[ÉDITO, ET DIT TÔT | Ousseynou Nar Gueye] Vu de Niamey : les avions africains, ces casernes volantes…?

Ousseynou Nar Gueye, communicant, ingénieur de projets et écrivain

Tract – Ce dimanche 27 novembre, je me trouve à l’aéroport international Diori Hamani de Niamey. Bientôt en vol pour rentrer à Dakar. Les compagnies aériennes sont des organisations militaires à tendances autoritaristes, comme toutes les armées. Ce n’est pas un hasard que leur personnel navigant porte des uniformes et que leurs pilotes qu’on appelle commandants se couvrent la tête de képis. Ils ont une chaîne de commandement stricte. Les hôtesses et stewards, malgré leurs sourires automatiques à même d’épuiser les zygomatiques, sont formés à toujours garder l’ascendant sur les passagers, en toute circonstances et à le faire débarquer en cas de récalcitrance persistance à leurs injonctions. En Afrique subsaharienne francophone jusqu’ici, les décisions (de report d’arrivée et de départ) de la hiérarchie aéroportée tombent du ciel, sans préavis. A cela, on doit obtempérer sans murmures, ni maugréements. Le passager reste alors détenu dans l’aérogare, incapable de tout mouvement à plus de 200 mètres pendant plusieurs heures. A bord, le menu est imposé comme pour la gamelle du militaire. Au mieux, pour la graille, c’est une alternative : poulet ou poisson? On doit rester à sa place tout comme le pioupiou de base ne doit pas outrepasser les prérogatives de son grade. En cas de turbulences, vous êtes priés de supporter et de ne pas vomir ailleurs que dans le sac fourni. Pour les cas heureusement rarissimes de catastrophes, c’est « chacun s’assoie, Dieu nous pousse » : prenez votre masque à oxygène, enfilez votre gilet de flotaison, et sauvez-vous tout seul. Les annonces au micro, au début et à la fin de ces voyages couleur kaki, sont la plupart du temps des mises en garde à tonalité de menaces, avec représailles possibles à la clé.

Non, La liberté n’est plus ce qu’elle était, et non, là je ne parle pas de Pape Alé Niang en prison : en effet, je me rappelle avec nostalgie de mon dernier vol fumeur. C’était en juillet 1999, sur Air France. Et au milieu de l’avion, entre deux rideaux, on tirait sur nos cigarettes. Il y avait là le désormais exilé-pour-cause-de-Qarim-économique Vieux Aïdara, le mannequin métisse Yacine Diaw à présent chanteuse de Yé, et bien d’autres. Tout ça est fini.

Et tous les vols du monde qui décollent font annoncer désormais par leur mbindaanou avion (hôtesses de l’air) qu’on vous poursuivra en justice si vous fumez dans les toilettes. C’est dire qu’ils savent que nous en avons la tentation. Un homme prévenu en vaut la moitié, challah. Et à l’aéroport, les agents de contrôle vous chourent déjà tous vos briquets avant l’embarquement. Quelle affaire de miskines..

Tout ça, c’est la faute aux attentats du 11 septembre 2001 qui ont détruit les deux tours du World Trade Center. Mais ce ne sont pas les briquets, les allumettes et les magnifiques volutes couleur immaculée comme les nuages du ciel (Dieu qui fume ?) du tabac qui crashent les avions : ce sont les islamistes-terroristes-fascistes qui le font. Fumer dans un avion : les moins de 25 ans n’auront jamais connu cela. A l’époque, il y avait même des sièges fumeurs, au fond de l’avion. Et en contrepartie aujourd’hui ? Il n’y a même pas le WiFi dans les aéronefs de nos companies aériennes subsahariennes…

Le 20ème siècle, lui au moins, était civilisé. Je suis content d’avoir eu 20 ans en ce siècle-là et durant ce deuxième millénaire passé, qui fut très appréciable. Ce siècle actuel de la dictature du Wi-Fi et des données mobiles tout puissants, je préfère qu’il me trouve déjà en âge très mûr.

Du côté de années 2000-2001, le Sud-Africain John Matshikiza, acteur et écrivain, qui était chroniqueur dans le Mail and Guardian en même temps qu’il dirigeait le département Culture de l’ONG Gorée Institute, ďepartement dont j’étais directeur-adjoint, s’était vu interdire d’écrire sur les compagnies aériennes d’Afrique centrale, thème à tonalité macabre qu’il affectionnait, dans ce journal : les pavillons de la partie australe protestaient contre ce qu’il écrivait contre elles et menaçaient de ne plus prendre d’insertion publicitaire dans le Mail and Guardian, surtout celles de RD Congo avec leurs sièges qui se dévissaient à 10.000 mètres d’altitude ou leurs portes arrière qui s’ouvraient en plein vol, à l’intérieur de leurs vieux appareils russes de marque Antonov. Matshikiza, qui nous a quitté trop tôt à l’âge de 54 ans, avait alors décidé d’arrêter sa chronique pour un temps indéterminé, en signe de protestation.

Ousseynou Nar Gueye

Fondateur et chef-éditorialiste de Tract

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