[Rencontres Salon Ndadjé] Le blues du spectacle musical au sénégal

SENtract – Babylas Ndiaye, Directeur du festival Xeman Jong Fadiouth, analyse avec froideur l’État de la diffusion musicale sur notre continent, en ne manquant pas de souligner les différences spécifiques des publics selon la réalité culturelle et sociale de leurs pays respectifs. Ce que l’on retient du cas du Sénégal, c’est l’absence d’une culture du spectacle. Il donnait fin septembre une conférence sur le thème « L’état de la diffusion musicale : le cas des festivals en Afrique de l’Ouest ». Une rencontre qui s’inscrit dans le cadre de l’initiative Salon Ndadjé du Goethe Institut, en partenariat avec le journaliste culturel Alioune Diop. 

 

La diffusion musicale en Afrique, même si elle a connu des progrès significatifs, a encore un long chemin à parcourir. La contrainte majeure étant ce manque de professionnalisme en terme de régie ainsi que cette absence de plateau technique adéquat. Une question abordée par le spécialiste des grandes scènes musicales, Babylas qui a eu à travailler pour des rendez-vous musicaux majeurs sur le continent. D’emblée, son argument tranche : « il faut un système de son, une architecture de son et une bonne équipe ». 

 

Le Fesman qui s’est tenu à Dakar en décembre 2010, a été une heureuse expérience dans l’expression d’un talent peu connu et pourtant absolument nécessaire pour pouvoir tenir les grandes prestations musicales de nos artistes. Une occasion offerte « à toute une génération formée aux rudiments de ce métier de régie » d’assurer de grands concerts pour de grands artistes du continent comme Alpha Blondy, Salif Keïta, Youssou Ndour, Akon, Tiken Jah Fakoly, etc. « Pendant un mois, nous avons pu nous développer », dit Babylas. Un tremplin qui lui aura permis de lancer sa propre structure et d’aller à l’assaut de la sous-région. Puisqu’après le Fesman, « il n’y avait plus rien à se mettre sous la dent », a-t-il déploré. 

Le déclic arrivera avec une sollicitation de la part du Festival de Ségou. C’est ainsi qu’il sera décidé de faire venir une sonorisation de qualité de la Côte d’Ivoire. Ce dispositif aura permis, entre autres, de faire venir un artiste de grande facture comme Fémi Kuti.  

       

Cependant Babylas a voulu toucher du doigt cette absence de culture chez les populations sénégalaises de payer leur ticket pour aller suivre un spectacle. Au contraire de celles des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Niger dont son festival enregistre plus de 70.000 entrées, grâce au développement d’un modèle économique performant. Lequel a permis de payer la sonorisation ainsi que les prestataires. Babylas souligne cette « force de nos voisins en terme de diffusion », au sortir des crises – guerres civiles : plusieurs scènes sur lesquelles une vingtaine de groupes peuvent se succéder. De plus, la reprise du Masa d’Abidjan démontre la richesse des prestataires de régie, prouvant ainsi la bonne santé d’un business. Une demi-douzaine de salles de 4000 places chacune pouvant accueillir le grand public, sans compter cette capacité à assurer « six (6) gros concerts en l’espace d’une semaine ». « En Côte d’Ivoire, vous pouvezTout cela pour dire qu’il y a des efforts à faire sur le plan culturel au Sénégal » où la plus grande salle de spectacle, le Grand Théâtre, n’a qu’une capacité de 1800 places. « Ça permet de voir combien notre musique est à la traîne », déplore Babylas. « Nos artistes qui font les gros titres, passent presque inaperçus ailleurs », ajoute-t-il. 

Le débat qui s’en est suivi a donné l’occasion de voir que ce manque de culture du spectacle au Sénégal semble répondre même aux difficultés qu’éprouvent les organisateurs de festivals de rassembler l’enveloppe financière nécessaire, comme c’est le cas pour Les Blues du Fleuve, né de l’initiative de l’artiste compositeur Baaba Maal. Il y a donc absence de possibilité de faire de la billetterie. La tradition, c’est de se rabattre sur le sponsoring, le parrainage pour boucler le budget prévisionnel. 

Le moment est venu de renforcer cette sorte de coalition des festivals en un consortium comme le Circuit Manding où se fait le partage de la sonorisation et des lumières tout en ayant « les meilleurs en termes de régie », dira-t-il. « De 2015 à 2019, le Circuit Manding a assuré 70 gros concerts » ; au festival de Koudougou (où, au passage, il y a de bons hôtels), au Burkina-Faso, il y a eu 25.000 entrées payantes. « Le public, il faut l’éduquer et lui donner le calendrier culturel », argue le spécialiste. Ce travail en chaîne devait se faire pour assurer le rayonnement du Festival de Jazz de Saint-Louis du Sénégal, en y associant les Mauritaniens et Maliens. 

Ensuite, il est important, selon toujours Babyalas, de procéder à une déconcentration : ne pas tout concentrer à Dakar, pour ce qui est du cas du Sénégal. A preuve, Ségou est à 180 km de Bamako, et pourtant son rendez-vous a permis de drainer un monde fou. Il faudra, en conséquence, penser à des infrastructures dignes de ce nom dans des régions comme Tambacounda, Bakel, Sédhiou, Ziguinchor, Matam. 

Bassirou NIANG