[Idée] Penser le Mbolé: ratiocination pour une rationalisation des musiques camerounaises !

SENtract – Le mbolé, bien plus qu’un courant rythmique, est l’expression du désespoir, de la consolation d’un groupe, qui survit; et qui, refusant d’agoniser, de se noyer et de disparaître en silence. Déchire la tortionnaire camisole du silence en sublimant son quotidien pourtant triste et cocasse. 

 

C’est la voix d’une marge qui, par le seul fait de rythmer et de rimer son quotidien, devient pensante parce qu’elle se positionne et se projette comme maillon essentiel et important d’un système qui la relègue au second plan à cause de ses relations incestueuses et ses rapports non-protégés avec le « banga »(chanvre), l’analphabétisme et toute la batterie.

À partir de là, suivant les différentes métamorphoses thématiques observées à chaque nouvelle musique mbolé, jusqu’à aujourd’hui, le mbolé, depuis le début, a été et est toujours une voix nécessaire pour les sans-voix, les « war-man », ceux qui se battent pour survivre à partir de la marge. Et quand on regarde la scène culturelle camerounaise actuelle, malheureusement en pleine déliquescence, on trouve plusieurs artistes qui abordent dans leur musique les enjeux socio-économiques et politiques d’aujourd’hui sur les inégalités sociales et l’injustice. Même si la majorité souscrit à l’exécution permanente et presque perpétuelle de l’hymne du ventre et du bas ventre.

Les innocents, à-priori, chanteurs du mbolé, tous des jeunes en majorité, s’inscrivent, inconsciemment, à la suite du trompettiste Christian Scott, qui disait au « Devoir » en 2015 : «  Je viens d’un milieu social et économique où j’ai vu une myriade de choses négatives à cause du manque de moyens(…). Alors, je ne vois pas comment je pourrais me taire aujourd’hui ». Voilà, en quelque sorte, la mission des chanteurs du mbolé même si eux-mêmes ne le savent pas très souvent. D’où l’urgence d’un encadrement et d’une certaine organisation au sein des divers groupes qui constituent ce mouvement. À l’image des “ambiances faciles “, comme ce que la Côte-d’Ivoire nous servait dans les années 90, notamment le wòyò, une des racines du zouglou, le mbolé est un peu comme le jazz au sein des communauté afro-américaines( au début du XXe siècle), ou encore le hip-hop ayant émergé dans les ghettos aux Etats-Unis dans les années 70.

Le mbolé est un beau portrait psychosociologique des sociotopes camerounais dans lesquels chacun d’entre nous évolue. Toute la tristesse. L’espoir. La misère. Le besoin d’exister. La résignation. Le rêve. Et l’espérance sont portraiturés. Le recours à Dieu et à la vierge Marie étant des clés incontournables, comme pour se repentir et implorer une certaine absolution.

Pour un droit mondial à la valorisation…

Les acteurs culturels, les mécènes, d’ici et même ceux d’ailleurs, doivent livrer un plaidoyer pour une meilleure connaissance de la trajectoire de l’histoire du mbolé et même de sa visibilisation à l’échelle mondiale. Invariablement, si on l’épure de son amateurisme et du « vide réflexif », caractéristique de plusieurs textes, le mbolé est un marqueur important et salutaire pour la musique camerounaise.

Tout ça c’est l’expression même de la camerounité. Et c’est beaucoup de mystère et d’ingéniosité. Que de pouvoir donner de l’espoir à l’humanité à partir de sa souffrance, de sa misère. Le mbolé est une manière de rythme musical qui a le pouvoir, comme le disait Martin Luther King, en 1964, de « mettre en musique les réalités les plus difficiles de la vie et d’en faire quelque chose porter d’espoir« .

Le mbolé est, tout compte fait, une musique triomphale au plaisir des oubliés de la rue et damnés de la vie!

 

Baltazar Atangana Noah

Critique littéraire