Note de lecture: Plongée au cœur du nouvel âge d’or de la littérature camerounaise

La Littérature camerounaise d’expression française : Des années de braise aux années d’espérance est un ouvrage qui réunit, sous la direction de Richard Laurent Omgba et Désiré Atangana Kouna, les actes des journées d’étude sur la littérature camerounaise organisées par l’Atelier de Critique et d’Esthétique Littéraire du Département de Français de l’Université de Yaoundé I en Juin 2017. C’est partant du constat que  » les écrivains Camerounais de langue d’expression française viennent de réaliser un exploit : celui de remporter, pendant trois années successives  (2014, 2015, 2016), le Grand Prix Littéraire de l’Afrique noire, décerné par l’Association des Écrivains de Langue Française(ADELF) »(9), que ces journées d’études ont été axées sur la littérature de ce pays. Les différents chercheurs, à travers leurs contributions, déconstruisent, reconstruisent et interprètent le renouvellement à la fois esthétique et thématique observé dans ce qui pourrait être désigné comme un « nouvel âge d’or de la littérature camerounaise » (9), à la lumière des productions littéraires de certains écrivains de ce domaine littéraire. Il s’agit, entre autres, des écrivains Djhamidi Bond, Imbolo Mbue, Leonora Miano, Hemley Boum, Mutt-Long et Liliane Mani Mendouga. Cette exploration systématique de la  « nouvelle vague littéraire dont les effets sont perceptibles sur tous les genres. »(15) se décompose en trois parties :(1) nouvelles écritures, nouvelles poétiques; (2) nouvelles figures, nouveaux parcours; (3) nouvelles thématiques, nouvelles clairières.

Par Baltazar Atangana Noah

 

Dans la première partie, les différentes contributions analysent les choix stylistiques des écrivains, les problématiques linguistiques, le prisme des dominations socioculturelle, politique et symbolique et les métamorphoses observées au sein du système littéraire d’expression française dont font partie les auteurs du corpus d’analyse. Ce sont, en d’autres termes, les traits formels et informels de cet espace littéraire qui sont identifiés. Et ce, afin de « présenter le contexte historique et son évolution, les auteurs, les œuvres et les sujets qui constituent son ossature » (30). 

La deuxième partie met l’accent sur l’analyse de la compétence des actes d’écriture de la nouvelle génération d’écrivains et sur les nouveaux motifs esthétiques à l’œuvre. Il est démontré que les diverses figures mises en discours dans les œuvres explorées outrepassent les frontières esthétiques fixées depuis la remarquable période de Mongo Beti, Ferdinand Oyono, Guillaume Oyono Mbia. Une tendance à la performance qui pourrait, à long terme, déboucher vers une autonomisation de ce champ littéraire. Un nouvel espace, défiant le pré-espace construit par l’ancienne génération autour des questions sociopolitiques. Les productions actuelles rendent possible de « marier deux périodes historiques contextuellement marquées: la période des indépendances et l’ère postindépendance »(166). Le renouvellement protéiforme observé et analysé dans les différentes contributions introduit « un processus de reconfiguration »(181) esthétique et thématique- bien au-delà du domaine de l’abstraction-« qui prend appui [non seulement] sur les insertions lexicales, les processus de resémantisation   et le mélange de genres » (196), mais aussi sur  » le sillage  du désenchantement bien connu dans les littératures francophones,  notamment celles subsahariennes »(244).

La dernière partie met en évidence la tendance à l’élargissement de l’horizon thématique des œuvres. Il devient possible de questionner explicitement la mémoire et l’histoire, la représentation de la femme et les questions sociolinguistiques : « l’Histoire et la mémoire du Pays des crevettes sont rappelées moins dans le sens d’une poétique de victimisation que dans celui d’une poétique de la reconnaissance et de la commémoration constructives des fantômes du passé. Les traumatismes qu’elles ont longtemps cachés, déviés ou travestis, sont réactualisés selon une perspective de dépassement »(271). La même  dynamique sera relevée dans cette ultime partie à travers le nouveau portrait du personnage féminin et la tentative des « littéraires et linguistes- sens modeste-[de] poser et de résoudre les différents problèmes identitaires et scripturaires qui ancrent l’existence du Cameroun ([et partant], de l’Afrique) de nos jours, sur l’échiquier international »(327). Les différents pôles réflexifs développés par les chercheurs dans cette partie permettent d’affirmer qu’en plus de mettre littérature, mémoire et histoire en dialogue, ou de reproblématiser les normes stylistiques et rhétoriques en reconfigurant les codes et conventions homologués, la nouvelle génération d’écrivains propose également une nouvelle lecture des créations littéraires au-delà du « sentimentalisme, l’intime et la polémique »(325) auxquels elles sont souvent réduites. Cela, pour « [traduire] l’évolution d’un univers [littéraire] qui prend en compte toutes les mutations que lui impose le monde moderne. »(391)

 

    In fine, c’est un  ouvrage de référence, qui  se pose  à la fois comme un essai d’histoire littéraire et une anthologie. Il a également le mérite de révéler que les œuvres du  champ littéraire camerounais d’expression française constituent désormais un important palimpseste de discours dont la nécessité à la fois historique et anthologique devrait davantage se faire sentir. Ceci, parce qu’il pourrait servir de bibliothèque-repère aux chercheurs et aux étudiants qui n’ont pas toujours accès aux ouvrages qui retracent la trajectoire du domaine littéraire camerounais d’expression française et de modèle pour des territoires comparables au Cameroun dont les deux champs littéraires bourlinguent entre deux langues officielles (français et anglais). Cela dit, sa  dynamique de base sur l’histoire culturelle et sociopolitique du champ littéraire camerounais d’expression française concerné, ici, mérite d’être très largement prise en considération. Le but est de déceler la plus-value des œuvres qui le constituent lorsqu’elles sont invitées à dialoguer avec les autres nombreux domaines qui constituent la littérature mondiale.

Baltazar Atangana Noah

Département de Français

Université de Yaoundé I

noahatango@yahoo.ca

 

La littérature camerounaise d’expression française : Des années de braise aux années d’espérance, Sous la direction de Richard Laurent Omgba et Désiré Atangana Kouna, Paris, L’Harmattan, 2018, 486 pages.