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[INTERVIEW] ‘Le patriarcat violent s’enracine au Sénégal avec l’onction du Code de la famille et des religieux’ (Ndèye Khaira Thiam, féministe)

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Psychologue clinicienne et criminologue, Ndeye Khaïra Thiam est avant tout une fervente militante féministe qui vit entre le Sénégal et la France. Elle intervient régulièrement auprès des instances nationales et internationales comme consultante. Elle était présente lors du Forum génération égalité qui s’est tenu à Paris du 30 juin au 2 juillet 2021. 

Même si le dernier rapport de la CEDEF (Convention sur l’Élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des Femmes) a salué en février dernier des avancées dans le traitement des salaires, l’accès à l’éducation et à des postes à responsabilité ainsi qu’à une parité au niveau politique avec une représentativité féminine accrue dans les institutions électives et semi-électives, l’égalité reste extrêmement loin d’être acquise. Certaines villes du Sénégal comme Touba se déclarant « ville religieuse » résistent obstinément à l’application des différentes règles de droit national et aux accords ratifiés par l’Etat.

Au Sénégal, République laïque, démocratique et sociale ainsi que le proclame encore l’article 1er de sa Constitution, le religieux tend à surpasser les pouvoirs institutionnels et le patriarcat s’enracine de plus en plus avec l’onction religieuse. L’inégalité entre les femmes et les hommes est à ce point ancrée dans les mentalités et institutionnalisée que les femmes peinent à accéder à leurs droits fondamentaux et principalement aux droits reproductifs. Le code de la famille n’est toujours pas remanié alors qu’il contient un nombre incalculable de dispositions discriminatoires contre les femmes. Les mariages de mineur.es, les mariages forcés et la polygamie pratiquée, au mépris même des règles islamiques, conduisent régulièrement à des problèmes de santé physique et psychique, notamment de santé mentale, allant jusqu’au suicide ou tentatives de suicides. L’avortement est toujours interdit et, seules, les femmes sont poursuivies pour néonaticide alors que l’article 14 du protocole de Maputo a été signé et ratifié par le Sénégal et n’est toujours pas appliqué en raison du véto des religieux et par manque de courage du gouvernement. Les chiffres de l’excision, des violences conjugales ou des viols n’ont toujours pas diminué voire, ont augmenté depuis la pandémie de Covid. En 2020, une loi a été adoptée criminalisant les actes de viol et de pédophilie. Néanmoins, les affaires présentées devant le juge sont très souvent correctionnalisées afin d’en minimiser les peines.

Comment expliquez-vous ces résistances dans l’application des lois nationales et supra-nationales, des recommandations de la Convention sur l’Élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des Femmes (CEDEF) et des différents accords internationaux en faveur de l’égalité F-H ?

L’ancienne ministre de la femme, l’ancienne directrice du genre et l’ancienne directrice de la famille ont toutes les trois soutenu l’idée que la polygamie n’était pas une forme de violence. Toutes les trois sont des secondes épouses. L’experte onusienne de l’Egypte a failli s’étrangler lors de la dernière réunion de la CEDEF quand celles-ci ont justifié la polygamie par la religion et la culture, sans aucune distance et sans égard pour toutes les femmes, première, seconde, troisième ou quatrième femme qui souffrent dans nos hôpitaux ou dans nos prisons. Sans non plus prendre en considération toutes celles issues de ces familles polygames qui ne veulent pas reproduire ce modèle ou d’autres encore qui ne partagent pas ces pratiques.

A côté de cela, de la police au juge, le taux d’attrition est une catastrophe car tout est fait pour que les victimes n’obtiennent jamais justice puisque c’est la culture du viol version féodale qui prévaut au Sénégal. Certaines associations féminines s’en défendent en arguant des formations ou des actions de sensibilisation qu’elles ont menées avec ces fonctionnaires. Il n’en demeure pas moins qu’au quotidien, on doit slalomer entre les services pour éviter aux personnes que l’on accompagne d’être revictimisées par des propos extrêmement violents ou une désinvolture dans le traitement des plaintes ou demandes des justiciables. Au surplus, les victimes n’ont pas d’aide juridictionnelle, tout est à leur charge alors que les présumés auteurs, eux, l’obtiennent. Rajoutons à cela, le traitement médiatique réservé aux affaires de viol qui est scandaleux ! L’intimité des victimes est étalée partout y compris au mépris du secret médical ou du secret de l’instruction. Devant la CEDEF, l’ancienne ministre avait dû reconnaitre qu’en deux ans il n’y avait que 14 dossiers de viol recensés devant les cours criminelles. Un juge nous a sorti lors d’un atelier de juristes sénégalaises « qu’on ne distribue pas des peines criminelles comme on distribue des bananes » alors que les dénonciations pour viol y compris sur mineures ne font que grimper. Rien qu’au mois d’octobre 2022, il y a eu une série de meurtres plus atroces les uns que les autres. En une semaine, il y a eu quatre féminicides, sans que cela n’émeuve le gouvernement sénégalais.

Une partie de la société civile est sous emprise de l’Etat voire simultanément à la tête de certaines associations travaillent pour l’Etat. Ce dernier les contrôle et ne présente que les rapports partisans de ces groupes aux instances internationales. Celles-ci ferment bien les yeux sur les réalités de terrain et font le jeu du gouvernement pour sécuriser d’autres intérêts. L’ancienne directrice d’ONU femmes est devenue, au dernier remaniement, ministre de l’Économie du gouvernement sénégalais.

Les défenseuses des droits des femmes comme les féministes sont régulièrement la cible d’agressions dans la réalité comme sur les réseaux sociaux. Rien n’est prévu de rapidement fonctionnel pour elles. Sans compter qu’elles subissent des pressions familiales énormes. Et rien n’est prévu non plus pour les aider à prendre soin de leur santé physique et surtout mentale.

La Sénégalaise n’a pas toujours été soumise. Il existait des matriarcats. Y a t’il actuellement un travail de recherche pour réhabiliter l’histoire des femmes en Afrique ?

Le matriarcat n’était pas un gage de liberté des femmes telle qu’elle est aujourd’hui réclamée. La parole des femmes était soumise à celle du frère ou du père, et l’exercice du pouvoir, s’il était bien d’origine matrilinéaire, l’attribuait en priorité aux hommes. Dans le royaume du Waalo, il a fallu un coup d’Etat d’une Linguère au 17/18e siècle pour que ses filles Njeumbet Mbodj et Ndaté Yalla Mbodj prennent le pouvoir.

Des recherches sur l’apport des femmes dans le matrimoine existent mais manquent parfois de rigueur scientifique ou sont totalement partisanes. L’histoire de l’Afrique noire a été remaniée pour des raisons politiques, par les colons qui se sont succédé. Nombre d’archives sont manquantes ou bien sont conservées en France et restent ainsi peu accessibles aux chercheuses et chercheurs sénégalais. C’est compliqué de reconstituer nos histoires en se soustrayant à celle imposée par les colons ou même à l’ethnologie coloniale qui fait encore recette de nos jours et qui nous encombre. Spécialement quand des Européen.nes viennent nous parler de nos histoires ou de nos cultures et cherchent à nous imposer une vision surréaliste de nos pays.

Les Sénégalaises ont toujours lutté pour leurs droits. Il y a eu des mouvements féministes dans les années 70 et 80 qui ont permis de mettre en débat certaines problématiques. En 2018, le #balancetonsaïsaï (pervers) a-t-il eu l’effet d’un raz de marée ? La société sénégalaise a-t-elle pris conscience des violences faites aux femmes ou continue-t-elle dans le déni ?

#balancetonsaïsaï n’a pas pris du tout au Sénégal. On a eu en revanche « l’affaire Songhé » qui a provoqué un énorme scandale. Pendant des jours et des jours, il y a eu des torrents de témoignages sur les viols. Ensuite, un petit groupe de femmes ont maintenu la pression sur les médias. Cependant, j’ai fini toute seule avec cette histoire, mes consœurs s’étant désistées par peur. On a continué à parler régulièrement des viols dans les médias jusqu’en 2019. Cette année-là, une série de viols suivie de meurtres ont été commis et tout le monde est descendu dans les rues pour crier notre ras le bol que ce soit à Dakar comme dans les autres régions du Sénégal. C’est officiellement cette dernière mobilisation qui a conduit à l’adoption de la loi contre les violences faites aux femmes. Mais en réalité, c’est surtout la personnalité de la dernière victime, fille d’un ami du chef de l’état, qui a fait que la loi a été rédigée et adoptée dans la précipitation. Malgré de nombreuses imprécisions, cette loi a le mérite d’exister… Mais à cette période, le mouvement féministe mort dans les années 80, n’était pas encore revenu de ses cendres. Il a fallu attendre 2020 pour qu’il y ait de plus en plus de femmes se déclarant féministes et 2021-2022 pour qu’elles commencent à s’organiser.

La société sénégalaise vit dans le déni de la gravité de sa violence de manière générale mais spécifiquement des violences vis à vis des femmes et des enfants. Les gens ne veulent pas se regarder en face et faire un travail individuel et collectif pour traiter l’Histoire et ses psycho-traumas mais aussi tous les autres psychi-traumas qui se transmettent d’une génération à l’autre dans les familles. Et ça il va falloir qu’on le fasse si l’on veut réguler d’abord les violences et faire de la place au cas particulier des violences faites aux femmes et aux enfants qui ont aussi des fondements patriarcaux (précoloniaux, arabo-musulmans et européens). De plus il va falloir faire un gros travail de déconstruction et c’est là aussi qu’on attend les féministes. Mais on va continuer à espérer…

Vous interviendrez à Paris les 26 et 27 novembre prochain à l’occasion de la 28ème université d’autonome de Ligue des droits de l’homme pour parler de féminismes africains. Quels sont ces féminismes et leurs défis ?

J’ai l’honneur de remplacer la Professeure Fatou Sow, une très très grande universitaire féministe. Je parlerai de ce que j’estime être un  » malaise dans le féminisme sénégalais  » actuel. Une manière d’abord, de parler de mon rapport au féminisme et à ce qui se fait ou pas au Sénégal et d’essayer aussi de pousser des féministes sénégalaises à intensifier sérieusement la lutte, à avoir le courage de prendre en charge certains sujets laissés en rade et à travailler de manière encore plus hargneuse à déconstruire les poncifs éculés qui tiennent la femmes sénégalaise esclave de l’homme sénégalais alors que l’esclavage est aboli au Sénégal depuis le 23 juin 1848. Il y a urgence aujourd’hui à changer radicalement le visage de la société sénégalaise. Des enjeux économiques et géopolitiques telles que la découverte du pétrole ou du gaz ainsi que la poussée islamiste qui est à nos portes menacent très sérieusement la stabilité du pays mais encore plus directement la vie des femmes sénégalaises.

Les mouvements féministes sénégalais reçoivent-ils l’appui de la diplomatie féministe, stratégie internationale luttant pour l’égalité F-H en appliquant les mesures adoptées par le G7 et le Forum Génération Egalité ?

Je ne sais pas ce que vous appelez la « diplomatie féministe ». Ce qui déjà est en soi signifiant de l’insignifiance de cette « diplomatie » dans nos pays. Il y a des institutions internationales qui gravitent autour de certaines féministes dans le but de capter leur énergie et de la mettre à profit de leurs propres objectifs. C’est-à-dire la schizophrénie diplomatique qui veut l’égalité sans la vouloir vraiment dans les faits en se cachant derrière le non-interventionnisme dans les politiques des pays concernés, qu’ils financent par ailleurs pour ces questions. Pffff ! Les féministes ont démarré leur lutte sans ces institutions et d’autres groupes sont morts à cause de ces mêmes institutions. Vous me permettrez donc d’étaler ma parano à la face du monde quand on me parle d’institutions internationales ou de « diplomatie féministe ». Au Sénégal, les diplomates femmes que nous avons tout comme les quelques rares femmes ministres par exemple, n’ont rien de féministes. Et je parle aussi à celles qui se revendiquent « plus féministes » que les féministes sénégalaises. A bon entendeur ! Elles sont les bonnes garantes du patriarcat qui les salue dès qu’il peut pour leurs bons et loyaux services et qui sont surtout en charge de faire rentrer les récalcitrantes dans le rang. A ma connaissance, il n’y a qu’une seule personne dans le gouvernement qui appuie réellement les féministes dans certaines de leurs actions. A elle seule, elle ne peut pas représenter toute la diplomatie. Il serait nécessaire que les femmes sénégalaises jouent davantage des coudes pour s’imposer comme un contre-pouvoir. Elles ont l’avantage numérique et le cuir plus dur au mal. Qu’elles rompent avec la peur d’être mal vues ! Evidemment que vous serez mal vue par ceux que votre liberté et votre leadership réel (pas celui des grands hôtels ou sommets internationaux) effraient car il risque de leur faire perdre leurs petits avantages de despotes. 

Entretien préalablement paru dans 50-50 Magazine

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