Avec « Atlantique », Mati Diop succède à son oncle au Panthéon des cinéastes sénégalais sélectionnés à Cannes, le cultissime Djibril Diop Mambéty, réalisateur de « Touki Bouki ».
Pour le cinéma africain, Touki Bouki est une œuvre majeure. Réalisé par le Sénégalais Djibril Diop Mambéty disparu en 1998 à 53 ans, c’est un opus sur lequel la Franco-Sénégalaise Mati Diop était revenue en avril 2014 avec Mille Soleils. Il s’est agi d’un chapitre venu clore en beauté une histoire de rendez-vous manqués, un conte qui commence à Dakar en 1972, avec le tournage de Touki Bouki. Dans ce film mythique, qui a marqué un tournant stylistique pour le cinéma africain, le jeune Mory propose à sa petite amie, Anta, de quitter leur pays natal pour la France et son paradis de Paris chanté par Joséphine Baker. Le défi du voyage n’est pas à portée de leurs bourses d’étudiants ? Ils se débrouilleront pour réunir la somme, au fil d’aventures surréalistes, gages de leur audacieuse et libre jeunesse. Mais au moment où le paquebot quitte le port de Dakar, Mory reste à quai, laissant sa belle monter seule à bord…
Mille Soleils, un docu-mémoire…
Trente ans plus tard, la nièce du cinéaste, Mati Diop, qui est aussi la fille du compositeur Wasis Diop, a donc réalisé un documentaire à la mémoire de son oncle, un documentaire qui réunit les acteurs de Touki Bouki. La jeune femme a retrouvé Magaye Niang, l’interprète de Mory, qui vit toujours à Dakar, et Maréme, qui fut son Anta, installée aux États-Unis. Mille Soleils montre surtout le vieux comédien, gardien de buffles, malheureux en ménage, buvant trop, mais qui s’avance vers sa gloire d’autrefois, dans l’hommage que Dakar rend ce soir-là à Djibril Diop Mambéty, l’homme qui lui proposa ce rôle. Les enfants, dans le public de la projection en plein air, ne croient pas un instant que le vieux en tenue de cow-boy qui leur parle fut ce jeune homme solaire qui crève le grand écran. Ce rendez-vous avec son passé, avec les amis artistes (interprétés ici par Wasis Diop et Joe Ouakam disparu depuis en avril 2017) qui tentent de le réveiller à lui-même et avec le visage d’Anta retrouvé sur la pellicule ont tant remué Magaye ce soir-là qu’il décide de se bouger. Comme Mory autrefois. Et de partir à la recherche de son amour d’antan.
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Une œuvre de réinterprétation aussi
Le reste est fruit de l’imagination d’une cinéaste qui a réinterprété l’œuvre de son oncle tout en lui apportant sa réflexion sur le Sénégal contemporain, dans le rapport toujours déchiré entre ceux qui partent et ceux qui restent. Mille Soleils est venu renouer les liens avec les images, les thèmes, les êtres, et ouvre d’autres perspectives. Et c’est la même démarche qui préside à la distribution du film en France. Pour rappel, dans un cycle du cinéma le Panthéon, la réalisatrice a proposé de découvrir un film en « cadeau », mis en regard avec le sien. C’était La Soufrière, un court-métrage inouï de Werner Herzog : son rendez-vous, manqué, avec l’éruption programmée du volcan de la Guadeloupe, et qui n’aura pas lieu. « Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique », écrivait André Breton dans L’Amour fou.
En attendant, Mati Diop poursuit son bonhomme de chemin avec Atlantique, son premier long-métrage. Cet opus sera en lice aux côtés de 18 autres films, pour remporter la palme d’or lors du 72e Festival de Cannes, du 14 au 25 mai prochain. Après ses premiers pas au cinéma en tant qu’actrice, notamment dans le film 35 Rhums de Claire Denis, avant de s’imposer comme réalisatrice avec notamment Mille Soleils, très remarqué par la critique.
Avec Le Point