-Macky, ma qué ? -

Exclusif Tract – Macky « SDE » Sall : Il y a 39 ans, le syndicat enseignant SUDES refusait mordicus de plier à la réquisition du président Léopold Senghor

Par Damel Mor Macoumba Seck – Le président Macky Sall a signé un décret pour réquisitionner le personnel de la Sénégalaise des eaux (SDE), dont la grève depuis le 03 décembre (pendant 4 jours) empêchait la distribution d’eau potable dans certains quartiers de Dakar.

Installation de la Sénégalaise des Eaux (SDE)

« Est réquisitionné, à compter du 6 décembre 2019 à 20 heures jusqu’au 31 décembre 2019, l’ensemble du personnel de la SDE pour assurer la continuité du service public de l’eau potable dans le périmètre affermé confié à la SDE », annonce le décret.

Qu’en est-il de la réquisition d’agents publics dans l’histoire du Sénégal contemporaine  ?

En 1980, le président Léopold Sédar Senghor réquisitionnait les enseignants, alors regroupés en un syndicat principal, le SUDES.

Les enseignants ont longtemps été, et le restent encore peu ou prou, les parents pauvres de la fonction publique sénégalaise. Même s’ils restent le corps le plus important numériquement. A la lumière de la réquisition des agents de la SDE par le président Macky Sall, il convient de rappeler qu’en 1980, les enseignants du Sénégal principalement regroupés dans le SUDES, avaient refusé la réquisition par le président Senghor. En 1973, l’unique syndicat d’enseignants indépendant des formations politiques, le SES (Syndicat d’enseignants du Sénégal), avait été dissous. Toutefois, les enseignants entreprirent la mise sur pied d’une autre organisation, plus unitaire et plus démocratique : le Syndicat unique et démocratique des enseignants du Sénégal, le SUDES, vit le jour le 26 avril 1976. A l’occasion de son premier congrès constitutif, comme du second congrès tenu en décembre 1977, on popularisa l’idée d’une convocation d’assises nationales permettant à toutes les parties concernées de discuter et d’aborder l’ensemble des problèmes de I’école sénégalaise.

Il faut rappeler la lutte déterminée du SUDES pour l’avènement d’une école nationale, démocratique et populaire , c’est à dire au service exclusif du peuple sénégalais.Le SUDES est né le 20 Avril 1976 au Relais , route de Ouakam. Suite à la dissolution administrative du SES en 1973 , c’est la période du vide syndical . De 1973 à 1976, c’est dans cette période que l’école a subi les plus graves agressions de de son histoire. A titre illustratif, les enseignants , maîtres des classes de CM2 , n’ont pas perçu jusqu’à présent les heures supplémentaires que l’État leur doit . Le 1er Congrès constituf tenu en 1977 , avait assigné entre autres , au syndicat les tâches suivantes :

– l’implantation de l’organisation sur l’ensemble du territoire national, y compris jusque dans le dernier hameau du Sénégal.

– la tenue de Commissions Techniques Nationales ( CTN) sur tous les corps de l’enseignement afin de déterminer, de façon exhaustive , l’ensemble des revendications générales où a été extraite une plate-forme minimale en huit (08) points assez captative en milieu enseignant.

Tous les enseignants s’y retrouvaient. C’est , après et après seulement, que le syndicat a demandé à rencontrer le gouvernement qui a fait preuve d’un ostracisme inexplicable. S’il est vrai que les enseignants venaient d’horizons divers et que la plupart d’entre eux appartenaient à des chapelles politiques, il n’en demeurait pas moins que le SUDES était réellement apolitique, indépendant de tout parti politique, de tout gouvernement et de tout groupe de pression.

Malgré de multiples tentatives pour amorcer un dialogue avec les autorités gouvernementales et les autres organisations professionnelles, le SUDES dut se résoudre à organiser seul des états généraux de I’éducation, les 24 et 30 juillet 1978. Les conclusions principales de ces états généraux peuvent se ramener aux points suivants :

  • Une scolarisation totale et l’utilisation des langues nationales comme langues d’enseignement.
  • La généralisation de I’éducation pré-scolaire et une répartition équilibrée du taux de scolarisation à travers le pays.
  • Le rééquilibrage de la carte géographique de I’école par une répartition des locaux scolaires, le réaménagement pour tous les enfants jusqu’à I’âge de seize ans.
  • La revalorisation de la fonction enseignante et la satisfaction des huit points de la plate-forme revendicative minimale : 1 ”) relèvement et extension de l’indemnité de logement à tous les enseignants ; 2”) relèvement de l’indemnité d’enseignement de 20 %O à 50 % ; 3 ”) relèvement du point indiciaire ; 4”) révision du taux des heures supplémentaires et des indemnités 5 ” ) régularisation de toutes les situations administratives des 6 “1 organisation des élections aux commissions administratives 7”) amélioration des conditions de travail et d’étude dans les 8”) mise sur pied d’une commission nationale de réforme.

L’expression « états genéraux de I’éducation » n’est pas une découverte ni une invention du président Abdou Diouf. Il furent largement diffusées à l’occasion de la journée nationale d’action du 2 décembre 1979 et lors de campagnes d’information menées tout au long de l’année scolaire 1979-1980 en direction des parents d’élèves et de l’opinion nationale. Parallèlement à ces actions, des conférences de presse, auxquelles étaient invités tous les représentants de la presse nationale et internationale, étaient organisées au siège du syndicat. Mais pendant toute cette période, le gouvernement refusa de dialoguer avec le SUDES sous prétexte que ce dernier était en fait un groupe politique d’opposition. Cela dura jusqu’en 1980.

 Devant ce refus obstiné, le SUDES décida une grève d’avertissement de vingt-quatre heures, le 13 mai 1980. Cette grève surprit non seulement le gouvernement mais même l’opinion nationale par son degré d’organisation. Pour la première fois, en effet, une grève se déroula sans manifestation tapageuse, sans heurt avec les forces de l’ordre, sans défilé dans la rue ni occupation illégale de locaux. Le SUDES avait envisagé et adapté sa lutte au contexte qui lui était imposé par le pouvoir. Celui-ci avait proclamé que cette grève était illégale, que les grévistes seraient sanctionnés et il décida, à la veille de la grève, de réquisitionner des catégories déterminées de personnel : inspecteurs, proviseurs et censeurs, directeurs d’école.. .

Le jour de la grève, les forces de l’ordre furent mobilisées à travers tout le pays. Elles occupèrent les points stratégiques de la capitale et entourèrent tous les établissements d’enseignement. Mais, malgré ces mesures d’intimidation, le mot d’ordre de grève fut respecté par plus de 70 % des enseignants de tous niveaux. Son succès fut également assuré par la mobilisation des élèves et des étudiants qui, dans bien des établissements, empêchèrent les non-grévistes, Sénégalais et Français de l’assistance technique, de dispenser normalement leurs cours toute la journée du 13 mai 1980. Immédiatement après la grève, le ministre de I’Éducation nationale prit des sanctions contre certains enseignants : suspensions d’inspecteurs et mutations d’enseignants du SUDES. L’opinion nationale s’émut ; elle imposa l’ouverture de négociations entre le gouvernement et le SUDES (5). Celles-ci, commencées fin mai 1980, aboutirent rapidement 2 un échec, devant I’intransigeance des représentants du pouvoir et leur refus de consentir quelques concessions au SUDES. Bien avant l’ouverture des négociations, celui-ci avait envisagé d’autres formes d’action si, après la grgve du 13 mai, il s’avérait impossible d’amener le pouvoir à examiner objectivement sa plate-forme revendicative en huit points. Les autorités religieuses (khalife général des Layènes, khalife représentant la famille Tall, le représentant des Niassène) très influentes au Sénégal, furent saisies, ainsi que le khalife  général des Mourides, khalife général des Tidianes, marabout de N Diassane.

Le SUDES préconisa, entre autres mesures, la rétention des notes des feuilles de composition du second semestre, le boycottage du travail administratif (remplissage des registres de notes, des livrets scolaires, participation aux conseils de classes) et le boycottage des examens et concours de fin d’année (entrée en 6“, diplôme de fin d’études moyennes (DFEM), baccalauréat). Cependant, la Commission administrative du SUDES, réunie le 15 juin 1980, tenant compte de l’existence d’une tension sociale réelle, de l’intervention des autorités religieuses et de certains partis d’opposition, et pour manifester sa volonté de dialogue, leva le mot d’ordre de rétention des notes et celui du boycottage du travail administratif. Il maintint pourtant le boycottage des examens et concours de fin d’année si les négociations en cours échouaient. Avant la fin du mois de juin 1980, les rencontres entre le gouvernement et le SUDES furent suspendues sine die, par une déclaration radiotélévisée et une interview au journal Le Soleil du ministre de l’Education nationale. Les premiers examens et concours de fin d’année scolaire commencèrent ainsi dans une confusion absolue et une tension sociale extrême, avec, en toile de fond, la volonté du gouvernement de réprimer sévèrement tous les grévistes et la détermination du SUDES et de ses militants de poursuivre l’action revendicative. Pour contourner les difficultés que créait le SUDES et pour assurer les conditions normales de déroulement des examens et concours, le ministre de 1’Education nationale dut prendre un certain nombre de mesures. Les militants du SUDES furent écartés de certaines épreuves (CEPE, entrée en 6‘, DFEM…). Des non-enseignants furent sollicités pour la correction de ces concours et examens ; les enseignants de l’assistance technique française furent contraints de corriger une quantité plus importante de copies ; aux épreuves du baccalauréat de l’enseignement secondaire général et technique, tous les examinateurs, en particulier ceux qui étaient membres du SUDES, furent obligés de souscrire un engagement de corriger loyalement les copies qui leur étaient confiées et, donc, de ne pas respecter le mot d’ordre de grève du SUDES, qui consistait à attribuer à chaque copie corrigée, une note au hasard, variant entre 10 et 20, au moins égale à 10/20. Le gouvernement n’a dû recourir à cette dernière mesure que parce que les militants du SUDES constituaient la majorité du personnel enseignant dans le secondaire et le supérieur. Et ne pas faire appel à eux, c’était se placer devant une alternative impossible : ou bien annuler ou reporter les examens, ou alors ne faire corriger les épreuves que par les assistants techniques français.

 Avant même la fin des examens et concours, de nouvelles sanctions s’abattirent sur les militants du SUDES :

  • suspension de trente-huit militants en juin 1980 ;
  • rétention de l’intégralité du salaire frappant trente-cinq enseignants en juillet 1980 et soixante-quinze en août 1980 ;
  • révocation de vingt-huit enseignants et suspension de trente-huit autres en septembre 1980 ;
  • affectation d’office de cinq cents instituteurs ;
  • licenciement de trente et un enseignants en octobre ;
  • mutation d’oflïce de deux cents professeurs en novembre et décembre 1980.

Le SUDES organisa un grand meeting national, le 25 octobre 1980. Le meeting se termina par des heurts avec les forces de l’ordre et l’arrestation de quelques militants, dont le secrétaire général du SUDES. Une journée nationale d’action fut enfin organisée le 21 décembre. La grève des enseignants, puis la suspension, le licenciement ou la révocation d’enseignants avaient pour conséquence de jeter des milliers d’élèves dans la rue, avec tout ce que cela pouvait comporter de désordre, de manifestations et d’actes de vandalisme. Tout cela a contribué à accentuer le caractère politique du conflit et conduit au refus systématique du président Senghor de discuter avec les représentants du syndicat. Pourtant le SUDES regroupait plusieurs tendances d’obédience idéologique variée que l’on retrouvait dans les divers partis PDS, PAI, RND, etc. (6). De ce point de vue, le SUDES héritait de l’expérience vécue par les militants dans l’ancien SES. Le syndicat bénéficiait également d’autres facteurs positifs. Il y avait d’abord la lassitude de I’opinion, habituée a- discours d’autosatisfaction vantant les 33 % du budget de 1’Etat consacrés à l’effort de scolarisation. De même, le SUDES a bénéficié de la contestation menée au sein de I’école par les élèves et les étudiants, tout comme de la reconnaissance des autorités religieuses. A bien des égards, et compte tenu de la mobilisation de la plupart des forces politiques nationales de tous bords, le conflit du SUDES et du gouvernement prenait bien l’allure d’une épreuve de force. Et de plus, en même temps, se réalisaient des tentatives multiples d’unité de la gauche sénégalaise et de constitution d’un front national, dont la COSU (7) n’a été qu’une étape. Dans ces forces de gauche, le SUDES représentait une unité non négligeable, par sa composition, tant quantitative que qualitative, mais aussi parce qu’il constituait avant-garde idéologique ayant toujours milité pour l’unité.

Cette importance du conflit scolaire et des positions avancées par le SUDES explique pourquoi les mesures annoncées par le nouveau Président, Abdou Diouf, le 1er janvier 1981, n’auraient pas pu l’être par son prédécesseur, L.S. Senghor. La convocation prochaine des états généraux de I’éducation et de la formation était présentée dans les termes suivants : a Le secteur de l’éducation, d’une manière générale, et plus spécialement de la formation professionnelle, est une haute priorité, une super-priorité, pour le gouvernement du Sénégal. Des correctifs immédiats vont être apportés en ce qui concerne les jeunes universitaires diplômés qui ne trouvent pas de travail. Dans un pays en développement, cela ne peut être accepté, ni moralement ni économiquement. Mais, de façon plus fondamentale, le temps est venu de faire un bilan exhaustif de la loi d’orientation en matière d’éducation qui, dans l’ensemble, a été une bonne loi. Il faut l’adapter aux nécessités de l’heure. Le nouveau gouvernement provoquera, sous l’égide du ministre de I’Education nationale, une large concertation sur ces problèmes essentiels. Participeront à ces états généraux de I’éducation, les ministres et administrations concernés, les syndicats d’enseignants, les associations de parents d’élèves, le secteur privé, tous ceux qui ont une compétence particulière en la matière et qui auront pour seul souci le bien public, le progrès de l’école sénégalaise, le développement de la nation. Le gouvernement ne rejette aucune contribution positive. Cette volonté de changement et de déblocage fut confirmée, le 13 janvier 1981, lorsque le Conseil des ministres annonça pour les 28, 29 et 30 janvier la tenue de ces états généraux. Le ministre de I ‘Éducation nationale, le SUDES et les syndicats liés au pouvoir, le SNEEL et le SYPROS, s’attelèrent à la préparation de cette réunion à travers diverses commissions officielles, communes ou non. Le SUDES, quant à lui, élabora dix documents qui furent distribués aux états généraux.

Le SUDES pour résister à la réquisition du président Senghor, avait décrété le trentième de salaire : tous les enseignants devaient verser aux délégués syndicaux, le trentième de leur salaire pour venir en aide à leurs camarades révoqués de l’enseignement.

A la lumière des combats du SUDES, le front syndical sénégalaise de 2019 parait bien faible, près de 40 ans après. Il est fort à parier que les salariés de la SDE n’auront pas les moyens, au contraire des enseignants du SUDES de 1980, de résister à la réquisition de Macky Sall.

Damel Mor Macoumba Seck (Avec Archives et Entretien avec Serigne Saliou Mbow dit « Thierno » , ancien enseignant à l’école sénégalaise de Banjul, ancien Secrétaire Général de la Section SUDES de Pikine)

Tract@2019