[Interview] Béatrice Mendo, « Les contes n’ont jamais été le monde des Bisounours »

SENtract – Nous nous sommes entretenus avec Béatrice Mendo, nouvelliste et romancière, dont le premier recueil de contes,  L’argent n’a d’oreilles, paraîtra cette rentrée littéraire 2021 aux éditions Adinkra.

 

Béatrice Mendo, quel message avez-vous voulu transmettre à travers ce recueil de contes ?

Dans mon recueil de contes, il y a autant de messages que de contes, et un seul conte peut être porteur de plusieurs messages. Chacun des contes dispose déjà de sa propre moralité, cette petite phrase qui justifie le conte et permet de distiller une sagesse qui relève du patrimoine cognitif de l’Humanité. Par exemple : « l’argent n’a pas d’oreilles, il ne répond pas quand on l’appelle, l’homme oui », qui signifie qu’il vaut mieux compter sur un être humain que sur l’argent. Les contes n’inventent rien, ils perpétuent la sagesse des hommes. Le conte est la plus vieille initiative de fiction au monde, c’est un genre universel qui, tout en s’adaptant, continue d’édifier les esprits. Dès que les hommes ont acquis l’aptitude du langage, ils ont commencé à se raconter des histoires, ils ont commencé à parler de choses qui n’existaient pas, mais qui pouvaient donner du sens à celles qui existaient. Les liens sociaux étaient d’ailleurs renforcés selon qu’on partageait les mêmes histoires. Le message que je pourrais transmettre serait donc celui du partage. Les contes sont faits pour être partagés encore et encore.

 

Votre écriture est habillée par le rocambolesque et le fantastique qui décrivent et caricaturent le quotidien le plus concret. Pourquoi un pareil attachement à la dimension surréelle ?

Le conte est le territoire rêvé pour imbriquer ce qui est vraisemblable et ce qui est fantastique. Les personnages de contes sont malléables à l’envi, ils permettent d’immenses combinaisons de caractères, de situations et de lieux, on peut tout leur faire faire. Ils peuvent voler, apparaître, disparaître, ils peuvent être faits de chairs ou être de purs esprits. Le conte a des limites aussi infinies que celles de l’imagination humaine. Repousser le territoire de l’imagination c’est offrir autant de possibles à l’âme humaine, c’est ce qui explique certainement la prédilection que j’ai pour des situations qui échappent aux contraintes de la réalité, et qui s’ouvrent aux mille possibilités qu’offre le surréel.

 

Auteure de romans, de haïkus, de nouvelles et maintenant de contes. D’un livre à l’autre ou d’un genre à un autre, établissez-vous des liens ?

Le seul lien, c’est mon imagination qui gouverne mon intéressement à tel ou tel sujet ou genre.

 

Posez-vous des jalons au préalable de vos contes ? 

Mes contes sont construits autour d’une moralité, avec un récit qui met en place les prémices, les présupposés et les conditions qui mèneront au dénouement, et au dévoilement d’une parole de sagesse conclusive. Le chemin n’est pas aussi tracé que ça, il y a des rebondissements, des coups du sort, de captivantes bifurcations qui rendent attrayant le cheminement vers la conclusion.

 

Comment sont nés vos personnages ? 

Mes personnages sont nés d’un imaginaire social, culturel, littéraire, philosophique, que je partage avec beaucoup d’autres, peuplé de contes lus et entendus, d’adages et de proverbes partagés, de situations observées, d’autres imaginées.

 

Considéré comme « produit », à quel marché s’adresse votre recueil de contes et à quel marché l’avez-vous adapté ?

Mes contes sont destinés autant aux petits qu’aux grands enfants. Tous ceux qui ont gardé leur âme d’enfant retrouveront la saveur des récits d’antan. Les petits se réjouiront de personnages hauts en couleur, captivants, facétieux, obéissants ou non, malins ou non, attachants ou non, qu’ils soient hommes ou animaux. Les grands enfants percevront certainement les notes philosophiques qui émaillent les récits. Tous seront édifiés par un récit qui leur parle du monde, de ses mystères et écueils, de la bravoure, de la ruse, du discernement, de l’abnégation, toutes ces choses qui permettent d’imprimer sa marque.

 

Avec votre éditrice, envisagez-vous des représentations sur scène de vos contes ?

Nous envisageons d’abord de vendre le plus de recueils possible, bien sûr. Des représentations sur scène pourraient suivre s’il y a des professionnels disposés à le faire. Et même, tout récit n’est pas susceptible d’être mis en scène, donc il faudra encore juger de l’opportunité de le faire ou non. Et ceci relèvera de la responsabilité d’un metteur en scène. Même si moi-même personnellement je ne vois pas comment un de mes contes pourrait être mis en scène, un professionnel pourrait mieux que moi organiser les choses et me faire des suggestions déterminantes. En attendant que ça arrive, il faut déjà mettre mes contes entre le plus de mains possible.

 

Comment verrez-vous, s’ils étaient interprétés, l’incarnation de vos textes sur scènes, les conteurs s’en emparer ?

Des conteurs pourraient réciter mes contes, et même en prenant certaines libertés, ça ne me dérange pas, ils pourraient enrichir le récit, lui donner une coloration particulière. Que l’imagination s’ajoute à l’imagination et les récits seront mieux partagés.

 

Ressentiez-vous, pendant l’écriture de ces contes, une certaine responsabilité à l’égard de votre lectorat ?

Mon objectif était de produire des récits aussi captivants qu’instructifs. Tout ce que j’espère c’est que les lecteurs passent un moment aussi agréable qu’édifiant en lisant mes contes. Certains auront peut-être des interprétations que je n’ai pas prévues, d’autres n’aimeront pas ou adoreront. Face à cette foule de sentiments parfois contradictoires qu’une œuvre peut susciter, je ne sais pas de quoi je peux en prendre la responsabilité. 

 

Comprenez-vous que la description de la mort, sans esquive stylistique, dans vos contes et le fait de laisser mourir certains personnages, comme le vieillard dans le conte « l’argent n’a pas d’oreilles », peuvent choquer les enfants, votre première cible ?

Les enfants ne sont pas choqués quand le méchant meurt, encore moins un vieillard. Généralement, dans les contes, le mal meurt pour que survive le bien, le mauvais meurt pendant que le bon triomphe. Ça serait déchirant que le bien meure, et même, il y aurait toujours un moyen de rendre cette mort instructive. Quand je pense au cortège de morts qu’il y a dans les contenus destinés aux enfants de nos jours, les mangas, les Marvel et autres dessins animés, j’en conclus qu’il en faut plus pour effaroucher un enfant. D’ailleurs, beaucoup ont survécu à la mort réelle de Chadwick Boseman, le Black Panther, et lui ont rendu des hommages très émouvants. Les enfants savent que le cycle de la vie et de la mort est naturel, tout ce qu’il faut éviter c’est de leur présenter des morts inutiles et grossières. Les contes n’ont jamais été le monde des Bisounours où personne ne vieillit ni ne meurt. Il y a toujours eu des morts dans les contes, des imprudents qui sont dévorés par un lion, des enfants désobéissants qui sont croqués par le loup. La mort, qui est aussi naturelle que la vie, doit être porteuse de sens, elle doit indiquer le comportement qu’on doit éviter.

 

Baltazar Atangana Noah

Critique littéraire