sont des musulmans fanatiques, donc leur religion fait qu’ils ne m’accepteraient pas telle que je suis.» S’il lui est «impossible d’entamer sa transition» légalement et de s’habiller dans son genre vécu, cette étudiante de Bobo-Dioulasso, déterminée, compte sur l’ouverture d’esprit des nouvelles générations. «Aujourd’hui être trans, c’est considéré comme de l’usurpation d’identité, déplore la jeune femme longiligne. Mais on va se battre pour les jeunes qui viendront.» A cette fin, elle a fondé en 2017 l’une des trois associations trans du pays, Transgender BF, une cinquantaine d’adhérents au compteur. Son but : «changer la loi»pour que les personnes trans ne soient plus «marginalisées» et puissent «vivre libres» avec des papiers d’identité adéquats. D’autres militants LGBT, comme Marcel à Ouagadougou, plaident pour la création d’un observatoire associatif afin de documenter les violences et les discriminations à défaut de pouvoir marcher sous le drapeau arc-en-ciel. Histoire d’avancer de quelques pas.

Avec Liberation.fr, Florian Bardou

(1) Les prénoms ont été changés.