[Tribune] Adaptation des romans africains au cinéma : quelle importance ? (Par Caroline Meva)

[Tract] – Le roman est un genre littéraire, une fiction en prose à travers laquelle l’auteur communique, passe un message, raconte une histoire au lecteur. Le roman, qui tire son inspiration de l’imagination et de la fantaisie, aborde des thèmes de société divers, notamment : l’expérience du quotidien, l’aventure, le fantastique, l’histoire, la vision du monde de l’auteur, les sentiments et les états d’âme (amour, haine, passion, jalousie, tristesse, désespoir, …). Bref, le romancier observe, analyse la réalité et brode, ordonne, propose des voies de recours autour de cette réalité. 

 

Le roman apparait sous la forme papier depuis des siècles, mais on observe un net basculement vers les versions numériques, encore appelées les E-books, depuis quelques décennies. Cette tendance vers le numérique s’est accentuée à la suite des mesures restrictives imposées par la pandémie de la covid-19, à savoir : confinement, distanciation physique, fermeture des bibliothèques et des librairies. Ensuite, les E-books présentent des avantages non négligeables : ils prennent moins de place que les livres-papier ; ils coûtent moins cher ; sont facilement acquérables et accessibles d’un simple clic. Les sites de vente des livres et des tablettes de lecture numérique sont de plus en plus nombreux sur la toile. La technologie numérique semble être la voie de l’avenir pour la littérature en général, et le roman en particulier, mais malheureusement, que ce soit le livre-papier, ou le livre numérique, le constat est clair : les africains, notamment les Camerounais n’ont pas la culture de la lecture. Les auteurs africains sont lourdement désavantagés : ils écrivent des livres que leurs concitoyens ne lisent pas ou peu, et qui moisissent dans les librairies et les bibliothèques (quand il y en a !). La question cruciale se pose : comment faire pour renverser la tendance, lutter contre la détestation de la lecture et le recul de l’intérêt des africains pour le roman ? L’adaptation du roman africain au cinéma se présente comme une alternative avantageuse. Il y a lieu de noter déjà qu’en Europe, par exemple, le roman constitue une source privilégiée des adaptations des œuvres littéraires au cinéma. 

L’on présente les frères Louis et Auguste Lumière comme étant les premiers à avoir déposé un brevet cinématographique, et projeté le tout premier film muet dans le Salon Indien du Grand Café de Paris en 1895. Le premier long métrage tourné par un africain, le Sénégalais Paulin Soumanou Vieyra, n’interviendra qu’en 1955. Depuis lors, le cinéma africain a continué sa progression malgré les nombreuses difficultés rencontrées sur son chemin, et l’organisation de rencontres périodiques telles que le FESPACO à Ouagadougou au Burkina-Faso, témoignent de sa vivacité. Au Cameroun, Jean-Paul Ngassa tourne un documentaire intitulé « Aventure en France » en 1962, suivi de « Tam-tam à Paris » de Thérèse Sita Bella, tourné en 1966, qui font figure de doyens du cinéma camerounais. Aujourd’hui, le cinéma camerounais a acquis ses lettres de noblesse avec des noms illustres tels que : Dikongue Pipa (Muna Moto) ; Jean-Pierre Bekolo (Les saignantes, Quartier Mozart) ; Basseck Ba Kobhio (Sango Malo, Le grand blanc de Lambaréné ; Daniel Kamwa (Notre fille, Pousse-pousse) ; Joséphine Ndagnou (Paris à tout prix), etc …

 

Le cinéma est un mode de communication qui offre certains avantages et facilités par rapport au livre numérique ou papier :

– Le cinéma se présente comme un art du réel, qui s’impose instantanément aux sens, à savoir l’ouïe, la vue, le mouvement, les paysages et les personnages font irruption dans l’esprit du spectateur, l’impressionnent et s’impriment fortement dans sa conscience ; tandis que le mot écrit traduit l’idée subjective, sollicite l’intellect et l’imagination.

– Le roman permet au lecteur de s’imaginer la scène en esprit, le cinéma montre partiellement et traduit la réalité suggérée dans le roman par des images concrètes. Le cinéma se présente, de ce fait, comme le trait d’union entre le roman et la réalité concrète, en ce sens qu’il participe de l’un et de l’autre. 

– Le spectateur du film est passif, il a tendance à gober sans grand effort d’imagination les scènes qui lui sont présentées ; le film apparait ainsi plus ludique, plus agréable, reposant, et facile à assimiler.

– Le cinéma présente un aspect convivial, fait d’échanges entre individus, car on regarde et on commente un film généralement à plusieurs ; alors que le livre isole le lecteur face à son support de lecture, écran numérique ou livre.

 

En dépit de tous ces avantages que présente l’adaptation des œuvres littéraires au cinéma, des obstacles rédhibitoires subsistent, qui plombent l’industrie cinématographique. 

– Les financements publics (subventions gouvernementales) sont insuffisants, les sponsors et les mécènes privés se font rares. A cet effet, le cinéma Nigérian fait figure d’exception : il est considéré comme l’un des plus créatifs du monde, quant au nombre de films produits, et à leur coût peu élevé (12.000 euros environ pour le tournage d’un film). En dehors de quelques exceptions, telles que l’Afrique du Sud, l’Afrique de Nord, le Burkina-Faso, le Sénégal, le Mali, le Niger, le cinéma, dans la plupart des pays africains fait face à de nombreuses difficultés ; au Cameroun par exemple, ces obstacles sont les suivants : 

– Manque de confiance, suspicion entre les acteurs du cinéma.

– Déficit de formation des réalisateurs, scénaristes et autres acteurs du cinéma.

– Difficultés de diffusion des films africains dans les salles de cinéma en Afrique, envahies par des productions cinématographiques venues d’autres continents. 

Au Cameroun, comme dans de nombreux pays africains, les structures de distribution et de diffusion des œuvres cinématographiques sont essentiellement contrôlées par des financiers et des investisseurs étrangers. Le Cameroun présente un déficit criard en salles de cinéma ; il y avait plus de 30 salles de cinémas à travers le territoire camerounais en 1973. Avec l’apparition de la CRTV, la télévision nationale en 1980, les subventions de l’Etat pour le cinéma diminuent, la fréquentation des salles de cinéma baisse drastiquement ; en conséquence, depuis 2003, elles ont fermé leurs portes les unes après les autres. En 2017, Vivendi, dirigé par Vincent Bolloré a ouvert deux salles de cinéma, nommées Salles Olympia, l’une au campus de l’Université de Yaoundé I, et l’autre au quartier Bessengue à Douala. Ces deux salles de cinéma font partie d’un vaste projet de construction par le Groupe Bolloré, de salles de cinéma dans de nombreux pays africains dans le cadre de Canal Olympia. Le cinéma numérique ambulant, qui se développe depuis 2003, les vidéos et les films télévisés comblent peu à peu le recul du cinéma projeté en salles.

Les financements venus des pays et des investisseurs étrangers dans le domaine culturel, et notamment du cinéma, sont lourds de conséquences, car ces derniers imposent leurs idées, leurs valeurs morales et sociales, leurs schèmes de pensée, leurs comportements, leur vision du monde, lesquels ne sont pas toujours en phase avec les valeurs culturelles locales. Le risque d’aliénation culturelle est indéniable, à travers les canaux de diffusion puissants et déstabilisateurs qui diffusent les cultures étrangères, notamment celles du monde occidental. L’Afrique est aujourd’hui envahie par des valeurs venues d’ailleurs, non ou mal assimilées par des populations (essentiellement la jeunesse africaine) déboussolées, en mal de repères. La culture est un moyen de contrôle hégémonique et mental d’un peuple ; plus que tout autre, le cinéma, par son accessibilité, son assimilation facile et son impact populaire, contribue à l’ancrage de l’aliénation culturelle des populations africaines. Leur indépendance, leur liberté, leur autonomie (sociale, économique et politique) commencent par leur libération mentale par la lutte contre l’aliénation culturelle, la reconquête, la préservation de leur patrimoine et de leur identité culturels ; cette dernière identité se présente comme l’âme d’un peuple, et constitue un motif de fierté qui participe à l’équilibre et à l’épanouissement physique et mental de ces peuples.  

 

Caroline Meva est une retraitée de la Fonction Publique camerounaise. Passionnée de littérature et de philosophie, elle a publié le roman Les exilés de Douma (3 tomes en 2006, 2007 et 2014). Les Supplices de la chair, publié en 2019 aux Editions Le Lys Bleu, est son dernier fait littéraire dans lequel elle raconte l’histoire d’une femme qui a mené une vie entre luxure et sacrifices parfois inhumains, pour se sortir de la pauvreté endémique de son quartier Nkanè.