[INTERVIEW] Sadibou Marong(Rsf) : « Le Sénégal et les pays voisins deviennent des pays de non-information »

Tract-Journaliste : qui sont « les ennemis de la presse », comme vous le dites, dans les pays ciblés ?

Sadibou Marong : Les bandes armées d’abord. Ce sont elles qui détruisent les radios communautaires, que ce soit du Niger, du Burkina Faso ou bien du Mali. C’est également elles qui imposent leur agenda, pour écouter des prêches au lieu de la musique. Ce sont également les bandes armées qui enlèvent les journalistes, les animateurs des radios communautaires, notamment ceux et celles qui ne respecteraient pratiquement pas leurs consignes, ou bien en tout cas leurs messages clé.
Il y a aussi des juntes, qui font de plus en plus d’actions assez hostiles pour la liberté de la presse, le droit à l’information. Aujourd’hui, la question du « traitement patriotique de l’information », théorisée dans un pays comme le Mali, commence manifestement à faire florès avec des injonctions : ce narratif pro-junte mixé à du narratif également pro-russe. Ce qui arrange un peu la junte, c’est qu’au lieu de parler du personnel de Wagner, ils préfèrent parler de « nos collaborateurs ».

Donc il y a de groupes armés, les États, mais aussi de plus en plus des citoyens, notamment sur les réseaux sociaux ?

Dans le cadre de notre enquête, nous avons assisté à ce qu’on appelle l’émergence des comités de défense des militaires : des citoyens ou souvent des militaires qui sont très proches des juntes et qui ont des moyens pour envahir les réseaux sociaux, critiquer les journalistes, et souvent même faire pression sur les autorités. On a vu, par exemple dans le cadre du Mali, que ces comités de défense des militaires sont allés jusqu’à demander l’expulsion d’un certain nombre de correspondants étrangers.
Mais dans un contexte de guerres, de menaces contre l’intégrité territoriale, que pensez-vous des arguments des autorités qui font valoir la stabilité du pays, la lutte contre le terrorisme ?

En réalité, dans ces contextes disons de riposte des armées républicaines aux attaques terroristes, il y a souvent beaucoup d’abus, beaucoup de violations des droits humains et elles ne veulent pas que ces exactions, souvent violentes, soient documentées par des médias indépendants. C’est le cas au Mali, c’est le cas récemment au Burkina Faso.
Au Burkina Faso, justement, nos consœurs de Libération et du Monde ont été expulsées.

Qu’en est-il des journalistes burkinabè sur le terrain ? Comment travaillent-ils au quotidien ?

Il y a de la résilience chez les journalistes burkinabè qui tiennent à rester journalistes, malgré le contexte difficile – souvent, ce sont des convocations… Le souci qu’on peut avoir c’est : est-ce que ça ne va pas aussi développer de l’autocensure chez les confrères burkinabè ? Et puis, ne pas oublier aussi que pendant très longtemps, le Burkina a quand même été un pays où il y a eu une liberté de la presse vraiment foisonnante en Afrique pendant plusieurs années, c’est le pays de Norbert Zongo, c’est le pays où quand même ça bouillonnait.

Vous faites le parallèle entre la situation actuelle au Burkina et celle qui prévaut au Mali ?

Ce qu’il s’est passé au Mali est en train pratiquement de se reproduire au Burkina Faso, contre des médias internationaux, dont RFI et France 24… On dirait presque que le Burkina est en train d’apprendre des faits et gestes du Mali.

Au Mali, toujours, le journaliste français Olivier Dubois a été libéré le 20 mars dernier. Mais il faut rappeler que d’autres journalistes maliens restent portés disparus là-bas…

Oui, nous saluons la libération d’Olivier Dubois et nous pensons fort aux autres journalistes, Moussa M’Bana Dicko, Hamadoun Nialibouly. Nous pensons que ce sont des enlèvements, mais nous n’avons pas connaissance encore d’une revendication d’un quelconque groupe. Mais on sait déjà que l’un et l’autre avaient été menacés parce qu’ils travaillent dans des radios communautaires dans le centre du pays. Dans le cadre de leur travail, ils ont eu à parler un peu des groupes armés terroristes.
Le rapport pointe aussi la restriction de l’espace de reportage, et vous prenez notamment l’exemple du Bénin, c’est ça ? La zone nord du pays ?

Il y a eu des cas d’arrestations, des journalistes qui étaient en mission au nord. C’est une zone qui est frontalière avec des pays en proie à des conflits, et souvent on assiste à des incursions de groupes armés. Et les autorités béninoises ne souhaitent pas que les journalistes accèdent à ces zones, ne le motivent pas également et ne donnent pas les raisons officielles.

Malgré ce tableau assez sombre, il y a des initiatives qui sont mises en place par des journalistes au Sahel. Quelles sont ses initiatives de résilience, comme vous les appelez ?

Nous avons visité, par exemple, des studios comme Yafa à Ouagadougou, qui est en mesure d’entretenir beaucoup de partenaires dans des zones extrêmement reculées, en travaillant en collaboration avec des radios communautaires. Les studios Kalangou aussi au Niger. Au Mali, il y a Tamani. Il y a également des initiatives de lutte contre la désinformation, que ce soit Africa Check, Mali Check, que ce soit au Tchad des petites formations à l’attention des journalistes et également des activistes et des journalistes citoyens. Ça, cela nous semble important.