‘Le projet dictatorial et solitaire’ du ministre Aliou Sow (un Fespaco bis à Dakar), dénoncé par les cinéastes Ousmane William Mbaye et Moussa Touré : ‘Ce sera sans nous!’

Tract – Le successeur au ministère de la Culture du cigarettier de Sédhiou, Abdoulaye Diop; on a nommé le Docteur en littérature anglaise Aliou Sow, veut lancer un Festival international du cinéma et de l’audiovisuel du Sénégal (Ficase), écrit Le quotidien Le Témoin dans son édition de ce jeudi 16 mars, sous la plume de sa journaliste Zaynab Sangaré. Une resucée du Fespaco burkinabé, après qu’Aliou Sow ait enterré en catimini les Recidak créés par Annette Mbaye D’Erneville et rétrocédé après 9 éditions à l’Etat Sénégalais. Une démarche du ministre de la Culture et du Patrimoine historique, effectuée sans aucune concertation avec les cinéastes sénégalais. 

En lieu et place des Rencontres cinématographiques de Dakar (Recidak) dont la dernière édition remonte à 2018 et qu’il avait promis de ressusciter cette année lors d’une concertation avec les associations professionnelles du cinéma en octobre dernier, le ministre de la Culture et du Patrimoine historique, Aliou Sow, a sorti de son brillant esprit un autre festival pour juillet 2023. Il promet de trouver un frère siamois au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) à travers ce qu’il a d’ores et déjà appelé le « Festival internatio nal du cinéma et de l’audiovisuel du Sénégal (Ficase). Une idée qui est loin de faire l’unanimité au sein des cinéastes nationaux dont certains regrettent l’absence de concertation avec les acteurs du cinéma sur ce projet. Ils soutiennent n’être pas informés et assurent que ce festival sera organisé sans les vrais cinéastes qui devraient être au cœur de l’événement. Les réalisateurs Ousmane William Mbaye et Moussa Touré, président de l’Association des cinéastes sénégalais associés (Cineseas) livrent ci-dessous leurs réflexions sur le cinéma sénégalais et le projet de festival du ministre Aliou Sow.

Au départ, l’idée était de ressusciter les Rencontres Cinématographiques deDakar (Recidak). Un grand rendez-vous cinématographique initié alors par Mme Annette Mbaye d’Erneville. Nées d’une initiative privée dans les années 90, les Rencontres Cinématographiques de Dakar (RECIDAK), d’abord soutenues puis portées par l’Etat, avaient fini de faire l’unanimité autour de deux facteurs, piliers de son succès:la qualité de l’organisation et la richesse de sa programmation. Des professionnels du 7e Art venus de tout le continent, et même au-delà, se retrouvaient à Dakar pour célébrer l’image dans tous ses éclats et toute sa brillance. Des compétitions dotées de prix, des projections tous azimuts, un colloque, des expositions offraient au public un large panorama de lecture des tendances esthétiques du cinéma mondial en général et africain en particulier. Portées par la grande dame Mme Annette Mbaye d’Erneville, une des premières journalistes du pays, qui avait tant choyé son bébé, les Recidak avaient finalement été rétrocédées à l’Etat pour leur pérennisation.

C’est ainsi qu’une dixième édition s’était tenue en novembre 2018, l’Etat jurant vouloir assurer la régularité de cette manifestation, puis plus rien.

Nommé ministre de la Culture au lendemain des dernières élections législatives, M. Aliou Sow a émis l’idée de ressusciter les rencontres cinématographiques en 2023. Puis, il y a quelques semaines, l’idée d’un autre festival a germé dans sa tête. Il s’agit du Festival international du cinéma et de l’audiovisuel du Sénégal (Ficase). Une sorte de clone du pluri-décennal Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Suprême manque de tact, le ministre a fait l’annonce de ce futur festival au Burkina Faso lors du dernier Fespaco, il y a quelques jours.

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Sur la situation du cinéma sénégalais, Ousmane William Mbaye, fils d’Annette Mbaye d’Erneville, souligne d’abord le combat mené auprès des Canadiens et des Français avec le défunt président des Cinéastes sénégalais associés, Cheikh Ngaïdo Bâ. Sous la houlette de ce dernier qui était à l’époque le président de la coalition pour la diversité culturelle, ils avaient lutté pour faire passer la loi pour la diversité culturelle à l’Unesco.

Ousmane William Mbaye rappelle que le cinéma sénégalais existe depuis plusieurs décennies. Mais il a perdu énormément de jeunes talents dont Ahmed Diallo, Bouna Médoune Sèye etc. « En tant qu’homme de culture, je voudrais dire qu’il y a autre chose qui a précédé Sembene Ousmane, Djibril Mambety Diop. C’est le grand Cheikh Anta Diop. Parce que le cinéma africain du 21e siècle, c’est le cinéma de la diaspora. Et le cinéma negro africain sera résolument Cheikh Anta Diop. La découverte de ce que Cheikh Anta Diop nous a proposés pendant tout son temps de chercheur, de scientifique et d’universitaire à la tête de ce département qu’il a créé de toutes pièces. Malgré les volontés qui étaient pénibles de l’Occident et par le silence de Léopold Sédar Seghor, Cheikh Anta Diop est aujourd’hui à la tête de toutes les idées nouvelles de l’Afrique », a insisté Ousmane William Mbaye.

Ainsi, il indique que le cinéma doit reprendre cela si les Sénégalais ont l’opportunité d’y participer. D’après cet éminent cinéaste qui a gagné plusieurs prix internationaux, les Africains sont en retard. Ce alors que les Noirs américains, les Latinos noirs américains y sont depuis longtemps. « La diaspora qui est en Europe y pense. Donc, il est incontournable ».

Il faudrait plutôt un Festival mondial du cinéma à Dakar! Si Ousmane William Mbaye se félicite de l’idée d’un festival à Dakar, il se désole d’une reproduction d’un Fespaco bis. « Je suis désolé, c’est trop petit. Ce n’est pasle but. Il faudrait aujourd’hui qu’on pense à un festival mondial du cinéma à Dakar pour faire la différence. L’Occident a eu à dire ce qu’il a à dire, l’Asie y est depuis plusieurs décennies. Alors que les Africains restent les nouveaux venus.Nos tournages, nos histoires vont de plus en plus intéresser le monde.

L’Afrique a beaucoup de choses à proposer.Mais il me semble qu’il est important d’y penser avant que les autres ne le fassent à notre place », indique Ousmane William Mbaye. Qui précise que l’activité cinématographique de Dakar est vieille de plusieurs décennies. Le cinéma était au Sénégal au début en même temps que le cinéma en Europe. « J’allais au cinéma au début des années 50.Mais ce cinéma était géré parles Européens. Il y avait la SECMA et la COMACICO, deux entités qui géraient le cinéma en Afrique. Elles proposaient des films dans des lieux de visionnage appelés salles de cinéma. Mais toutes les recettes de ces activités cinématographiques allaient en France qui nous louaient des films », se rappelle l’auteur de « Pa Bi », un documentaire sur Mamadou Dia, le premier président du Conseil de gouvernement du Sénégal.

Selon lui, il faut vraiment un cinéma qui nous rapporte. Le cinéma, précise-t-il, est une industrie avant d’être autre chose. Et une industrie veut dire une série qui vise le plus grand nombre. «Un film peut rapporter entre dix millions et 100 millions de dollars. On peut prendre l’exemple du Titanic. Je ne peux pas comprendre pourquoi on ne peut pas faire fleurir cette industrie au Sénégal. C’est peut être la première manière d’assoir les Sénégalais vers un bien commun qu’on se partage tous. Si je mets 1000 FCFA/ jour pour aller voir un film, ces 1000 F CFA vont revenir à nos fils qui sont cameramen, cadreurs, preneurs de son ou exercent un des mille métiers du cinéma. Il faudrait que le cinéma puisse mettre à l’affiche des films du Sénégal et d’Afrique. Car charité bien ordonnée commence par soi-même », instruit-il.

Ousmane William Mbaye est revenu sur le combat mené auprès des Canadiens et des Français avec le défunt Cheikh Ngaido Ba alors président de la coalition pour la diversité culturelle. Ensemble, ils avaient lutté pour faire passer la loi pour la diversité culturelle à l’Unesco. « Avant, quand vous passiez aux Champs Elysées, à Paris, poursuivre, il n’y avait à l’affiche que des films américains, français et canadiens. Ces derniers voulaient que leurs films passent en premier.On a lutté pour réussir leur cause »,rappelle-t-il. Tout en rendant hommage à Cheikh Ngaido Ba, Ousmane William Mbaye exige un débat utile et nécessaire etrecommande auministre Aliou Sow d’appeler les hommes de culture à ce débat et, surtout, d’éviter l’empressement.

Moussa Touré : « Ce festival se fera sans les cinéastes que nous sommes »
Quant à Moussa Touré, actuel président de l’Association des cinéastes sénégalais associés (Cineseas), ilse désole de la démarche « unilatérale » du ministre de la Culture. Il rappelle que M. Aliou Sow leur avait demandé de préparer un festival du Cinéma pour le Sénégal.

Mais, à leur grande surprise, selon lui, il a fait cette annonce sans aucune concertation avec les acteurs du cinéma. Frustrés, ces derniers disent déplorer une démarche solitaire du ministre qui, après leur avoir demandé des propositions de faisabilité de cet évènement, a fait dans la précipitation. C’est pourquoi, M. Toure pense que même si ce Ficase devait se faire, il se ferait sans eux. «Nous ne savons pas avec qui il l’organise.Mais ce n’est pas avec nous les cinéastes. La dernière fois qu’on en a parlé, le ministre nous avait demandé de lui faire une proposition pour un festival. On lui a écrit. Mais son projet de festival, on l’a su de la même manière que tout le monde. Nous, Association des cinéastes sénégalais associés, c’est hier (Ndlr, le lundi 06mars 2023) qu’on a appris cela. On n’a pas été informés », regrette Moussa Touré.

Le président des Cineseas est d’avis que le problème du cinéma sénégalais, c’est qu’il n’est pas fait avec les cinéastes,mais avec le Bureau du cinéma logé au ministère de la Culture, le Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (FOPICA) et le ministère. « C’est eux qui décident de quel film doit passer, quel scénario est bon. A Ouagadougou, c’était un échec. On est revenu bredouille. Tous les pays s’en sont sortis avec des médailles, sauf nous. Le choix n’est pas fait par des cinéastes. Le cinéma commence par une lecture de scénarii. Depuis 2017, personne ne lit les scénarios. L’argent est donné au gré. C’est eux qui prennent ton scénario et te disent qu’on te donne de l’argent », déplore-t-il.

Moussa Touré révèle que le maximum que le FOPICA donne pour les films sénégalais varie entre 70 millions et 150millions de F CFA alors
qu’il a donné au cinéaste français Oumar Sy 150 millions de F CFA sur l’argent du cinéma sénégalais. « Moussa Sène Absa a reçu 70 mil-lions, le réalisateur du « Le mouton de Sada » n’a rien reçu. Le réalisateur a évoqué le sujet à Ouaga », indique Moussa Touré se faisant le porte-voix des acteurssénégalais du 7ème art. Il déplore que le cinéma soit géré par des politiciens, des diplomates dont le directeur de la Cinématographie qui ne connaît rien du cinéma. « Ils vont te dire que j’ai été là pour regarder. Depuis 2017, il n’y a jamais eu de réunion pour voir si un scénario est bon ou non. Ce sont eux qui décident.On était 84 personnes pour 12 films au Fespaco. Si on calcule, il n’y avait pas 20 cinéastes. Tous les autres sont dans le Bureau du cinéma, au ministère.
Presque tous en dehors du cinéma. Ce ne sont pas des acteurs du cinéma. Le problème est là », éructe le cinéaste Moussa Touré.

Concernant le projet d’un festival, il estime que faire la même chose que le Fespaco ne serait pas une meilleure entreprise.Mais, parfois, estime-t-il, avec des brebis galeuses motivées par leurs intérêts, tout est possible. « Ils vont faire de ce festival un jouet. Ce n’est pas possible de préparer un festival international d’ici juillet. Nous, on est dans tous les festivals du monde. Le festival deOuagadougou se prépare tous les deux ans. Mais, on comprend qu’il (Ndlr, le ministre Aliou Sow) veuille des résultats politiques à présenter au Président de la République surle dos des cinéastes »,soutient M. Touré. Le réalisateur promet une conférence de presse dans un avenir proche et réclame un audit de l’argent du cinéma géré par laDirection de la Cinématographie tout en se désolant de la composition de la délégation sénégalaise au Fespaco. Prenant l’exemple de sa prise en charge hôtelière, estimée 589 000 FCFA, il demande de faire le calcul pour une délégation des 84 personnes. Autant dire que c’était la bamboula à Ouaga. Une habitude bien sénégalaise.

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