[Tribune] DÉCONFINER LES REGARDS SUR LES EXILÉS (par CarolineMeva)

SENtract – En marge du Festival Brunch Littéraire qui se tiendra les 5, 6 et 7 novembre 2021 à Nantes en France, l’ASPROBIR -Association de la Promotion des Bibliothèques Rurales- association à but non lucratif créée en 2011, organise un concours d’écriture dont le thème est : Déconfiner les regards sur les exilés. Caroline Meva, romancière camerounaise, membre du jury de ce concours présidé par Victor Bouadjio, lauréat du grand prix littéraire d’Afrique noire, en 1989, nous propose une analyse sur le thème du concours littéraire.

 

L’exil, dont certains aspects, souvent éludés, méritent d’être élucidés, est le départ volontaire ou l’expulsion d’un individu (ou d’un groupe d’individus) hors de sa patrie d’origine, et son installation dans un autre territoire. L’exil forcé ou bannissement est l’exclusion d’un individu hors de son pays d’origine par une décision juridique ; dans ce cas, la présence de l’exilé dans son pays d’origine est considérée comme un danger pour l’exilé lui-même et pour les autorités dudit pays ; son expulsion est donc jugée utile pour tous. L’exilé volontaire est une personne qui choisit d’aller s’installer dans un autre pays, et qui quitte sa patrie d’origine parce qu’elle estime que ses conditions de vie y sont peu avantageuses ou problématiques, voire impossibles. On s’exile pour diverses raisons, mais principalement pour des raisons socio-politiques, économiques et environnementales. 

Les causes socio-politiques concernent en général des personnes bannies ou forcées à l’exil pour préserver leur vie et leur liberté face aux désaccords, pressions, voies de fait et parfois menaces de mort, à cause de leur genre, leur orientation religieuse ou sexuelle, et leurs opinions politiques. Les systèmes dictatoriaux et liberticides dans lesquels règnent la mal gouvernance, l’injustice, la violence, l’arbitraire, le racisme, le tribalisme, le népotisme, le favoritisme, les abus multiformes et autres inégalités sociales, excluent des circuits du développement une bonne frange de la société. Les crises politiques qui alimentent l’insécurité et les conflits occasionnent des mouvements de réfugiés et d’exilés, qui fuient en masse les zones de tension et de guerres.

L’exil régulier ou de commodité concerne des personnes disposant de ressources et de conditions de vie décentes, mais qui estiment n’être pas reconnus à leur juste valeur, ne pas avoir les opportunités suffisantes dans leur pays d’origine pour développer leur potentiel en ce qui concerne leurs conditions de vie, de travail et d’éducation. Dans cette catégorie, l’on trouve des étudiants, des scientifiques, des ingénieurs, des avocats, des médecins et autres professions libérales, ainsi que les immigrés pour raisons de santé et de regroupement familial. 

L’immigration clandestine pour raisons économiques est la conséquence de la répartition inégale des ressources entre les individus et les pays. Diverses études faites par des institutions internationales de l’économie et de la finance, notamment la Banque Mondiale, l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) ou le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), entre autres, établissent que 90% des ressources mondiales sont confisquées par 10% de la population mondiale et une vingtaine de pays dits « riches ». Le reste de la population mondiale et les autres pays, situés essentiellement dans l’hémisphère sud, se partagent la part congrue restante et vivent en dessous du seuil de pauvreté. 

Il y a lieu de noter que la même répartition inégalitaire des ressources se retrouve à l’intérieur des États, où l’on a une poignée de dirigeants vivant dans l’opulence, face aux populations majoritairement paupérisées. Les causes de l’immigration clandestine sont diverses, notamment les causes socio-politiques, les carences endémiques en matière de sécurité, de santé, d’emploi, d’éducation, d’eau, d’électricité, d’hôpitaux, de prestations sociales, de respect de la vie humaine et des droits et libertés individuelles, etc. Les causes naturelles, quant à elles, concernent les catastrophes climatiques telles que la sécheresse, les inondations, la destruction des sols et des écosystèmes. Asphyxiés, désespérés, ces laissés-pour-compte économiques n’ont plus pour seule issue que de risquer leur vie sur les chemins périlleux de l’immigration clandestine, vers les eldorados factices que constituent pour eux, les pays riches du Nord.

Des études indiquent également que les exilés des diasporas, parmi lesquels les migrants illégaux travaillant au noir, constituent un soutien économique de poids pour leur pays d’origine, en termes de transferts de fonds, de création d’entreprises, de sociétés de services, d’investissements immobiliers et autres activités génératrices d’emplois et de revenus locaux. Cependant, cette population contrainte à l’exil, et dont la force de travail profite essentiellement aux économies des pays de destination, constitue un sérieux manque à gagner pour les pays d’origine, en mal de ressources humaines pour acter leur développement.

On constate, par ailleurs, que le nombre de migrants clandestins s’accroît de jour en jour, et ce, malgré les risques encourus, les morts, la pandémie de la covid-19 qui rend plus précaire encore leur situation, en dépit de leur refoulement fréquent hors des frontières des pays cibles. Ceci signifie tout simplement que les stratégies adoptées jusque-là pour résoudre le problème de l’immigration clandestine sont peu efficaces, parce qu’elles se focalisent sur les effets du phénomène plutôt que sur ses déclencheurs. Tant que l’on ne s’attèlera pas à l’éradication des raisons de l’exil sus-évoquées, les mêmes causes continueront à produire les mêmes effets, et l’immigration clandestine prendra de plus en plus de l’ampleur. La solution pour juguler ce phénomène consisterait à garantir des conditions de vie décentes prenant en compte la satisfaction des besoins fondamentaux des citoyens, et l’essor des pays pauvres sur les plans économique, politique et socio-culturel.

L’exil, qu’il soit volontaire ou forcé, est souvent vécu douloureusement par l’exilé, qui se sent comme mutilé, coupé de ses racines, de sa famille, de son entourage, de son environnement socio-culturel, de tout ce qui a constitué l’essentiel de son existence jusque-là. Quel que soit le degré de son intégration dans sa nouvelle patrie, il subsiste toujours un zeste de nostalgie du pays natal, raison pour laquelle la plupart de ceux qui le peuvent y gardent des liens ou y reviennent régulièrement. Comme le dit la sagesse populaire, il ne saurait y avoir des îlots de prospérité stables et inaliénables au milieu d’une mer de misère. Par instinct de survie, tous ceux qui se noient dans cette mer de misère vont converger vers les îlots de prospérité afin de tenter de sauver leur vie, ce qui est tout à fait compréhensible et humain. Si rien n’est fait pour trouver des solutions afin de venir en aide au naufragés, ces derniers vont envahir les îlots de prospérité, en y rendant la vie impossible. 

La biosphère est un ensemble vivant, un système cohérent dans lequel tous les éléments sont liés et solidaires ; la défaillance d’un seul élément entraîne un déséquilibre qui met en danger la survie de tout le système. Il y a une urgence à bâtir un ordre mondial plus juste, plus égalitaire, plus respectueux de la nature, de la vie, et qui serait un gage de prospérité, d’harmonie sociale et de survie pour l’humanité. La réalisation de ce projet ambitieux et salvateur dépend de la volonté politique des États. 

 

Caroline Meva

Écrivaine