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TRIBUNE – Du droit abusif de manifestation et de l’interdiction démesurée de manifestation (administrateur civil)

Publié le

L’interdiction, par arrêté préfectoral, de réunions publiques, notamment des marches au Sénégal, donne toujours lieu à de nombreuses controverses opposant, d’une part, les tenants du pouvoir et, d’autre part, l’opposition et la société civile.
En effet, si les deux parties s’accordent à reconnaître que la liberté de réunion est consacrée par la Constitution sénégalaise, ses conditions d’exercice les divisent.
Aussi, est-il nécessaire, après avoir posé le principe de la liberté de réunion, d’en rappeler les conditions d’exercice.

  1. Le principe de la liberté de réunion :

L’article 8 alinéa premier de la Constitution dispose que « La République du Sénégal garantit à tous les citoyens les libertés individuelles fondamentales, les droits économiques et sociaux ainsi que les droits collectifs.
Ces libertés et droits sont notamment :

  • les libertés civiles et politiques : liberté d’opinion, liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association, liberté de réunion, liberté de déplacement, liberté de manifestation.»

Ce principe a déjà été posé par les lois françaises du 30 juin 1881 et du 28 mars 1907 consacrant la liberté de réunion, ainsi que par la jurisprudence du Conseil d’Etat, notamment dans l’arrêt Benjamin (CE, 19 mai 1933).
Toutefois, l’article 8 alinéa 2 précise bien que « Ces libertés et ces droits s’exercent dans les conditions prévues par la loi. »

  1. Les conditions d’exercice de la liberté de réunion :

Tout comme la liberté de réunion, les libertés et droits consacrés par le titre II de la Constitution sénégalaise, intitulé « Des Droits et libertés fondamentaux et des devoirs des citoyens » font l’objet de renvois à des lois pour en fixer les conditions d’exercice.
Ce sont notamment les articles :

  • 11 relatif à la création d’organes de presse ;
  • 14 portant sur la liberté de déplacement et d’établissement sur le territoire national ;
  • 15 sur le droit de propriété.

S’agissant en particulier des réunions, c’est la loi n°78-02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions qui en fixe le régime.
La présente contribution portera sur les réunions publiques.

  1. La définition des réunions publiques :

Sont considérées comme des réunions publiques, aux termes de l’article 4 de la loi n°78-02 du 29 janvier 1978 :

  • les réunions tenues en un lieu public ou accessible au public, à l’exception de celles qui sont conformes à la coutume ou à la religion telles que les assemblées des communautés villageoises, les chants religieux, les rassemblements ordonnés par l’administration ;
  • les réunions tenues dans un lieu privé et dont l’accès est ouvert à toutes les personnes convoquées par tous les moyens, notamment par des cartes d’invitation distribuées avec grande facilité.

Sont notamment considérées comme des réunions publiques, celles organisées                par des partis politiques légalement constitués, dans un lieu privé, lorsqu’il y est admis un nombre indéterminé d’adhérents ou de responsables, ou que l’accès est ouvert à tous les citoyens.

  1. L’obligation de déclaration :

Même si les réunions publiques sont libres, l’autorité responsable de l’ordre public (gouverneur, préfet ou sous-préfet, selon le cas) doit être informée, par écrit, de leur tenue, au moins trois (3) jours francs avant le moment de leur démarrage.
Cette déclaration doit indiquer la nature, la date, l’heure et le lieu de la réunion ainsi que les prénoms, nom, domicile de l’un des organisateurs domicilié dans la circonscription administrative.
En outre, sauf autorisation spéciale de l’autorité responsable de l’ordre public, une réunion publique ne peut se prolonger au-delà de vingt-trois (23) heures.
De même, lorsqu’elle se tient en plein air, la réunion publique ne peut être sonorisée sans autorisation spéciale de l’autorité responsable de l’ordre public.
Toutefois, cette autorisation spéciale ne peut être accordée que de façon très exceptionnelle au-delà de vingt-trois (23) heures.

  1. La formation d’un bureau :

A l’occasion de chaque réunion publique, l’assemblée élit un bureau composé d’au moins trois (03) membres. Ce bureau est chargé du maintien de l’ordre.
A ce titre, il doit empêcher toute infraction à l’ordre public et aux bonnes mœurs ou contenant provocation à un acte qualifié de crime ou délit.
Si son autorité est méconnue, le bureau lève la séance et fait appel au fonctionnaire délégué par l’autorité administrative.

  1. Les conditions d’interdiction d’une réunion publique :

Aux termes de l’article 14 de la loi n°78-02 du 29 janvier 1978, « l’autorité administrative responsable de l’ordre public peut interdire toute réunion publique s’il existe une menace réelle de troubles à l’ordre public telle que la surexcitation des esprits à la suite d’évènements politiques ou sociaux récents, la prévision de manifestations simultanées organisées par des groupements opposés, et si elle ne dispose pas de forces de sécurité nécessaires pour s’y opposer.
L’arrêté d’interdiction d’une réunion publique doit être motivé. »
Il ressort de cet article que l’autorité administrative peut interdire une réunion publique si les deux (02) conditions cumulatives, et non alternatives, sont réunies :

  • l’existence d’une menace réelle de troubles à l’ordre public ;
  • l’absence de forces de sécurité pour s’opposer à la menace.

Ces deux conditions posées par les lois françaises des 30 juin 1881 et 28 mars 1907 consacrant la liberté de réunion ont été confirmées par la jurisprudence du Conseil d’Etat à travers l’arrêt Benjamin de 1933.
Toutefois, l’autorité administrative exerce cette compétence sous le contrôle du juge administratif.
Autrement dit, elle a un pouvoir d’appréciation quant à la réunion des deux conditions cumulatives. Mais, ce pouvoir n’est pas discrétionnaire, car soumis au contrôle de la Cour Suprême, au Sénégal.
Dès lors, toute personne ayant intérêt à agir peut saisir le juge d’un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté d’interdiction pris par l’autorité responsable du maintien de l’ordre public.
A ce propos, il convient de préciser que cet arrêté est applicable aussi longtemps qu’il n’aura pas fait l’objet d’une annulation par le juge administratif.
Néanmoins, en cas d’urgence, le juge des référés, institué en 2017 par la loi organique sur la Cour Suprême, peut ordonner la suspension de l’exécution d’une décision administrative, faisant l’objet d’une requête en annulation.
Le contrôle du juge a donné lieu à nombre d’arrêts au titres desquels l’on peut citer :

  • l’arrêt n°35 du 19 octobre 2011 dans l’affaire Alioune TINE, Président de la Rencontre Africaine des Droits de l’Homme contre l’Etat du Sénégal : en l’espèce, la Cour Suprême avait annulé l’arrêté du Préfet de Dakar portant interdiction d’une manifestation contre le FESMAN à la Place de l’Obélisque, faute d’allégation d’éventuels troubles à l’ordre public. Le Préfet n’avait visé que la difficulté d’encadrement sécuritaire de la manifestation ;
  • l’arrêt n°37 du 09 juin 2016 dans l’affaire l’organisation X, Section Sénégal contre l’Etat du Sénégal : le juge administratif avait annulé l’arrêté du Préfet de Dakar interdisant un rassemblement devant les locaux de l’Ambassade de la République du Congo pour réclamer la libération de jeunes militants des mouvements Filimbi et Lucha arrêtés dans ce pays. Cette annulation était motivée par l’absence d’une justification, par l’arrêté, de l’indisponibilité ou l’insuffisance de forces de sécurité ;
  • l’arrêt n°19 du 23 mai 2019 dans l’affaire Parti Démocratique Sénégalais (PDS) contre l’Etat du Sénégal : la Cour Suprême a annulé l’arrêté n°0305/P/D/C du 31 août 2018 portant interdiction d’un sit-in du PDS prévu , le 04 septembre 2018, devant le Ministère de l’Intérieur, au motif que l’acte incriminé s’était borné à invoquer les menaces de troubles à l’ordre public sans établir une insuffisance des forces de sécurité nécessaires à son maintien.

La rigueur du contrôle qu’exerce la Cour Suprême sur les arrêtés portant interdiction de réunions publiques, notamment quant à leur motivation, devrait convaincre les organisateurs de réunions interdites à s’en référer au juge, au regard de la jurisprudence en la matière.
En tous cas, c’est la seule attitude acceptable dans un Etat de droit où une autorité compétente prend une décision, susceptible de recours devant un juge, seul habilité à en prononcer l’annulation.
Malheureusement, il est noté, de plus en plus, des actes de défiance intolérables vis-à-vis des décisions de l’autorité responsable de l’ordre public du genre « Autorisation ou pas, nous allons marcher. »
Tout aussi indéfendable serait tout appel à une interdiction systématique, par l’autorité administrative, de la tenue de réunions publiques.

                                      
 Macodou SENE
 Administrateur civil principal de classe exceptionnelle
 Directeur de l’Administration générale et de l’Equipement du Secrétariat général du Gouvernement
Maire de la Commune de Niakhar
 Département de Fatick
Ancien Adjoint au Préfet du Département de Tivaouane

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