RECRUDESCENCE DE L’ÉMIGRATION CLANDESTINE: Tract ‘donne la voix’ aux jeunes et ‘parcourt’ leurs avis

Tract – L’émigration clandestine est devenue le pari risqué favori de milliers de jeunes depuis un certain temps au Sénégal. Malgré les nombres de morts comptés après chaque tentative, certains jeunes sont loin de se décourager. Et la traversée maritime appelée « Barça wala Barsakh » continue toujours d’être le projet de beaucoup d’entre eux.

 

Partis de ce constat, nous sommes allés à la rencontre de citoyens sénégalais vivants à Saint-Louis pour recueillir leur avis sur la situation.

Si d’aucuns trouvent que l’immigration clandestine reste une tentative risquée vouée à l’échec, d’autres pensent que c’est un moyen qui peut donner une vie meilleure.

Trouvé au marché central de Saint-Louis, installé temporairement sur le trottoir, Mayoro Diop, un marchand ambulant, âgé de 32, a accepté, sans langue de bois, de nous donner son avis sur l’immigration clandestine, :

« Moi je vous le dis tout de suite, je vais voyager par A ou B. Je vais être sincère avec vous, les personnes qui fustigent les jeunes qui prennent la mer s’en sortent bien. Elles vivent pas les mêmes situations que nous. Moi j’ai fait une épargne de 50.000f pour commencer mon business. Les articles que je vends varient en fonction du temps et des évènements. Actuellement je vends des produits contre les insectes. Mais imaginez, je peux marcher plus de 10 kilomètres par jour et à la fin de la journée je me retrouve avec 2000f ou 3000f. Parfois je vends même deux produits dans la journée. Maintenant si je vois une possibilité de sortir du pays et quelque soit la voie par laquelle passer, est-ce que vous allez me conseiller de rester et de ne pas tenter ma chance. Une chose est sûre, en Europe, je gagnerai mieux ma vie et je trouverai un travail plus stable et plus rentable que le marché ambulant que je fais. On nous parle toujours des jeunes qui meurent dans la mer mais on ne nous parle jamais du nombre qui a réussi en passant par la mer. Mourir c’est mourir et on ne meurt qu’une seule fois. Et parfois il est même mieux de mourir que de vivre une vie infernale », a-t-il estimé.

À quelques dizaines de mètres de lui, Moustapha Diop, vendeur de café Touba installé confortable devant sa table à l’arrêt de la Ligne 2, juste après la Police, donne un avis contraire à notre premier interrogé. Interpellé sur la question, il dira :

 » En tant qu’intellectuel, je ne pourrais en aucun cas cautionner le fait de passer par la mer pour rallier l’Espagne. C’est vrai que les temps sont dures et que nous n’avons plus d’espoir mais si on y réfléchit, faire le pari risqué de passer par la mer serait un double malheur qu’on infligerait à ses parents en cas d’échec. D’abord, on va les maintenir davantage dans la pauvreté dans laquelle on voulait leur faire sortir. Mais aussi, le malheur de nous savoir mort et chacun sait que la perte d’un enfant est insupportable pour un parent. Ce dernier préférait voir son enfant pauvre et vivant plutôt que mort. Moi qui vous parle, j’ai ma licence en droit, mais à un certain moment j’ai jugé nécessaire d’arrêter mes études et de gagner dignement ma vie pour aider mon père qui est vieux et sans travail. Aujourd’hui je suis là à vendre du café Touba, de lait, du « wasse » et des beignets. Parfois je peux avoir aux environs de 10.000f de bénéfice, parfois moins. Mais quelque que soit la situation, je rentre toujours avec une somme qui me permettra d’assurer la dépense quotidienne de la famille. C’est vrai qu’il y’a pas de travail au Sénégal si on attend que l’État nous en donne. Mais il y’a pas mal de choses qu’un jeune peut faire pour s’en sortir et assurer le stricte minimum. Mais quand on est jeune et qu’on rêve d’avoir des choses grandioses, on peut toujours s’engager dans des choses qui peuvent gâcher notre vie et celle de notre famille. Moi je ne blâme pas les jeunes mais je dis qu’il peuvent rester ici et faire des choses qui pourront forcément leur permettre de survivre, à condition qu’ils épousent l’idée selon laquelle il n’y a pas de chot métier. Imagine un jeune prendre 300.000f ou plus pour passer par la mer, c’est du suicide. Moi je le ferai jamais et je ne le conseillerai à aucun jeune », a argumenté le jeune entrepreneur âgé de 28 ans.

Dans une tentative de recueillir un troisième avis, nous nous sommes installés confortablement chez une dame, vendeuse de pain accompagné de haricots, du thon ou du petits pois. Dans une discussion entreprise avec elle, Mme Soumaré, environ dans les soixantaine d’année, mère de trois garçons dont le plus âgé à 22 ans, a laissé parler son cœur de mère :

 » Aucune mère au monde ne va valider l’immigration clandestine. Nous aimerions toutes voir nos enfants voyager et gagner beaucoup d’argent mais à condition qu’ils passent par les voies légales. Je suis mère de famille et même si je l’ai pas vécu, je sais à quel point ça fait mal de perdre son enfant qui voulait par tous les moyens réussir et nous mettre dans de bonnes conditions. Le pire est qu’on ne pourra même pas voir son corps encore moins sa tombe pour aller lui faire des prières. Mais il faut aussi le dire, parfois c’est les parents, surtout nous les mères qui influencent inconsciemment nos enfants à aller faire l’impossible pour réussir leur vie. Moi comme vous me voyez, je ne me plains jamais devant mes enfants. Je fais toujours semblant que tout va bien. Parce que s’ils me savent être dans le besoin, l’affection qu’ils me portent pourrait leur pousser à aller chercher par tous les moyens à nous satisfaire. Il est encore plus dangereux de comparer la réussite des enfants d’autrui au statut social de son enfant. Sans le savoir, on peut leur pousser à prendre des initiatives dangereuses comme le fait de prendre la mer pour se rendre en Espagne. En tant que mère, je conseille aux autres mères de se suffire de ce qu’elles ont et de ne pas trop mettre la pression à leurs enfants en se plaignant devant eux », a-t-elle suggéré.

Hadj Ludovic