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[Lettres dissidentes, N°2] « De quoi les succès de l’opposition sont-ils le nom ? » (Par Gorgui Kafindia)

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SENtract – Les oppositions accèdent en force à l’Assemblée nationale et c’est historique ! De mémoire de sénégalais, il n’est pas d’exemple similaire dans l’histoire récente de la vie politique de notre pays. Une quasi-cohabitation. Une majorité absolue certes mais, les connaisseurs de la chose politique en sont convaincus, quand une majorité est aussi mince, elle peut basculer, dans un sens ou dans l’autre, à tout moment.

Si ce fait est inédit, les ressorts qui l’ont rendu possible reposent, quant à eux, sur des mécaniques assez simples. En effet, la montée en puissance des oppositions, amorcée depuis les élections locales et consacrée par les résultats des deux formations politiques d’oppositions que sont YAW et Wallu Sénégal, a été facilitée par un certain nombre de phénomènes dont ils ont su tirer avantage. Nous pouvons citer, en désordre, la simplification du discours politique, l’avènement – dans les médias mainstream et online – du complotisme décomplexé ainsi que la stratégie de délégitimation des dirigeants en place et, enfin, l’abaissement, pour ne pas dire l’affaissement, du niveau général du débat public.


La simplification du discours

Pour ce qui est de la simplification du discours politique, il procède de la conception d’éléments de langage expliquant des phénomènes particulièrement complexes par un ou deux arguments : l’incompétence des dirigeants et leur absence de patriotisme. Il s’appuie aussi sur leur diffusion coordonnée par des voix capables de l’expliquer aux gens du commun. Par exemple, au sujet de l’inflation actuelle, dont l’acmé est le renchérissement du prix des denrées de première nécessité, qui peut ignorer que la crise ukrainienne a eu un impact sur l’ensemble des intrants des produits que nous consommons ?

Que ces derniers soient fabriqués localement ou importés, le résultat est le même. La dépendance aux exportations ukrainiennes et russes demeure un problème d’importance, pas seulement pour le Sénégal d’ailleurs, mais pour l’ensemble du continent. Qu’il s’agisse des produits agricoles, de l’énergie ou des matériaux nécessaires à la production d’infrastructures sur le continent, depuis 2016, les productions russes et ukrainiennes pèsent pour environ 45 % du total des importations, 30 % pour l’orge, 20 % pour le maïs. Pour les huiles de tournesol, c’est 45 %. Et ces produits représentent 35 % des biens alimentaires importés sur le continent.

Il s’y a joute que le fret maritime et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement sont le résultat de deux événements majeurs qui sont venus soudainement bousculer les cartes : d’une part la guerre en Ukraine mais aussi les confinements successifs en Chine. C’est à ces deux phénomènes que nous devons les incertitudes dans l’industrie du transport maritime, et pour le secteur particulier marchandises transportées par container.

Malgré ces faits, notoirement connus, les partisans des oppositions, ont fait le choix de comparer les prix de 2012, année d’accession du président Macky Sall au pouvoir, aux prix actuels. S’il est exact, que sur la période considérée, le litre d’huile est passé de 600 à 1.300 francs CFA, le sac de riz de 50 kg de 12.000 à 15.000 FCFA, entre autres, la rigueur et l’honnêteté commandaient de préciser que les contextes ne sont définitivement pas les mêmes.

A leur décharge, les tenants du pouvoir actuel, dans leur quête du pouvoir, en perspective des élections de 2012, ont usé des mêmes ficelles, en posant, par exemple, qu’il n’était pas admissible que le carburant coute moins cher au Mali qu’au Sénégal en dépit du fait que le Mali ne disposait pas de port.


L’installation d’un complotisme décomplexé

Ensuite, nous avons un phénomène qui, d’insidieux au début, devient de plus en plus décomplexé : le complotisme. La faconde, la morgue et la suffisance avec laquelle des animateurs, des humoristes et même des vendeurs de poudre de perlimpinpin, reconvertis en journalistes, ou cherchant à se faire passer pour tels, font de l’analyse politique, comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. Ces experts en tout, surtout en critique virulente des actes que posent le gouvernement et ses membres dans la gestion de l’État, connaissent un succès à aucun autre pareil dans les médias acquis à leur cause. Je veux parler de Walf, Sentv, et autres sites comme Dakar Matin, Kewoulo, pour ne citer que les plus emblématiques. Et j’en oublie sûrement.

Une des plus grandes réussites de ces officines, c’est la facilité avec laquelle des complots sont présentés comme la raison ultime des choses. Les élections législatives qui viennent de s’achever ont vu les oppositions avoir recours plusieurs fois à la théorie du complot. Lorsque la liste départementale de YAW à Dakar est rejetée. Idem, lorsque celle nationale de leurs titulaires est invalidée. Lorsque la liste des titulaires au niveau national de BBY est maintenue en même temps que celle des suppléants, est rejetée. Quand les manifestations sont interdites. Quand des gens sont arrêtés sur le motif de subversion. Chacune des nominations, chacun des décrets, chacun des discours et le moindre post ou tweet sont épinglés, disséqués pour trouver un argument de nature à dévoiler un complot, lui-même élément d’un autre complot qui participe au complot ultime : empêcher « le » candidat du peuple de prendre le pouvoir ! Cette démarche est désormais systématique et plus personne ne s’en cache parmi les membres de ce qu’il faut bien appeler une conjuration. Le Cap Skiring, il y a quelques semaines, a abrité l’une de ces réunions avec la cohorte des conjurés. Les photos qui ont été diffusées sur la toile montrant, dans une ambiance bon enfant, des juristes, des animateurs, des chroniqueurs, des journalistes, des anciens fonctionnaires, des hommes politiques et des hommes politiques se sont retrouvé pour une réunion dont l’ordre du jour n’a pas été communiqué mais dont on peut se douter qu’il y était question de stratégie. Ce fait aurait pu passer inaperçu si, une proportion significative des acteurs cités plus haut, n’oubliaient pas, au moment de prendre la parole dans l’espace, d’indiquer à l’audience qui les suit, qu’ils ne sont pas impartiaux et que leur science n’est pas neutre mais assujettie à un engagement militant et très souvent politique.


La revendication de la représentation exclusive du peuple par les oppositions

La délégitimation des dirigeants actuels, basée sur l’exclusivité de la représentation du peuple, constitue le point le plus important de la stratégie des oppositions. En effet, les oppositions en place ont travaillé d’arrache-pied pour inculquer aux masses l’idée que le pouvoir est accaparé par les élites et qu’il existe un déficit de démocratie en raison de leur absence du siège du pouvoir. Ils s’évertuent, ces leaders à cristalliser l’opposition peuple/élites, nous/eux, pour monter une partie du peuple, celle qui est gouvernée, contre ceux qui sont les récipiendaires de leurs mandats.

Cette stratégie semble se déployer en 3 temps : l’accès aux exécutifs locaux pour disposer de budgets et de strapontins à distribuer, la mise en place de la massification effective via un clientélisme de masse et réussir à discréditer la société civile et les médias qui ne marchent pas à leurs côtés. Les deux premières phases de la stratégie ont déjà été mis en œuvre. La dernière phase qui se joue sur les temps longs, a atteint sa vitesse de croisière. La stratégie d’opposition « radicale » qui s’est avérée payant pour YAW s’est aussi faite en refusant même aux autres opposants, avec lesquels ils ont des combats en partage, contre le régime notamment, se sont vus taxés de « corrompus ». Le mensonge comme arme politique de destruction massive a été utilisée de façon cynique, a produit ses effets et, il a fort à parier qu’elle sera réutilisée jusqu’en 2024, horizon ultime de ces nouveaux politiciens.

Pour réussir, cette méthode a besoin d’une intensification des affects, de travailler sur les émotions, de mobiliser le sentiment identitaire, de crisper les communautarismes de façon telle que le peuple, qui s’est choisi ses dirigeants, se pose à un moment donné la question de la pertinence de ses choix et se dise, somme toute, n’est-il pas temps de changer et d’essayer une alternative ? Une autre manière de faire société ? Rendre désirable un autre projet de société, sans bien savoir ce que recouvre cette notion puisque les oppositions n’ont pas de programme commun autour duquel elles sont regroupées, si ce n’est accéder au pouvoir. C’est là un péril majeur que de signer un chèque en blanc. Le peuple ne devrait pas le signer.

La solution : renforcer le débat en revenant à l’orthodoxie

Des solutions existent pour empêcher que n’advienne ce que je considère comme le cauchemar de la république, l’accession au pouvoir d’aventuriers, sans projet politique avec l’agitation et l’activisme en guise de leviers et des bouts de doctrines disparates, qui tiennent du souverainisme, d’une part, du panafricanisme d’autre part ; de la prise en compte du facteur religieux et de la remise en cause de la laïcité, de l’égalitarisme comme valeur pour certains, et de la méritocratie pour d’autres ; et toutes sortes de théories rocambolesques sur la façon dont notre pays devrait être géré.

La première des solutions réside dans l’organisation de plus de débats autour de thématiques qui obligent à, au-delà de la critique qui est aisée, démontrer ce que les oppositions auraient fait différemment. Cela permettrait de montrer que des choses sont faites et de rabougrir la condescendance des partisans de l’oppositions quand ils pointent du doigt ce qu’ils estiment procéder de l’incompétence ou de la malhonnêteté. Il n’y a que la confrontation, point par point, dans un débat documenté, régulier et équilibré, duquel il faut extirper les animateurs à la petite semaine et exiger que ces débats soient gérés par des journalistes diplômés et supervisés par une instance des pairs, qui serait de nature à sauver la République. C’est l’une des conditions pour renverser la vapeur et réinstaurer un cadre de dialogue qui ne soit pas hystérisé.

Ensuite il faut se souvenir que le débat a plusieurs avantages. Je veux en citer 2 principaux :
• Premièrement faire tomber la représentation symbolique du peuple dont se prévalent les opposants – qui serait acquis aux causes défendues par leurs soins – qui est fausse, puisque les mathématiques électorales nous disent que la majorité du peuple est du côté du régime. Pour l’heure et pour toutes les élections passées jusqu’à date.

• La seconde raison, elle, tient à ce qu’organisé ainsi que rappelé ci-dessus, la bonne information deviendra accessible et fournira aux citoyens, que le brouhaha dans lequel se déploie l’information, militante pour l’essentiel, empêche de prendre des décisions éclairées.
Ce populisme est un opportunisme

Parce qu’elle occulte la complexité du monde, la vision actuelle des tenants des partis d’opposition optent vraisemblablement pour le populisme primaire or celui-ci, par l’opportunisme de mauvais aloi qui le caractérise est incapable de renforcer la participation citoyenne. Même s’il s’appuie sur les principes généraux du concept de « gouvernement au peuple » ceux qui pensent que les populistes recherchent la volonté du peuple se trompent. Les empoignades auxquelles nous assistons actuellement quant au nombre de groupes parlementaires et au cumul de fonction, notamment.

Les arrière-pensées que cachent ces renonciations aux engagements et aux grands principes, plusieurs fois déclarés, maintes fois excipés pour disqualifier les dirigeants actuels et consignés dans les documents constitutifs des mouvements membres des dynamiques d’opposition, en sont une illustration évidente.

Gorgui Kafindia

Chef-chroniqueur

Sentract.sn

 

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