[DOSSIER-‘TRACT’] PROSTITUTION : Tract infiltre le milieu de la nuit et fait raconter aux filles de joie leurs histoires 

TRACT- La prostitution, conçue par certains comme un moyen malsain de se faire de l’argent, est considérée par d’autres comme la seule voie à suivre pour subvenir à leurs besoins.

C’est en effet le constat que nous avons fait après plusieurs nuits d’infiltration dans l’univers de la prostitution.
Sans idées préconçues ni préjugés, nous avons côtoyé des prostituées pour qu’elles nous racontent elles-mêmes les raisons pour lesquelles elles ont décidé de pratiquer le plus vieux métier au monde.
Sur 4 nuits à Saint-Louis, nous avons fait un restaurant-bar et deux boites de nuit où le business du sexe se fait sans cachette.
Au premier jour, nous avons passé la soirée à identifier les endroits les plus fréquentés par les prostituées et à les observer pour déterminer les méthodes à utiliser pour pouvoir nous entretenir avec elles et être prêts à les rassurer et les convaincre en cas d’éventuels refus.
Intéressés plus par les raisons qui les ont poussés à pratiquer la prostitution que par comment se déroule leurs soirées de travail, nous avons basés nos interrogations sur le « pourquoi » au lieu du « comment ».
Et grâce à une méthode de collectes de données inspirée du « Data Party », nous avons pu leur faire raconter leurs histoires, malgré leurs paroles désagréables, leur changement d’humeur, leur fermeté et leur réticence.

Dans ce dossier, nous avons décidé de ne pas citer les noms des boites de nuit et du restaurant-bar où nous sommes passés. Aussi, pour honorer nos accords verbaux que nous avons eus avec nos sujets sur la révélation de leur identité, nous avons décidé de leur attribué des surnoms de jeunes filles que nous avons choisis au hasard.
Au deuxième jour, jour où nous nous nous sommes lancés dans la collecte d’information, nous sommes allés dans un restaurant-bar situé au bord du fleuve où nous avons abordé notre premier sujet.
Avec la complicité du barman qui est un ami proche et qui nous a présenté comme un ami sérieux et digne de confiance, nous avons pu nous entretenir avec une fille de joie qui nous a quand-même demandé un billet de banque pour son temps.
Sous une robe moulante qui met en valeur son corps, Nanoush, assise seule dans un coin du bar, une bouteille d’alcool et un verre à moitié vide sur sa table, s’est ouvert à nous et nous a raconté son histoire après une discussion de plusieurs minutes axée sur le contexte socioéconomique actuel du Sénégal :
« J’ai été marié quand j’avais 17 ans et mon mari est décédé après 6 ans de mariage. J’avais deux co-épouses et elles avaient toutes des enfants mais moi j’en avais pas. Après l’héritage, je n’avais aucune part et c’est à partir de ce moment que mes difficultés ont commencé. Je suis allée vivre chez mon frère vu que mes parents sont décédés. Mais chez mon frère, je souffrais beaucoup à cause de sa femme qui me lançait toujours des piques et me m’était toujours en mal avec mon frère. Face à cette situation, j’ai décidé de venir ici à Saint-Louis chercher du travail. J’ai d’abord commencé par travailler comme femme de ménage et je ne gagnais que 30.000fcfa par mois. Très peu pour couvrir mes besoins, j’ai cherché du travail dans un restaurant où je travaillé comme serveuse. Et c’est là où mon entrée dans la prostitution a commencé », nous a-t-elle avoué.
Poursuivant son histoire, la belle dame rajoute :
« Comme tu me vois, je suis belle et j’ai une forme généreuse, choses qui attirées toujours les clients. Ces derniers me donnaient des pourboires de 5.000f, de 10.000f parfois même 20.000f. À la fin d’une seule soirée de service, je pouvais me retrouver avec 30 voire 40.000f. Tous ces clients voulaient coucher avec moi et m’invitaient toujours à venir chez eux mais je trouvé à chaque fois une excuse à leur donner. Après la fermeture de ce restaurant après la période de la Covid-19, je n’avais plus de travail et je me retrouvé sans argent, alors j’ai décidé de contacter les clients que j’avais connu quand je travaillais dans le restaurant. Je commençais à coucher avec eux et ils me donnaient de l’argent en retour », nous confie Nanoush.
Cette dernière poursuit :
« Après cette étape, des hommes à qui mes clients du restaurant avaient donné mon numéro de téléphone m’appelaient pour me demander de passer chez eux et je n’hésitais pas parce que je les trouvais généreux, responsables et très discrets. Mais avant de partir, j’appelais d’abord les personnes qui leur ont donné mon numéro pour qu’elles me confirment que c’est bien eux qui m’ont recommandé. Alors à partir de ce moment, j’ai décidé de me lancer dans la prostitution d’une façon discrète. Je n’encaisse que des hommes responsables et c’est toujours moi qui me déplace parce que j’habite actuellement dans un quartier populaire où tout le monde me connait », nous a confié notre premier sujet qui avait presque finit sa bouteille d’alcool durant cet entretien.
Au troisième jour de notre infiltration, nous avons pu convaincre une fille que nous avons abordée dans une boite de nuit. Après observation de comment les clients abordent les prostituées dans cet endroit, nous avons décidé de faire différemment.
Ayant ciblé Natacha comme sujet, nous lui avons abordé avec un verre de cocktail accompagnée d’une attitude respectueuse.
Assimilant sa beauté à celle d’une amie vivant à l’extérieur du pays, la fille de 24 ans, après un échange amical, s’est montrée aimable et prête à coopérer en échange d’une somme de 10.000f, soit l’équivalent de ce qu’elle gagne pour un client.
Prenant une place sur la terrasse de la boite où nous sommes montés pour nous entretenir, la jeune fille raconte :
« Moi je suis originaire d’un village qui se trouve dans une région située au sud du Sénégal (Ndlr : pour ne pas citer sa région d’origine) et j’étais venue ici rejoindre une amie d’enfance qui a convaincu mes parents qui m’ont finalement donné leur autorisation après plusieurs refus. Je suis un soutien de famille, j’ai deux petites sœurs et un frère qui sont encore des mineurs. Mes parents sont pauvres, ils ont un âge avancé et ne parvenaient pas à joindre les deux bouts. Étant l’ainée de la famille, je ne pouvais plus supporter cette situation et de voir mes sœurs partir à l’école toujours avec les mêmes habits et faire leur rentrée de classe tardivement par faute de fournitures scolaires. Mon amie d’enfance avec qui je vis ici était venue au village pour la fête de Tabaski, consciente des difficultés que nous traversons, elle m’a proposé de venir à Saint-Louis avec elle et m’avait promis un travail bien payant. J’étais automatiquement d’accord mais mes parents refusaient, surtout ma mère parce qu’ils me trouvaient encore jeune pour quitter la maison familiale. Mais nous avons fini par les convaincre parce qu’ils font confiance à mon amie vu que nous avons grandi ensemble elle et moi », nous a confié la fille sous une voix pincée.
Avec son teint clair et une perruque sur la tête, Natacha poursuit :
« Moi en venant ici, je ne savais pas quel genre de travail j’allais venir faire, j’ai juste suivi aveuglément mon amie par confiance. Et c’est une fois à Saint-Louis qu’elle m’a dit qu’elle est dans la prostitution. J’ai hésité au début parce que je ne voulais pas décevoir mes parents. Je pensais à leur réaction s’ils découvrent que leur fille est devenue prostituée. Mais après réflexion sur la situation de ma famille, il était hors de question que je retourne au village les mains vides. Cette pression et les assurances de mon amie ont fini par prendre le dessus sur ma conscience et j’ai accepté de faire la prostitution contre ma volonté. Au début je pleurais à chaque fois que je finissais avec un client, mais au fur du temps je me suis adaptée et tout est devenu facile maintenant », nous a-t-elle raconté.
Finissant son histoire en nous avouant avoir ressenti du bien en se confiant à nous, notre deuxième sujet articule :
« Là où je vous parle ma famille n’est plus dans la même situation qu’avant. C’est vrai que nous ne sommes pas riches mais mes sœurs et frère mangent à leur faim et mes parents ne font plus de petites activités pour trouver de l’argent. Je leur envoie de l’argent, parfois 50.000f, parfois 60.000f, deux fois dans le mois. Ils m’ont une fois demandé ce que je fais comme travail et je les ai raconté que je suis dans le vente de vêtements, chaussure et accessoires féminins. Pour leur convaincre, je fais toujours des photos et vidéos que je leur envoie quand je pars dans le magasin de vêtement d’un ami que j’ai ici. Et quand je pars au village pendant les fêtes de Tabaski, je leur ramène beaucoup d’habits et d’accessoires que je leur présente comme une partie de mes marchandises », a-t-elle fini par nous confié.
Enfin, au quatrième et dernier jour de notre mission, nous sommes tombés sur une fille étrangère vivant au Sénégal depuis presque 7 ans maintenant.
Nous considérant tout de même comme son premier et seul client depuis le début de sa soirée, elle nous a demandé un billet de banque pour qu’elle nous accorde son temps, même si on ne voulait pas la même chose que ses clients habituels.
Comme les filles qui lui ont précédé, Anita a accepté de répondre à nos questions à condition qu’on ne lui prenne pas en photo, qu’on ne cite pas son nom et qu’on ne laisse pas sa voix s’entendre.
Rassurée par nos promesses, la fille, cigarette à la main, s’ouvre à nous :
« Moi je suis congolaise et j’ai été étudiante à l’Université Cheikh Anta Diop. J’ai fait deux ans là-bas mais j’ai décidé d’arrêter de par ma propre volonté. Quand j’étais là-bas, je sortais avec un blanc, un français que j’avais rencontré dans une boite de nuit aux Almadies. J’étais follement amoureuse de lui au fur du temps et je ne lui refusais jamais rien. Il me couvrait de bonheur, il satisfaisait tous mes besoins financiers, je ne manquais de rien et j’avais l’espoir de devenir son épouse. Mais il me pourrissait la vie sans que je m’en rende compte. Il n’était jamais rassasié et il avait toujours envie de faire l’amour avec moi et je ne lui disais jamais non parce que je l’aimais et je me comportais comme sa femme sans me soucier de son jugement. J’ai fini par être accro au sexe à cause de lui et parfois, quand il était absent du pays et que j’avais envie de plaisir, je couchais avec des amis par manque. J’avais commencé à avoir des « sexfriends » (Ndlr : une amitié rien que pour le sexe où les sentiments ne sont pas désirés).
Visiblement un peu peinée, Anita continue :
« Son comportement était devenu bizarre quand il commençait à enchaîner des missions dans la sous-région. Il ne m’appelait plus au téléphone comme avant. Il pouvait rester une semaine sans prendre de mes nouvelles et je commençais à ne plus être concentrée sur mes cours. Et à chaque fois que je parvenais à l’avoir au téléphone, il me racontait des histoires qui ne tenaient pas debout. À un certain moment, je me suis ressaisis et je m’étais rendu à l’évidence qu’il ne m’aimait plus. Et ce qui a confirmé mes doutes et qui a chambouler toute ma vie, c’est quand il est rentré définitivement en France et que je n’arrivais plus à le joindre au téléphone. C’était vraiment la fin de notre relation et en même temps le début de mon calvaire. J’étais devenue malade et je n’avais plus goût à la vie ».
Assumant pleinement son statut, la congolaise fait savoir :
« Quelques temps après, j’ai décidé d’arrêter mes études et d’aller hors de Dakar, le plus loin possible parce que tout me rappelait ce traitre. Alors j’ai décidé de venir ici à Saint-Louis où personne ne me connait pour recommencer ma vie à zéro. Et la seule chose que j’ai choisi de faire c’est la prostitution. Elle me permet de satisfaire mes besoins sexuels et de gagner à la fois de l’argent. Je ne me cache pas, je m’en fous des gens qui regardent les clients m’aborder. Peu importe ce qu’ils vont penser de moi, je sais par quoi je suis passée. Si une fille avait vécu la même chose que moi, elle allait faire la même chose que moi ou même pire. Je suis ici depuis trois ans et je n’ai jamais vu une personne que j’ai connue avant et même si c’était le cas, je ne me cacherais pas », a laissé entendre notre dernier sujet.

Hadj Ludovic