[Interview] Ismaël Teta, l’homme-orchestre!

Tract – Ismaël Teta est nutritionniste de formation, diplomate de carrière, enseignant-chercheur et poète. Il a grandi au Cameroun, son pays natal, avant de s’envoler sous d’autres cieux. C’est ainsi qu’il garde un pied ferme dans sa culture d’origine qu’il n’arrête de mettre en avant dans ses publications et prises de positions dans l’espace public. Auteur de nombreuses publications scientifiques en lien avec la santé, la nutrition et la bioéthique, Ismaël Teta publie son premier recueil de poèmes en 2016, sous le titre Réminiscences (Editions Dédicaces). Après la parution en 2017 de son un ouvrage intitulé Autour du feu, en collaboration avec Léonard Tabeko, il publie en 2022 son deuxième recueil de poèmes Reviviscences, avec un zeste de réminiscences.

 

Votre premier recueil de poèmes, Réminiscences, paraît en 2016 aux Editions Dédicaces. Il exprime « une certaine nostalgie de jouvence » et aborde, comme on peut s’y attendre, des thèmes comme l’amour. Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce texte ?

Réminiscences comme l’indique le titre est une collection de poèmes écrits au fil des années de jouvence. Ce recueil est un catalogue des textes manuscrits que j’ai pu garder car il faut le dire, la plupart de ses poèmes ont été écrits avant la démocratisation de l’ordinateur. Chez moi, écrire est expiatoire – pour régler un conflit ouvert ou intime, certains ont besoin d’en discuter, de se confier, de se soulager comme l’on dit. Moi c’est pas pareil, seulement je me confie à ma plume, je dialogue avec moi-même et je me soulage en couchant sur papier l’objet ou le sujet de la pesanteur. Voilà…l’introversion est ce qui motive l’écriture de mes textes.

Pourquoi avez-vous choisi la poésie pour parler de vos souvenirs de jeunesse ?

La poésie est probablement le genre littéraire qui sied le mieux à ma personnalité car elle est profondeur et contraction. Je joue beaucoup dans la vie comme dans l’écriture avec le deuxième degré. J’aime l’idée qu’il faille fournir un effort en toute chose – ne pas comprendre du 1er coup ce qu’exprime l’auteur, le conjoint, le parent, l’ami. Les autres formes d’écritures sont légèrement paresseuses (pour le lecteur…pas nécessairement pour l’auteur) car narratives. Je suis plutôt adepte des énigmes et de la maïeutique.

En 2017, vous publiez Autour du feu. Les étapes de la socialisation dans la société bamiléké en collaboration avec Léonard Tabeko, un livre qui présente « le processus de socialisation chez les peuples de l’Ouest du Cameroun ». Quel est votre intérêt de parler dans ce livre de certains aspects de la tradition bamiléké à laquelle vous appartenez ?

Le livre Autour du feu a eu comme titre dans un premier temps, « retour au sources ». Comme le disait le professeur Omotunde Kalala de regretté mémoire, un fervent défenseur des humanités classiques africaines, « nos ancêtres sont les premières à parler et à signifier de toute chose ». Je partage l’avis que la plupart de nos maux corrèlent avec le manque d’estime de soi atavique chez l’Africain ; ce manque d’assurance qui a son tour est nourri par notre méconnaissance profonde de nos racines. Nous fondons nos convictions culturelles, intellectuelles très souvent sur des enseignements civilisationnels venues d’ailleurs, insidieusement inoculés dans notre mental et dans nos mentalités par le biais de la colonisation et de la néo-colonisation. En revisitant nos racines et en nous les réappropriant, nous prenons une longueur d’avance sur l’autre et le monde car nous avons en plus de sa science, la nôtre (science ici faisant allusion au savoir global).

C’est donc dans un souci de partage de la mécanistique de la civilisation des grassfield, extrapolable au point de vue de sa séquentialité, à tous les peuples bantous – que j’ai entrepris avec Leonard Tabeko, l’écriture de cet œuvre.

Quel est véritablement, selon vous, le rôle des rites organisés autour des différentes étapes de la vie de l’Homme bamiléké ?

A chaque étape de la vie correspond chez ce peuple, une initialisation visant à vivre pleinement le présent tout en préparant sereinement le futur. Par exemple, la jeune fille pendant l’adolescence reçoit tous les conseils nécessaires pour traverser une puberté non perturbée, comprendre et domestiquer les changements physiques et physiologiques qui surviennent – parallèlement, elle est envoyée au « djé » ou une marraine aguerrie l’outille à être une bonne mère et à jouer son rôle de pilier de la famille. Car quoique les bamilékés soient un peuple essentiellement patrilinéaire, il est fondamentalement matriarcale au sens du pouvoir domestique.

Votre dernière parution, Reviviscences, avec un zeste de réminiscences est un ensemble de poèmes qui ressassent les souvenirs d’un « Moi » luttant contre l’oubli du passé.

Cette écriture du souvenir s’explique-t-elle du fait de vos années loin de votre terre d’origine ?

Possible. J’évite de faire dans la science-fiction. Ma poésie est réalité-fiction. Autrement, je puise dans le réel, puis je tresse quelques mots qui se transforment en vers puis en poèmes. Ce choix conscient me pousse donc à passer beaucoup de temps avec mon passé pour y tirer mon inspiration et penser l’avenir. Mes années loin de mon pays à parcourir le monde fertilisent aussi ma poésie qui se veut relativiste – ce relativisme nait de la comparaison des évènements, mais surtout des attitudes humaines face à ces évènements en des temps et des lieux différents.

Mais au-delà, Reviviscences… questionne l’Homme dans sa relation avec l’Autre, les relations entre l’Afrique et l’Occident, et décrie les errements de nos sociétés, entre autres. Comment vous définissez-vous en tant que poète ?

Je ne suis pas un poète activiste mais je ne suis pas un poète neutre. Je me sens interpelé par l’affadissement de notre société, l’incurie de la classe dirigeante, la mollesse de notre jeunesse. L’alignement de l’Afrique tout comme son non-alignement m’écœure et j’en parle. L’hypocrisie hypnotique des définisseurs et défenseurs de l’ordre mondiale couplée aux débats intellectuellement poussiéreux du dimanche sur nos antennes par des docteurs-sait-tout sont chloroformant. Ce sont des thématiques contemporaines que j’aborde dans ce recueil sans prétention.

Dans votre poème « Seul avec Toi », vous lui parlez en ces mots : « […] Les âmes immaculées te louangeaient, / Les âmes impies aussi. / Trop obtus pour cerner autant d’acteurs en un, / J’ai abdiqué. / Voilà cher amour, mes logiques de la rupture […] Maintenant que personne ne nous épie, / Qui es-tu ? » (pp. 96-97) Ismaël Teta, quel est votre rapport avec Dieu ?

L’obséquieuse obligeance de nos peuples aux Dieux venus d’ailleurs avec des intentions avouées d’avilissement et d’exploitation me laissent quoi. Il serait bien qu’ils fassent d’abord et déjà la paix avec leurs Dieux et puis qu’on prenne rendez-vous pour discuter de l’amour, du bien et du mal!

Suis-je athée ? Je ne le crois pas – ma mère en mourrait. Je pense plutôt être apathéiste voir panthéiste. Parce que Dieu, je le vois partout et en toi (mon côté panthéiste) sans sentir la nécessité de lui prêter une attention particulière (ce que je pourrais assimiler à une indifférence apathéiste). L’humain est enquête d’ataraxie – de paix intérieure. Je la trouve dans l’écriture – elle est mon Dieu. Toi auprès de ton conjoint, de ton enfant, de la tombe de ton père…c’est ton Dieu de l’instant.

Peut-on être autant attaché à sa tradition et se revendiquer en même temps chrétien ? Autrement dit, la religion (occidentale) est-elle compatible aux us et coutumes africaines ?

Je préfère ne pas faire la langue de bois – je pense que les deux sont intellectuellement incompatibles. Le Dieu des chrétiens est un Dieu jaloux qui dans l’ancien comme dans le nouveau testament ne s’accommode pas de concurrents, de représentation, d’image taillée. C’est le Dieu des 10 commandements, un code pénal divin qui limite toute science, toute liberté, tout autre divinité. Le(s) Dieu(x) des traditions africaines sont pluriels : des arbres, des totems, des souffles et même des vivants. Ils sont accommodants, modelables et illettrés (ils n’ont jamais écrit ou dicté leur prescriptions) ce qui limite leur capacité à interdire et donne par ricochet une plus grande marge de vie libre à leurs disciples. Donc je ne crois pas à une compatibilité entre les religions monothéistes et les croyances polythéistes.

Etes-vous conscient que votre poésie est par endroit élitiste et par conséquent pas très accessible à tous ?

C’est le but…aussi ! faut me chercher pour me trouver. Je serais très déçu si un lecteur décelait toute la quintessence de ma poésie à la première lecture. Mais au-delà c’est le but de toute poésie à savoir créer et donc, il faut prendre le temps, voire son dictionnaire aussi pour comprendre « les œuvres de la création ».

Fondamentalement, que voudriez-vous qu’on retienne le plus de ce dernier recueil de poésie qui, faut-il le rappeler, explore plusieurs questions d’actualité et dignes d’intérêt ?

Je ne suis pas Élie ! Je n’ai pas de message particulier à véhiculer – j’apprécie la diversité des interprétations et des intérêts que j’ai des retours des lecteurs. Je me garderai bien de les orienter vers tel poème ou tel autre.

L’essentiel de vos livres sont autoédités, chez Afrolivresque notamment qui en fait la promotion depuis des années. Pourquoi préférez-vous l’autoédition ?

L’autoédition c’est la liberté – c’est l’auteur au cœur de son œuvre et non l’industrie littéraire. Afrolivresque est une maison d’accompagnement des auteurs que je recommande à tout auteur. L’édition classique a fait son temps, vieillit de sa longue vie et va mourir de sa belle mort. Certains auteurs et éditeurs la maintiennent encore sous assistance respiratoire…for how long ?

Pour sortir, comment faites-vous pour écrire et publier en dépit d’une intense activité professionnelles et académiques que l’on vous connait – avez-vous des projets à partager avec nous ?

Mon activité professionnelle est un frein à ma passion littéraire, mais j’aime tellement ce contact avec l’humain que représente mon travail. Heureusement je ne suis pas Daouda, le chanteur ivoirien qui voulait absolument choisir entre la plus jolie et la plus gentille. Je m’accommode bien de cette plurigamie et j’ai dans mes tiroirs plusieurs projets humanitaires en cours de rédaction notamment un qui vise à accroitre l’offre des soins oculaires gratuits aux enfants vulnérables, des projets de lutte contre la malnutrition dans les régions les plus pauvres – et l’accompagnement de la jeunesse camerounaise instruite dans notre programme innovant de stages au sein d’organisations internationales. Au plan littéraire, je m’essaie au roman et j’espère avant le crépuscule 2023 avoir commis ce genre !

Ismaël Teta, c’était un plaisir de vous recevoir !

 

Boris Noah