[ÉDITO-‘TRACTÉ’] Détenus ‘politiques’: jadis parias, aujourd’hui héros?

Tract – Dernièrement, il a été constaté qu’au Sénégal la vie post-prison n’est plus vue comme un échec, autant chez les anciens détenus que chez les non détenus.

 

Pour expliquer celà, faisons un petit voyage sur le passé : les porteurs de pancarte lors de la venue du général De Gaulle (Valdiodio Ndiaye, etc) étaient perçus, dans l’imaginaire collective de l’époque, comme des « anarchistes ». Plus saignant, l’arrestation de Mamadou Dia sous le régime Senghorien. Cet homme d’État plus qu’authentique fut un incompris éternel, qui jusqu’à maintenant reste l’un des plus grands regrets du pays.

Tandis que maintenant, l’histoire a laissé des traces qui font qu’un opposant politique qui défend la souveraineté nationale et s’oppose aux entités autoritaires telles que la France-Afrique, reste pour beaucoup de sénégalais, un joyau de la couronne.

Ainsi, le normal semble changeant, avec une nouvelle forme de coercition sociale. Cette dernière n’est plus dans les faits orientée vers l’acteur qui a été emprisonné mais plutôt vers l’acteur qui emprisonne.

Ce phénomène étonne à telle enseigne qu’on ne puisse se permettre de ne pas l’interroger.

Partant de ce postulat, d’aucuns se posent la question suivante : en quoi la vie post-prison est passée de péjorative à acceptée au Sénégal ?

À cette interrogation on pourrait esquisser une forme de réponse hypothétique qu’est : dans ce pays comme dans beaucoup d’autres du continent africain, la justice, en tant que construit culturel a perdu en légitimité car, manipulée par les autorités pour certains ou encore plongée dans une vague de politisation dont elle ne peut se débarrasser pour d’autres.

En effet, à y voir de plus près, on peut analyser cette situation sous deux angles.

Premier angle: la récurrence de la brutalité

De mars 2021 à février 2024, le pays a connu un pléthore de situations d’instabilité qui découlent souvent sur des manifestations alliant calme et brutalité (torture, meurtre, emprisonnement, etc). De fait, la société sénégalaise passe ainsi de terre de paix et de stabilité à un terreau de perturbations régulières. Ceci fait que le normal (sous la perception Durkheim) devient pathologique. En d’autres termes, la brutalité qui se faisait plus que rare devient le quotidien des sénégalais et donc en suite logique, l’emprisonnement, jadis mal vue, est devenu une norme. De facto, l’expression « kasso jombul kén » gagne de plus en plus en sens.

 

Deuxième angle: le caractère arbitraire des arrestations

Aujourd’hui, au pays de la Téranga, il n’est plus chose rare que d’avoir un proche sous les barreaux. Dans les faits, allant des opposants politiques aux inconnus commentateurs sur les réseaux sociaux, en passant par les acteurs de la société civile, chaque couche de la schème de revendication a connu bon nombre de détentions. Pire, dans un pays de loi la détention reste légitime, nonobstant la récurrence et le manque de preuves bouleversent et créent un effet Streisand qui met le pouvoir à la place du bourreau et la société en général, à la place de la victime. Dans ce cas, voir en un détenu dit « politique » un malfrat devient quasi impossible.

Au demeurant, en 2024, le Sénégal est devenu une terre où la démocratie reste latente et la détention arbitraire, elle palpable. Ainsi, le détenu qui jadis, avait du mal à se trouver une place dans la société est aujourd’hui, un héros que d’aucuns célèbrent car jugeant son arrestation sous le joug d’une extravagance de la violence symbolique des autorités étatiques.

Hadj Ludoviç