[INTERVIEW] Abubakar Pokam invite les agripreneurs du XXIe siècle à adopter une approche d’agriculture de précision

Tract – Entretien avec Abubakar POKAM TCHAWA, fondateur et PDG d’AgriNkap, une startup dont l’objectif est de garantir que toute personne souhaitant démarrer une entreprise agricole au Cameroun puisse accéder aux services de conseils les plus fiables.

 

Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, je suis Abubakar Pokam Tchawa, fondateur et PDG d’AgriNkap.  Mon parcours académique m’a conduit à étudier l’ingénierie et le management à l’Université d’Ingolstadt. Avec plus de 3 ans d’expérience dans l’innovation numérique, j’ai travaillé avec des organisations telles que JP Morgan Mobility Payments System. AgriNkap se consacre à faciliter le financement, l’accès à l’information et aux prestataires de services agricoles. Ma passion pour l’innovation guide notre croissance organisationnelle.

Selon vous, au 21eme siècle, l’entreprenariat agricole sera… ?

L’entrepreneuriat agricole englobera la production ou la facilitation de la production alimentaire pour lutter contre la faim. L’agripreneur du XXIe siècle doit adopter une approche d’agriculture de précision, ce qui signifie appliquer la bonne quantité d’engrais avec l’aide de la technologie, par exemple, choisir les bonnes semences et même travailler main dans la main avec les experts agricoles pour maximiser la productivité. Reproduire les pratiques agricoles du passé que nos parents faisaient n’est pas idéal. La technologie jouera un rôle crucial pour les agripreneurs, bien qu’elle ne soit pas obligatoire, étant donné notre stade précoce de développement technologique.

Agrinkap : la genèse.
Le nom AgrinNkap suggère une combinaison d' »Agriculture » et de « Nkap » (signifiant argent dans mon dialecte), visant à susciter des réflexions sur la commercialisation lorsqu’on pense à l’agriculture. L’inspiration d’AgriNkap découle de l’expérience de mes parents lorsqu’ils cherchaient des prêts pour leur exploitation agricole, faisant face à des conditions défavorables en raison du manque de garanties. En conséquence, j’ai rédigé ma thèse universitaire en me concentrant sur l’exploration de solutions potentielles, dont les résultats sont disponibles sur https://opus4.kobv.de/opus4-haw/frontdoor/index/index/year/2023/docId/3640.

De plus, mes propres expériences avec une plantation familiale ont souligné les défis de trouver des prestataires de services agricoles fiables. Cela a conduit à la création d’AgriNkap avec pour mission de résoudre les problèmes d’asymétrie de l’information, de difficultés de financement et d’accès aux prestataires de services au Cameroun.

Notre approche consiste à intégrer des groupes de fermiers locaux sur notre plateforme, leur permettant de lever des fonds. Nous les guidons grâce à la technologie satellite pour répondre à des questions liées à la météo, à la distribution de l’eau, aux quantités d’engrais et nous les assistons dans l’obtention de semences de qualité. De plus, nous prévoyons d’ouvrir notre plateforme aux autres initiateurs de projets agricoles.

Dans l’espace des prestataires de services, nous mettons en place une place de marché numérique où les experts et prestataires de services agricoles peuvent vendre leurs services au public après une vérification initiale. Les prestataires de services ont également la possibilité de contribuer à des contenus utiles. Notre vision est de garantir que toute personne souhaitant démarrer une entreprise agricole au Cameroun puisse accéder aux services de conseil les plus fiables et aux informations de première main nécessaires pour prendre des décisions éclairées.

Quels sont, selon vous, les 3 indicateurs d’une gestion responsable et durable d’un projet agricole en Afrique en général, et au Cameroun en particulier ?

En premier lieu, la transparence doit occuper une place prépondérante, car elle détermine la continuité des activités commerciales, car si les gens ne font pas confiance à nos actions, ils ne peuvent pas acheter et investir chez nous. De plus, les gestionnaires agricoles doivent constamment chercher à optimiser leurs opérations, que ce soit par le biais de la technologie ou d’autres moyens. La sécurité sur le lieu de travail et une attractivité accrue pour nos employés agricoles doivent également faire partie intégrante de la discussion. Enfin, l’Afrique doit se concentrer sur la production de ce qu’elle consomme, afin de cesser de dépendre des importations. Ce n’est pas le moment de se concentrer sur l’exportation de produits, car la faim demeure l’un de nos problèmes majeurs en Afrique et doit être résolue en priorité.

Transition écologique, Transition numérique : quel est le positionnement de votre entreprise face à tout ça ?

Une transition dans les deux domaines semble difficile en Afrique aujourd’hui. Sur le plan écologique, il est essentiel de prendre en compte le changement climatique et de faire preuve de prudence en matière de déforestation, mais un arrêt total pourrait ne pas être réalisable. Malgré la pression de l’Occident, l’Afrique n’a pas encore exploité de manière significative ses terres arables. En ce qui concerne la transition numérique, le manque d’infrastructure technique et de connaissances suggère que l’Afrique n’est pas prête. Notre entreprise prend une démarche numérique plutôt qu’une transition complète, en se concentrant sur la facilitation de divers aspects de la chaîne de valeur agricole tout en restant consciente de l’écologie.

Au Cameroun, plusieurs difficultés à l’instar de l’accès aux équipements, de la disponibilité des financements et l’enclavement des bassins de production continuent de plomber la compétitivité des productions agricoles. Quelle stratégie proposez-vous pour y apporter des solutions durables ?

Pour résoudre cela, un soutien tant du gouvernement que des investisseurs privés est nécessaire. Plutôt que d’essayer d’être la solution, le gouvernement devrait habiliter efficacement les investisseurs privés. Il est essentiel que le gouvernement se concentre sur l’infrastructure, comme les routes, et travaille sur des politiques facilitatrices, notamment en simplifiant le processus d’acquisition de titres fonciers. De plus, améliorer la transparence des affaires et renforcer le système juridique permettra aux investisseurs d’agir avec moins d’appréhension.

Comment comprendre que le Cameroun naguère 5ème producteur mondial du cacao, se retrouve aujourd’hui au bas de l’échelle, Idem pour les autres produits de rente comme le café ou la banane plantain ?
La réalité est que beaucoup de facteurs de production agricole changent avec le temps, nécessitant l’adoption de nouvelles stratégies. Par exemple, la fertilité du sol diminue, et beaucoup de jeunes se détournent de l’agriculture. Je pense que tous ces changements ont eu beaucoup de conséquences dévastatrices sur notre production. Beaucoup de petits exploitants et d’agriculteurs commerciaux doivent rechercher de meilleures pratiques agricoles, c’est là que l’agriculture de précision entre en jeu. De plus, il est essentiel de rendre l’agriculture beaucoup plus intéressante et accessible aux jeunes, car beaucoup d’entre eux sont ouverts d’esprit et capables d’adopter rapidement de nouvelles approches.

Faut-il continuer à subventionner l’agriculture au Cameroun, et en particulier en Afrique ?
Bien que les subventions puissent rendre le marché très inefficace et créer des attentes psychologiquement négatives pour les agriculteurs locaux, comme je l’ai mentionné dans ma recherche, elles ont encore leur utilité. Cependant, je pense que quelque chose de plus important que les subventions est l’efficacité. Les ONG et le gouvernement doivent rechercher des moyens plus innovants pour aborder cette question. Ces dernières années, dans des pays tels que le Nigeria, le PAM et d’autres associations ont accordé des subventions à des start-ups afin qu’elles puissent servir les agriculteurs locaux à moindre coût. Je crois que cette approche est excellente et devrait être adoptée, à condition que les bénéficiaires des subventions puissent fournir des rapports clairs sur leur impact.

Propos recueillis par Baltazar ATANGANA