Portrait – Spike Lee, « mainstream », 30 ans après « Do The Right Thing »

Il y a 10 ans, le film Miracle à Santa Anna de Spike Lee était censuré en France par TFM (la filiale cinéma de TF1) qui en était le distributeur. On ne le savait pas encore, mais cet événement allait être le début d’une longue traversée du désert pour le réalisateur afro-américain, ponctuée par les échecs cuisants de ses films suivants. Spike Lee était devenu un paria dans l’industrie du cinéma, à tel point qu’on se demandait si Hollywood n’avait pas finalement réussi à museler celui qui affirmait au journaliste Antoine Garnier dans le magazine Black News en 1992, au moment de la sortie du film Malcolm X,que «Hollywood se sentait menacé par sa présence.»

Spike Lee est le réalisateur le plus important de ces 30 dernières années. Avec le film Do The Right Thing sorti en 1989, il a redéfini la pop culture en imposant frontalement la question de l’identité, dans la culture mainstream qui va permettre à toute une génération d’auteurs et de réalisateurs, d’aborder ce sujet de différentes manières au cinéma et dans les séries. Spike Lee a aussi révolutionné la manière d’écrire, de produire et de réaliser un film. Dans l’écriture, en abordant des thèmes jamais traités en profondeur dans l’époque contemporaine et en valorisant l’image des Noirs au cinéma.

Dans la production, en allant chercher l’argent pour financer ses films à Hollywood, sans que ce dernier ne bronche et en imposant des femmes afro-américaines à des postes clés, Ruth E. Carter (chef costumière de Black Panther, elle a débuté dans School Daze), Robi Reed ( directrice de casting, aujourd’hui vice-présidente des talents et casting dans les programmes de fiction à BET) et Darnell Martin (première assistante réalisateur de Spike sur Do The Right Thing. Elle a réalisé le film I Like It Like That dont la bande originale sera samplée par Cardi B pour le titre I Like It et le film Cadillac Recordsavec Beyoncé). Dans la réalisation, en magnifiant notamment le dolly shot, en y mettant sur le travelling un personnage face caméra. En 2018, le réalisateur américain Spike Lee a reçu le Grand Prix au festival de Cannes pour «BlacKkKsman».

Une décennie après l’affaire Miracle, Spike Lee obtient l’oscar de la meilleure adaptation pour un scénario avec le film Blackkklansman qui vient couronner plus de 30 ans de carrière. Blackkklansman est un bon film. Il lui permet de compter à nouveau dans l’industrie grâce à une nouvelle génération de réalisateurs afro-américains (Jordan Peele, Ryan Coogler) qui a compris que sans lui, elle ne saurait pas à ce niveau aujourd’hui.

Blackkklansman a suscité la critique pour son côté trop consensuel envers la police notamment. Ceux qui ont fait ce jugement sur le film, sont les mêmes qui ont considéré le cinéma de Spike Lee et le personnage à ses débuts comme raciste anti-blancs et antisémites. Le réalisateur afro-américain Boots Riley a même remis en cause l’intégrité et l’éthique de Spike Lee en lui reprochant de se compromettre avec la police de New-York. A tous ceux qui pensent cela de Spike, je vais simplement reprendre les mots de l’acteur Ossie Davis au moment de l’éloge dans le film Malcolm X sur ce dernier : « Avez-vous déjà parlé au frère Spike ? L’avez-vous déjà touché ou l’avez-vous fait sourire ? A-t-il déjà fait une chose méchante ? A-t-il lui même été associé à la violence ou à des troubles à l’ordre public ? Si vous connaissiez Spike Lee, vous sauriez pourquoi nous devons l’honorer. »

Par Essimi Mevegue

Journaliste, producteur, animateur et spécialiste des cultures africaines-américaines. Il a notamment collaboré avec des médias comme Black News ou Ubinews TV. Il anime actuellement l’émission Ciné Le Mag tous les samedi à 19h45 GMT sur Canal + Afrique