Détestation du Sénat : signe de déficit démocratique africain ?

L’ET DIT TÔT D’O.N.G- L’Afrique, qui est le continent de l’adoption des décisions par  consensus, a tout pour être un terreau fertile pour l’institution sénatoriale. Mais le hic, c’est que les élus africains contemporains veulent toujours opposer légitimité électorale (ou même électoraliste)  à légitimité électorale de leurs pairs politiciens. La suspicion habituelle envers ce cénacle qu’est la Chambre haute traduit une propension au poujadisme et au populisme du personnel politique des pays africains, qui est toujours rassuré de pouvoir exciper du vote direct des électeurs-citoyens, souvent traité comme du bétail électoral. Pérenniser le Sénat dans nos pays serait un changement de paradigme, pour une démocratie moins populiste, moins stipendiée et plus apaisée.

La Mauritanie a muselé son Sénat depuis un an et en embastille les sénateurs. Le pouvoir de Nouakchott veut emboîter le pas à son voisin, le Sénégal qui l’a supprimé ou à d’autres pays africains qui n’en ont tout simplement  pas. La Guinée Bissau, la Guinée, le Ghana, le Tchad, l’Égypte, le Niger, la Somalie, la Tanzanie, l’Angola, la Zambie, la Tunisie, le Botswana : 31 États ont choisi de se contenter d’une Assemblée nationale. Au Togo, la Constitution dispose depuis 2002 que le Parlement est bicaméral, avec une Assemblée nationale et un Sénat. Seize ans plus tard, ce dernier n’est toujours pas installé. Le Cameroun a attendu 2013 pour rendre effectif le Sénat alors que la création de l’institution a été consacrée par une révision constitutionnelle remontant à… 1996.  Le Sénat a décidément mauvaise presse en Afrique. Si l’Assemblée nationale est déjà traitée de chambre d’enregistrement des desiderata du Chef de l’État et d’applaudissements des politiques publiques, du fait de son statut souvent monocolore par le jeu du scrutin majoritaire et en raison souvent de la présence dans les hémicycles d’analphabètes, c’est encore pire pour les Sénats tropicaux : une grande proportion des membres y est toujours simplement nommée par le Président de la République en poste, ce qui fragilise d’autant la légitimité des sénateurs. La langue française a également immortalisé l’expression « aller à un train de sénateur », ce qui suppose un rythme lent et peu empressé de ces honorables parlementaires. Les sénateurs seraient immanquablement des fainéants casés à ne rien faire dans une institution supposée budgétivore de l’État. Aussi, sans surprise, dès qu’il est question de réduire le train de vie de l’État, c’est toujours la suppression du Sénat qui devient la variable d’ajustement. Quant ce n’est pas l’opinion publique qui réclame sa dissolution, c’est le chef de l’État en place qui le rature d’un trait, si cette chambre ne lui obéit pas au doigt et à l’œil

Pourtant, représentant les collectivités territoriales, le Sénat a toutes les qualités d’être bien plus utile et est assurément plus légitime  que les conseils économiques et sociaux, avec lesquels il fait d’ailleurs doublon et dont la nomination des membres est strictement le fait du Prince. C’est un tampon démocratique appréciable, pour la relecture des lois votées par les députés et pour une orientation  moins politisée des lois éventuellement adoptées. Il permet de faire entrer dans le jeu institutionnel des acteurs de la société civile importants qui n’y auraient pas accédé par le mécanisme de l’élection au suffrage universel. Les Sénateurs étant élus, pour ceux qui le sont, par leurs pairs en charge eux-mêmes de mandats électifs (notamment les maires et élus municipaux), au scrutin indirect donc, ont moins tendance à considérer qu’ils ont un mandat impératif de leurs électeurs à mettre en œuvre, ce qui est souvent le travers des députés.

Ousseynou Nar Gueye

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