TRIBUNE : « Violence et insécurité, phénomènes inquiétants au Sénégal » (Momar Sokhna Diop)

Sénégal, diagnostic d'un pays candidat à l'émergence, par Momar Sokhna Diop, l"Harmattan, 2019

Après l’affaire Alioune Sall/Pétro-Tim, les questions de la violence et de l’insécurité constituent la une de l’actualité.

Dans mon ouvrage intitulé « Sénégal, diagnostic d’un pays candidat à l’émergence [1]», j’alerte tous nos concitoyens et en particuliers les responsables politiques à prendre les mesures nécessaires pour stopper la montée des violences au Sénégal. Mon message semble être entendu. En effet, le débat sur ce fléau est lancé par les autorités politiques qui, menacées sur leurs fonctions, commencent à réagir.

    Elles réagissent violemment sous prétexte de protéger les institutions de la République, mais les Sénégalais savent que c’est surtout pour leur propre sécurité et celle de leurs familles. Les paroles et les actes qu’elles posent ne correspondent pas à ceux qu’attendent nos concitoyens et qui consistent à fixer un cadre, des règles, de les appliquer eux-mêmes et de les faire respecter par tous. C’est ce sentiment d’injustice qui provoque les violences verbales et physiques.

    En effet, comment voulez-vous que le citoyen lambda respecte les règles que les élus qui les édictent n’appliquent pas eux-mêmes? Comment espérer une société juste avec des élites qui n’honorent jamais leurs engagements préélectoraux ? Des autorités qui, une fois élues affichent un train de vie inacceptable. N’est-il pas violent pour les populations défavorisés d’apprendre, tous les jours, que des milliards de leurs impôts et ressources sont détournés au moment où les secteurs éducatifs et économiques manquent d’infrastructures décentes ? Comment ne pas être violent, verbalement face à des élus qui gaspillent et qui utilisent l’argent public pour soigner leurs familles en Europe au moment où les hôpitaux du pays manquent de tous ? Comment ne pas s’indigner face à une justice partisane qui n’hésite pas à violer les procédures pour incarcérer des personnes qui les dérangent ? N’est-il pas révoltant pour la jeunesse de n’avoir aucune perspective d’avenir au moment où les enfants des élus étudient confortablement avec l’argent public à l’étranger et s’insèrent sans aucune difficulté?

    Tout cela c’est pour dire que la violence est d’abord, « symbolique [2]» et l’État doit balayer devant sa porte en accomplissant les missions pour lesquelles ses membres sont élus ou nommés. Il s’agit de réformer en profondeur le train de vie de l’État, de garantir l’indépendance de la justice, de diminuer les pouvoir du chef de l’État qui est toujours l’alpha et l’oméga de toutes les décisions. La gouvernance sobre, vertueuse et l’indépendance de la justice sont devenues une demande sociale et l’État gagnera à les mettre en œuvre pour réduire les inégalités sociales, pour apaiser les tensions et pour instaurer plus de justice sociale au Sénégal.

    Les violences les plus regrettables sont l’assassinat de Maître Babacar Sèye et la tentative de meurtre sur Talla Sylla, deux faits qui restent gravés dans l’histoire politique du pays.

    Pourtant dans Sénégal, Affaire Maître Sèye, Abdou Latif Coulibaly atteste que « l’assassinat du juge Babacar Sèye est un meurtre purement politique[3] ». En effet, en tant que vice-président du Conseil constitutionnel, organe chargé de gérer et de proclamer les résultats des différentes élections, Maître Babacar Sèye est assassiné le 15 mai 1993, vingt-quatre heures après la proclamation des résultats des élections législatives du 9 mai, qui donne une large victoire au Parti Socialiste (PS), au détriment du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) que dirige Abdoulaye Wade. Évidemment, le PDS est soupçonné. Les soupçons se sont renforcés lorsqu’en 2000, Abdoulaye Wade, élu président de la République gracie les assassins présumés (la loi Ezzan).   Avec l’assassinat de Maître Babacar Sèye, le flou restera toujours gravé dans la mémoire de nos concitoyens. Il s’agit d’une affaire qui montre à quel point la vie politique est gangrénée par des violences.

    S’agissant de Talla Sylla, il a été victime d’une tentative d’assassinat politique dans la nuit du 5 au 6 octobre 2003 à Dakar. Il a frôlé la mort à quelques encablures du restaurant Le Régal, vers l’avenue Cheikh Anta Diop de Dakar. Ce jour-là, il avait été lâchement agressé par des individus à coups de marteau. Les séquelles de cet acte barbare l’ont cloué au lit pendant des années. Toutes ces agressions politiques restent toujours impunies.

    Le Sénégal a besoin de responsables politiques crédibles qui usent d’un langage clair et qui posent des actes patriotes capables de sortir nos concitoyens des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Pour parvenir à changer le Sénégal, il faut des leaders engagés, patriotes prêts à donner de leur personne pour instaurer les valeurs perdues comme le travail, la dignité, le respect…    Les citoyens ont de plus en plus du mal à croire à des dirigeants qui leur demandent de garder l’espoir, d’être patients et de faire des efforts qu’eux et leurs familles ne font jamais.

    Nos concitoyens ne sont pas dupes. Ils sont au courant de toutes ces combines et manœuvres politiques. Ils sont courageux et très patients même s’ils ont mille raisons de manifester leurs colères, de s’indigner ou de se révolter. Stéphane HESSEL[4] nous demande de nous indigner, mais ce qui nous indigne doit nous amener à devenir des militants, forts et engagés capables de veiller à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers.

    Les responsables politiques actuels et futurs doivent en prendre conscience et changer leur manière de gouverner. La politique doit assurer à la majorité des populations la sécurité et le bien-être. C’est possible car le Sénégal regorge de ressources humaines, minières et naturelles qui, correctement exploitées pourraient le sortir des difficultés auxquelles il se trouve depuis 1960, année à laquelle la France lui a donné l’indépendance.

     En résumé, nous disons que le Sénégal a essayé, tant bien que mal, depuis presque l’indépendance, d’asseoir une démocratie politique. Cette option a certes permis d’éviter les aventures militaires sanglantes connues dans la plupart des pays africains. Afin de préserver cette stabilité, d’instaurer une paix durable, et d’inscrire le Sénégal sur la voie de l’émergence, il s’avère nécessaire que les élites politiques et leurs alliés cessent de prendre en otage le pays.  Mamadou DIA nous rappelle que toutes les folies humaines  peuvent être pardonnées sauf celles qui mettent en danger l’avenir de toute la nation[5].

 

Momar-Sokhna DIOP

Professeur d’économie-gestion Ecrivain

 

[1] Momar-Sokhna Diop, Sénégal, diagnostic d’un pays candidat à l’émergence, l’Harmattan, 2019

[2]Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron,  La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, éditions de Minuit, 1970

[3] Abdou Latif Coulibaly, Sénégal, Affaire maitre Sèye, un meurtre sur commande, Paris, l’Harmattan, 2005.

[4] Stéphane HESSEL, indignez-vous, Indigènes éditions, 2011

[5] Mamadou DIA, interview sur ses relations avec Senghor suite à son incarcération, in Président DIA, film réalisé par Ousmane William Mbaye.