[FOCUS-TRACT ‘2023’] Les Sénégalais reviennent sur les événements qui les ont le plus marqués (Par Hadj Lodovic)

Tract – L’année 2023, pleine de tensions, a été ‘longue’ au Sénégal. Très agitée sur les plans politique, juridique, social, économique, académique etc., 2023 a laissé beaucoup de souvenirs amères chez les Sénégalais qui l’ont cependant vécu différemment.

Pour en savoir d’avantage sur les épisodes les plus marquants que les citoyens ont retenus au cours de cette année, nous leur avons tendu le micro. Ils  partagent avec nous leurs souvenirs.

 

En cette mi-décembre, le froid n’est pas encore au rendez-vous. Et cela commence à être inquiétant quand on sait que le temps est aux prises, si l’on se fie aux environnementalistes, au réchauffement climatique. C’est cette condition quelque peu éthérée que votre serviteur s’en employé, micro en main, à interpeler les interlocuteurs qui ont bien voulu faire reprendre la température du Sénégal des mois précédents. Le premier retrouvé dans un salon de coiffure en attente de son tour pour se faire une petite beauté en ce dernier mois de 2023, se nomme Mounirou Fall. Il n’hésite pas, il ne se prive pas. Il nous confie : « L’année 2023 est pleine de souvenirs pour moi. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est la montée en puissance de l’émigration clandestine, car j’en ai perdu un ami. Mamadou Seye, il s’appelait ».

Le ton de sa voix mélancolique fait resurgir du fond des eaux mortifères de l’Atlantique les images encore intactes de sa vie passée avec cet ami emporté dans le flot des vagues de l’immigration. « On a grandi ensemble et beaucoup de gens pensaient qu’on était des frères de même père et mère tellement qu’on était proche. Nous avons fait plusieurs business ensembles, d’abord dans le Fouta, à Dakar, en Gambie et au Congo », ressasse Mounirou. Mais son ami lui a « caché ses intentions de prendre la mer pour rejoindre l’Espagne parce qu’il savait que je suis contre l’émigration clandestine. La veille de son  départ, il m’a dit qu’il doit se rendre à Dakar pour une semaine pour gérer une commission pour son père. Et c’est exactement une semaine après qu’il est parti que nous avons appris sa mort. Il a laissé un grand vide dans ma vie. Et il n y a pas un jour qui se passe sans que je ne pense à lui. L’année 2023 restera à jamais gravé dans ma mémoire à cause de cette grande perte », a admis M. Fall.

Pour nous refaire des ‘émotions-confessions’ de Mounirou Fall, nous sommes allés prendre le café Touba dans un coin très fréquenté par des jeunes. Entre deux rasades de ce liquide onctueux, Abdoulaye Mar a eu l’amabilité de nous confier ses préoccupations. Il nous expose sa pensée. « En tant qu’étudiant et jeune soucieux de mon avenir, la fermeture de mon Université Cheik Anta Diop est la chose qui m’a le plus traumatisé cette année. Et, j’en suis sûr, c’est le cas pour beaucoup d’étudiants», lâche le jeune Mar. « Je ne comptais que sur mes études et me voici maintenant devenu désespéré, sans aucun espoir. Ça fait plusieurs mois maintenant que nous sommes restés sans savoir comment cela va finir. Nous n’avons pas de parents riches capables de nous inscrire dans une université privée », s’inquiète notre étudiant. « J’ai passé des mois à chercher du travail qui me permettra d’amasser quelques économies dans le but de m’inscrire dans une université privée, mais je n’ai rien trouvé », se désole Abdoulaye. Pour lui, cette situation reste déplorable et « ça fait mal au cœur de voir que nos gouvernants n’ont absolument rien à faire de notre avenir. Ils nous ont laissé à notre sort et ne se préoccupent que de leur intérêt personnel », dit-il, l’air morose. « Vous ne verrez jamais dans un pays sérieux des universités fermées pour soi-disant des raisons de sécurité ou par insuffisance de résultat », se révulse-t-il. Toutefois, Abdoulaye Mar entend garder quelque lueur d’espérance.  Il souhaite que « la situation va changer en 2024 avec de nouveaux hommes à la commande qui se soucieront de nous jeunes et particulièrement de nous étudiants ».

Le goût du café Touba tenace mettant encore à l’épreuve nos papilles gustatives pour ne pas dire tout notre anatomie et notre esprit, c’est dans un taxi urbain que nous engouffrons pour nous retrouver d’Adjouma Dièye avec qui nous avons partagé le trajet. Elle laisse entendre que «la situation politique au Sénégal est sans aucun doute ce qui m’a le plus marqué cette année. Nous avons vécu des moments chaotiques avec des violences que nous n’avons jamais connues auparavant. Plusieurs fois, pendant plusieurs jours, nous étions obligés de rester dans nos maisons la peur au ventre», a-t-elle fait remarquer. « Nous avons vu cette année plusieurs secteurs être paralysés à la fois, que ce soit le commerce, le transport, l’enseignement, l’administration et biens d’autres secteurs. Nous étions même retournés à l’âge de la pierre taillée avec la coupure de l’internet », se désole-t-elle.

Son cœur est sombre quand elle évoque «le nombre de morts comptés cette année, suite aux tirs de balles réelles des forces de défense ». Cela «a changé surtout le respect et la considération qu’on avait envers elles», constate, amère, Adjouma. « Et je ne sais pas si vous avez fait le constat, mais le pays est divisé à cause de la politique. Ceux qui sont avec le pouvoir ne supportent plus ceux qui sont avec l’opposition et vice versa, malgré les liens de parenté et le voisinage. Vraiment l’année 2023 n’a pas été ce qu’on espérait », pense-t-elle. « Nous souhaitons que 2024 soit meilleure et qu’elle sera une année durant laquelle tout ce que la politique a brisé dans ce pays sera réparé », a souhaité Mme Dièye.

Hadj Ludovic