[Tribune] A propos des relations entre le pouvoir politique et les confréries religieuses (Par Momar-Sokhna DIOP)

Momar-Sokhna Diop

Tract  – Au Sénégal, l’implication des communautés religieuses dans la vie politique est visible et toujours active. Aujourd’hui, elle suscite des réactions allant d’une simple analyse critique à des accusations qui inquiètent les sénégalais et amènent quelques concitoyens à adopter des comportements inédits qui peuvent aller de la simple opinion à la tenue de langages injurieux que nous déplorons.

Depuis quelques mois, ce climat secoue  profondément le landerneau politique, médiatique et intellectuel.

Le vote confrérique constitue toujours un joker non négligeable du jeu politique sénégalais. Ce qui est inquiétant, c’est que les Sénégalais considèrent, de plus en plus, ceux qui l’entretiennent comme des complices de la mal gouvernance devenue endémique. En effet, certaines élites religieuses n’hésitent pas, au nom de leur communauté, à s’engouffrer dans la brèche de l’engagement politique pour des intérêts purement personnels ou individuels n’ayant rien à voir avec la doctrine à laquelle elles se réclament.

C’est un constat que dresse Abdoul Aziz Mbacké Majalis qui nous donne de précieux éclairages sur ces questions cruciales qui affectent le Sénégal.

Abdoul Aziz Mbacké rappelle que « la vraie cause est que beaucoup de disciples des différentes représentations religieuses ignorent encore en réalité la véritable signification de l’engagement politique car éloignés de l’idéologie enseignée par les précurseurs de la confrérie à laquelle ils s’identifient ».

Il nous invite alors à nous imprégner scrupuleusement des enseignements de nos différents guides religieux car, aussi longtemps que la clarification de la vraie doctrine de ces penseurs restera inachevée, l’amalgame continuera à s’installer dans le débat politique au Sénégal.

Toutes les confréries religieuses sont concernées par ce phénomène y compris nos compatriotes chrétiens.

Les communautés religieuses se doivent de continuer à être un levier de cohésion sociale et d’impulsion du développement économique. Elles ont souvent très bien assuré ces missions.

Les responsables religieux pourront également continuer à attirer l’attention des Sénégalais sur la nécessité d’apprendre et d’appliquer les recommandations religieuses qui ne sont pas toujours scrupuleusement respectées.

Prenons le cas du pèlerinage à la Mecque. Rappelons qu’il constitue le cinquième pilier de l’Islam. L’Islam, c’est l’attestation de foi qu’il n’y a rien de divin que Dieu et que Mohamed est un messager de Dieu. Il s’agit également d’accomplir la prière, de s’acquitter de l’aumône purificatrice, de jeûner le mois de ramadan et d’effectuer le pèlerinage à la Mecque pour celui qui en a les moyens. Mais qui, au Sénégal, remplit ces conditions ?

Regardons-nous dans les yeux et soyons plus responsables vis-à-vis des pratiques qui font partie de notre quotidien et de notre patrimoine culturel. Aujourd’hui, nous sommes réduits au triste constat que le pèlerinage, comme la plupart des rites religieux, sont devenus des phénomènes de mode pour certains.

Ils mobilisent de plus en plus des personnes qui, souvent, n’ont ni les moyens physiques ni les finances nécessaires. Nombreux sont celles qui s’endettent pour aller à la Mecque ou qui acceptent de l’argent public ou privé douteux sans oublier celles qui choisissent de partir tout en laissant derrières elles des familles dont les besoins sanitaires, alimentaires et sociaux vitaux ne sont pas correctement satisfaits. Il n’est pas recommandé d’aller au pèlerinage dans ces conditions.

Les sénégalais gagneront à éviter les amalgames. Les guides religieux de référence ont, toute leur vie durant, combattu de telles attitudes.

Il s’avère que le mal sénégalais n’est pas seulement politique ou économique, il est aussi religieux. C’est pourquoi, les tribunaux rendent l’injustice et non la justice. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles certains autoproclamés marabouts troquent l’orthodoxie de leur foi contre des privilèges d’État.

Dans ce contexte, l’émergence, la paix et la sécurité du Sénégal deviennent problématiques. L’émergence que nous souhaitons appelle à des préalables axés uniquement sur la transparence, l’organisation, la justice, le sens de l’intérêt général, la souveraineté nationale, l’éthique de la responsabilité…

Dans mon ouvrage Sénégal diagnostic d’un pays candidat à l’émergence, je rappelle qu’il n’y a pas de coexistence pacifique entre la politique et la religion. Le Sénégal gagnera à profiter de la religion pour consolider sa paix et sa stabilité. Pour cela, il convient d’appliquer tout simplement les recommandations des exemplaires guides religieux auxquels 100% des Sénégalais s’inspirent. La religion est une affaire personnelle mais elle constitue une précieuse ressource qui pourra aider les Sénégalais à mieux vivre ensemble.

 

Momar-Sokhna DIOP professeur d’économie-gestion écrivain.

Sources : Mbacké Abdoul Aziz, Khidma, la vision politique de Cheikh Ahmadou Bamba, Majalis, 2010.

Momar-Sokhna Diop, Sénégal diagnostic d’un pays candidat à l’émergence, L’Harmattan 2019