Le paradoxe Mimi Touré : indispensable à Macky, mais trop clivante aux yeux du public

SENtract – Trop dangereuse et battante pour être laissée longtemps en rade, Aminata Touré est aussi clivante, dépourvue d’ancrage et de base électorale pour mener la barque APR et BBY vers des victoires. Malgré ses revers électoraux, elle n’est jamais trop loin pour jouer les premiers rôles dans l’État.

C’est le genre de partenaire qu’il vaut toujours mieux avoir avec soi que contre soi. Fidèle et loyale en mariage, elle peut être redoutable, en cas de divorce. Elle, c’est Aminata Touré, ancienne Ministre de la Justice, ancienne Première ministre, ancienne Envoyée spéciale, ancienne Présidente du Conseil économique, social et environnemental, tête de liste de la majorité présidentielle aux dernières élections législatives de juillet 2022. Souvent touchée, elle a toujours lutté de toutes ses forces pour ne pas couler. Malgré ses nombreuses défaites électorales, Mimi continue de se positionner comme un des piliers dont le président Sall pourrait difficilement se passer. Bien que l’intention lui ait été souvent prêtée. À chaque fois qu’il la promeut, c’est pour la limoger. Quand il la limoge, c’est pour la reprendre. Comme cet époux qui a du mal à digérer les défauts et carences de sa conjointe, mais qui ne peut se passer d’elle. Soit parce qu’elle sait beaucoup de choses, soit parce qu’elle est indispensable, soit parce qu’il l’aime éperdument pour s’en séparer.

Au sortir des dernières élections législatives, ils étaient nombreux à la donner pour morte, en raison de la dégringolade historique de la majorité dont elle avait la redoutable mission de mener à la victoire. Alors que certains s’attendaient à sa mise à mort, Mimi se permet même de se positionner comme Première ministrable ou parmi les favoris pour la présidence de l’Assemblée nationale. Déjà, les comités de soutien ne manquent pas à la dame dite de fer.

Responsable à Benno Bokk Yaakaar et au Parti de l’indépendance et du travail, Ibrahima Sène en est un porte-étendard. Sur sa page Facebook, récemment, il dressait le portrait-robot du profil qui doit diriger la prochaine Assemblée. ‘’Pour permettre un fonctionnement régulier de l’Assemblée nationale, dans le respect strict de son règlement intérieur, plaidait-il, il faudrait un homme ou une femme de poigne, doté (e) d’une grande expérience politique pour faire face efficacement à l’inculture politique du groupe perturbateur (l’opposition), d’une carapace en acier, pour ne pas être troublé (e) par les incivilités de ce groupe et d’une main de fer pour faire respecter strictement le règlement intérieur et faire régner l’ordre au sein de l’hémicycle, avec le concours des forces de défense et de sécurité affectées à l’ Assemblée nationale’’.

Le costume de présidente de l’Assemblée nationale lui va-t-elle ?

Un boubou sur mesure pour l’ancienne première ministre, malgré ce qui s’apparente, pour bien des observateurs, à une cuisante défaite. Pour sa part, Ibrahima Sène s’interroge avant de répondre lui-même à sa question : ‘’Qui a un tel profil au sein de la nouvelle majorité présidentielle ? Assurément, la tête de la liste proportionnelle de BBY y répond le mieux !’’

Ainsi, Mme Aminata Touré, selon l’analyse ainsi faite (sa propre analyse) pourrait être la prochaine présidente de l’Assemblée nationale !

Voilà Mimi. Même quand elle perd, elle reste forte, respectée et crainte. Rares sont ceux qui osent s’en prendre ouvertement à elle au sein de Benno Bokk Yaakaar. C’est cela sa force, qui supplante toutes les insuffisances qu’elle peut bien trainer, en particulier le manque criant d’ancrage social et de base électorale qui lui a valu une carrière en dents-de-scie.

Ministre de la Justice dans le premier gouvernement de Macky Sall, elle fut d’abord promue Première ministre. Première ministre, elle est ensuite limogée au bout de 10 mois seulement. Après quelques mois de traversée du désert, elle est nommée au modeste poste d’Envoyée spéciale. Il aura fallu attendre jusqu’après la réélection du président Sall pour la voir à nouveau dans les bonnes grâces du chef. Promue présidente du Conseil économique, social et environnemental en mai 2019, elle est encore limogée au bout de 18 mois environ.

Comme à son habitude, l’ancienne garde des Sceaux n’avait pas manqué de manifester publiquement son mécontentement. Aussi, avait-elle multiplié les sorties médiatiques qui étaient rarement tendres pour le président. Chez Mimi, il y a quelque chose d’assez ‘’appréciable’’ de ne plus être aux affaires. Dans une interview accordée à ‘’Jeune Afrique’’ suite à son limogeage, elle comparait la vie sans fonction et la vie au sommet du régime. ‘’Les fonctions dont vous parlez, affirmait-elle, permettent de faire évoluer les choses, même si elles s’accompagnent bien sûr de contraintes, comme le devoir de réserve. Mais lorsqu’on les quitte, on retrouve une liberté de parole qui est appréciable. Dans les deux scénarios, les principes que l’on défend restent identiques’’.

Dans le même entretien, la nouvelle députée rappelait avec force sans même qu’on le lui demande : ‘’Avant la Présidentielle de 2012, j’étais fonctionnaire internationale aux Nations Unies, à New York, avec rang de directrice, quand j’ai pris la décision de venir soutenir un opposant – ce qui n’est pas si courant. Je l’ai fait par conviction, sachant que la victoire de Macky Sall était loin d’être écrite à l’avance…’’

Cela dit, malgré ses atouts non négligeables, Mimi n’en est pas moins un boulet, à cause de son bouillant caractère, ses ambitions qu’elle a toujours assumées, ainsi que sa nature clivante. En 2020, alors qu’elle venait fraichement d’être débarquée du Cese, elle ne s’était pas gênée de décocher des flèches contre le néo-allié de son leader qu’elle accusait d’être trop resté sans travailler. Pis, elle n’avait même pas un mot pour le président de la République et son successeur lors de son discours d’adieu.

En outre, dans un contexte où l’on prêtait déjà au président de la République de vouloir couper la tête de tous ceux qui, dans son entourage, nourrissent des ambitions, elle affirmait sans hésitation : ‘’En politique, l’ambition n’est pas un délit ; au contraire. Dans un système politique concurrentiel, on ne reste pas assis à regarder passer les trains. Un politicien sans ambition, c’est un politicien qui ne vous dit pas la vérité.’’

Position tranchée sur le troisième mandat

‘’Bien sûr, encore faut-il que cette ambition ne soit pas dévorante et ne vous conduise pas à la déloyauté. Mais elle est le signe qu’on souhaite passer à une étape ultérieure, pour être encore plus utile au pays. Personnellement, je suis pour qu’on célèbre l’ambition saine. Concernant les ministres qui ont quitté leurs fonctions, c’est à eux de définir comment ils se projettent pour la suite’’.

A la question plus directe de savoir si elle nourrit une ambition présidentielle, elle servait une réponse politique : ‘’Nous en parlerons en temps voulu. J’ai déjà dit que ce débat me paraissait prématuré. Tant de défis se posent à nous, notamment avec cette pandémie, qu’on ne va pas faire de la politique du matin au soir pendant les trois prochaines années. On peut s’exprimer sur des positions de principe, on peut rassembler ses amis comme on le souhaite, mais les ambitions politiques des uns et des autres ne sauraient devenir l’activité numéro un du pays, comme s’il s’agissait de sa production nationale brute.’’

Par ailleurs, Aminata Touré, c’est également une position très tranchée sur la question de la troisième candidature. Lors d’une conférence organisée par le NDI en décembre 2020, juste après son limogeage, elle expliquait que le Sénégal, suite aux choix constitutionnels effectués lors du référendum du 20 mars 2016, a modifié sa Constitution en limitant les mandats présidentiels à deux consécutifs. ‘’Le président Macky Sall réélu le 24 février 2019, a affirmé à de nombreuses reprises qu’il effectuerait son second et dernier mandat notamment le 31 décembre 2018. Donc, au Sénégal, la question est derrière nous, comme je l’ai déjà dit à diverses occasions’’, tranchait-elle net. Pour elle, ce qui est attendu partout sur le continent et partout ailleurs, c’est le respect des constitutions et de la volonté des peuples.

‘’Il y a de nombreux success-stories et il faut les encourager. En Afrique de l’Ouest, les exemples récents du Niger, de la Mauritanie, du Liberia, de la Sierra Leone, du Cap-Vert parmi d’autres cas sont à saluer… Depuis 1990, Il faut noter que 21 leaders ont sagement quitté le pouvoir dans 14 pays africains, grâce à la disposition de la limitation de mandats. Ce qui prouve qu’il peut y avoir une vie paisible après la présidence. La limitation des mandats est un moyen important de faciliter l’alternance au pouvoir sur le continent. Son respect est aussi, de nos jours, un moyen de quitter le pouvoir avec les honneurs’’. Relancée par ‘’JA’’ sur cette même sortie, elle assumait : ‘’Je n’ai pas attendu d’avoir quitté le Cese pour l’affirmer : je l’avais dit avant la réélection du président Macky Sall, je l’ai redit avant d’être nommée au Cese, puis à nouveau pendant que j’exerçais cette fonction et je vous le confirme aujourd’hui. Macky Sall a assuré, à plusieurs reprises, qu’il ne briguerait pas un troisième mandat. Je n’ai fait que le rappeler. Les dispositions adoptées en 2016 sont d’ailleurs claires sur ce point : il suffit de relire l’article 27 de la Constitution : ‘Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.’’’

Au-delà de cette question, Aminata Touré est aussi un obstacle majeur à toute volonté de matérialiser les retrouvailles libérales, surtout avec le Parti démocratique sénégalais. En effet, les libéraux du PDS lui ont toujours reproché et lui reprochent encore d’être à l’origine de tous les peines et assauts contre leur leader et candidat Karim Wade. Dans un contexte où les retrouvailles libérales sont de plus en plus agitées, cette hostilité pourrait aussi peser en sa défaveur.

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